Dans un monde décarboné, la logistique urbaine n’est pas un luxe. Elle répond à un besoin essentiel : l’approvisionnement des villes. Mais cette nécessité a plusieurs impacts, comme les émissions de CO2, le bruit ou encore l’espace. « Elle représenterait 25 à 30 % des émissions de CO2 dans les villes », a souligné Baptiste Perrissin-Faber, directeur général délégué de l’Ademe, au cours d’une table ronde organisée par Renault Trucks, qui présentait son système Deliver-Assist. Le dernier kilomètre se complexifiera de plus en plus, avec des réglementations toujours plus restrictives. Diverses solutions apparaissent au fil des contraintes, notamment la mutualisation, l’adaptation de flottes, avec des véhicules diversifiés, roulant avec des énergies alternatives, parfois avec des vélos-cargos. La technologie vient peu à peu en soutien et des idées émergent, souvent à travers la coopération de plusieurs acteurs. C’est le cas des projets Extrême Défi logistique, qui visent à réduire de 20 % les coûts opérationnels et également de 20 % les émissions de CO2, ou Evolue. Souvent, ces développements impliquent le partage de données afin de cartographier les besoins (lieux de livraisons, emplacements de stationnement…). Le projet Evolue, élaboré à partir de la data de 25 000 livraisons et ramasses effectuées dans le Grand Paris Seine Ouest (GPSO) et partagées par cinq entreprises, vise ainsi à identifier les leviers d’efficacité dans la logistique urbaine tout en réduisant son empreinte environnementale. Des scénarios ont été testés, comme le déploiement de micro-hubs urbains. « La création de trois hubs dans un rayon de chalandise de 2 km permettrait de couvrir jusqu’à 95 % du territoire Grand Paris Seine Ouest », indiquait ainsi Jean-Baptiste Derdoy, responsable mobilité chez PTV Group, chargé du traitement des données, lors d’une conférence au SITL en mars 2024. Cependant, dans ce cadre, la mise à disposition des données et leur analyse restent souvent compliquées. « Les entreprises restent souvent réticentes à partager ce genre d’information, souligne Tariel Chamerois, directeur RSE et développement durable pour DB Schenker France, l’une des cinq entreprises participantes. Ce partage reste néanmoins clé pour la logistique urbaine de demain. Nous avons pu déceler des informations importantes, comme les aires de livraison – qui sont souvent en double file –, les horaires ou encore la question du foncier. Ce projet a beaucoup intéressé les responsables locaux qui ont pu voir que la logistique est incontournable. »
L’accompagnement dans ces nouveaux défis passe notamment par des aides financières de l’Ademe. Mais cette voie risque d’être de plus en plus restreinte, souligne Baptiste Perrissin-Faber, en référence à la restriction des dépenses qui est à craindre face à la dette de l’État. En revanche, poursuit-il, « d’autres manières d’accompagnement existent, notamment au niveau de l’innovation avec “Logistique 4.0” qui permet, chaque année depuis 2021, d’être mis en relation avec des territoires et entreprises ayant mené des projets similaires ou comparables. Les entreprises répondantes peuvent ainsi bénéficier de retours d’expérience ou de consolider l’émergence de consortiums ». Des outils existent également, rappelle le directeur général délégué de l’Ademe, comme la Fabrique de la logistique qui, depuis 2019, fait collaborer l’ensemble de l’écosystème du secteur, pour répondre aux attentes des pouvoirs publics tout en prenant en compte les difficultés que les professionnels peuvent rencontrer autour de l’innovation et de la réglementation environnementale. Le collectif permet de développer et de disposer d’outils. C’est ainsi que les fédérations accompagnent également leurs adhérents dans leurs démarches. « TLF met en place par exemple des commissions et édite des livres blancs, indique Olivier Poncelet, délégué général de TLF. Et nous les réalisons aussi à partir des connaissances que les entreprises mettent à disposition. Le groupe Jacky Perrenot a notamment contribué sur les démarches d’une installation de bornes électriques. »
Pour la logistique urbaine de demain, le bilan des Jeux olympiques, qui a fait apparaître de multiples contraintes, est également scruté. « Le premier bilan est plutôt positif, indique Olivier Poncelet. Ces Jeux ont été une grande réussite opérationnelle, avec 500 000 colis livrés chaque jour dans Paris et 4,5 M de livraisons et enlèvements en Île-de-France. » En revanche, le bilan économique est plus contrasté. « Plusieurs impacts, comme des surcoûts, des délais allongés ou une gestion RH plus compliquée nous ont été remontés », poursuit le délégué général de TLF. Il y a néanmoins eu beaucoup d’échanges avec les pouvoirs publics pour que la logistique fonctionne pendant les Jeux. Des pratiques innovantes ont aussi été plus largement déployées, comme la cyclo-logistique ou la livraison de nuit. « Des contraintes sont à prendre en compte mais ces pratiques sont à mettre dans la boîte à outils », conclut Olivier Poncelet.
« Ils anticipent les renouvellements législatifs avec des renouvellements de flotte », a souligné la vice-présidente de Bordeaux Métropole, Claudine Bichet. Lors d’une conférence autour des zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) aux Assises de la transition énergétique à Dunkerque du 10 au 12 septembre, les intervenants des villes de Strasbourg et Bordeaux ont en effet reconnu que les transporteurs routiers de marchandises étaient globalement prêts. L’acceptabilité des ZFE par les différents publics a été largement évoquée lors de cette conférence. Pour Claudia Teran-Escobar, chercheuse en psychologie sociale à l’université Paris-Nanterre, elle passe par une sensation d’équité mais aussi d’efficacité. Sans oublier la communication autour des possibilités qui s’offrent à chacun, selon son cas particulier : « Quelles sont les alternatives que l’on me propose ? » Une analyse qui rejoint les conclusions du rapport de l’ancienne ministre de la Transition écologique Barbara Pompili rendu fin 2023. Primordial pour l’acceptabilité, ce sentiment d’équité et d’accessibilité ne sera renforcé que par une information claire et accessible à tous sur les obligations et possibilités de chacun dans ces ZFE. Dans le cas plus spécifique des entreprises et notamment les transporteurs, l’harmonisation des règles entre territoires sera aussi essentielle.
D’ici le 1er janvier 2025, les ZFE doivent se généraliser aux agglomérations de plus de 150 000 habitants : Rennes, Caen, Amiens, Lille, Nantes, Orléans, Tours, Nancy, Bordeaux et d’autres rejoignent ainsi un dispositif dont les règles ont été largement assouplies depuis juillet 2023 par l’État. En dehors de Paris et Lyon, qui doivent continuer d’appliquer leur calendrier, Rouen, Aix-Marseille et Strasbourg ne sont plus tenues de renforcer les mesures. L’État a mis en place deux dérogations à l’obligation de mise en place des ZFE-m : si la collectivité prouve que les concentrations annuelles moyennes en dioxyde d’azote (NO2) dans son atmosphère sont inférieures ou égales à 10 µg/m3 pour au moins trois années sur les cinq écoulées et si la collectivité démontre, à l’aide d’une évaluation modélisée, que ses actions préventives lui garantissent de respecter les limites de pollution imposées. Cette volte-face, alors que les collectivités se préparaient à des règles beaucoup plus strictes, a été pointée du doigt par Claudine Bichet : « Nous avions passé énormément de temps à tenter de convaincre la population en amont… » L’élue convient toutefois que la ZFE est loin d’être l’unique solution pour améliorer la qualité de l’air. Réduire sur une voie de circulation les boulevards de Bordeaux a entraîné une baisse de la congestion routière, le doublement du nombre de cyclistes et une diminution de la pollution atmosphérique de 30 %.