« On prélève beaucoup d’argent sur les transports, mais il n'est que peu redirigé vers les transports »

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"Il faudrait trouver un fonctionnement qui permette aux transporteurs de voir que l’argent collecté ira bien à la route."

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Alors que le retour possible de l’écotaxe en Alsace met le feu aux poudres chez les fédérations patronales et transporteurs de la région, L’Officiel des transporteurs a souhaité faire un point sur le financement des routes et les bouleversements économiques qui s’annoncent, avec Yves Crozet, économiste au LAET (laboratoire aménagement économie transports) et professeur émérite à Sciences Po Lyon.

Il y a eu le 7 octobre des mobilisations contre l’écotaxe alsacienne, qui devrait être mise en place en 2027. Le nouveau ministre des transports s’est déclaré plutôt favorable aux écotaxes… Est-ce que ce retour de l’écotaxe vous surprend ?

Non, c’est logique, notamment pour des raisons historiques. L’idée était partie d’Alsace en 2005, avec l’amendement Bur, du nom du député qui avait constaté que l’Allemagne avait mis en place la Maut et que les camions allemands transitaient par la France et les autoroutes gratuites alsaciennes pour éviter de payer. Donc l’idée est assez ancienne. Ensuite, il y a eu le grenelle de l’environnement, la loi votée avec la possibilité d’instaurer des écotaxes régionales… Tout cela a été stopé avec le mouvement contestataire des bonnets rouges puis enterré par Mme Royal. L’écotaxe devait rapporter 1 milliard d’euros par an. C’était une évolution logique, le projet n’aurait pas dû être arrêté et cela manque dans la palette du système de financement des transports.

Actuellement, comment est financée la route dans l’hexagone ? Qui paie ?

Nous avons un système de financement déséquilibré. Nous avons des autoroutes concédées payantes avec des prix assez élevés : en 2022, le chiffre d'affaires des autoroutes concédées a été d'environ 13 milliards d’euros dont, pour simplifier, un tiers pour l'entretien et le renouvellement des sections à péage, un tiers de bénéfices nets pour les concessionnaires et un tiers pour l'Etat. La privatisation des autoroutes de 2000 à 2005 a été une opération principalement financière car les autoroutes sont une "machine à cash".
Le problème est que, à part la taxe d’aménagement du territoire et la redevance domaniale, cette manne n’est pas orientée vers le financement des transports. Ce système occasionne donc d’un côté une sur-tarification sur les autoroutes et une sous-tarification sur les routes départementales, communales et d’Etat. Celles-ci semblent gratuites mais ne le sont pas puisque les automobiles et les camions paient la TICPE, plus la taxe à l’essieu pour les camions.

Comment sont affectées les recettes ?

Le produit des péages n’est pas affecté aux transports, à part la TAT et une petite partie de la TICPE, reversée à l’Afitf (Agence de financement des infrastructures de France, NDLR). La TICPE, hors TVA, représente environ 32 milliards par an, dont 6 sont versés aux régions pour les aides économiques aux entreprises, 6 autres vont aux départements pour payer le RSA et les aides aux personnes âgées. Concernant la TICPE, les camions étrangers qui font le plein avant de passer en France ne la paient pas. C’est d’ailleurs pour cela que les transporteurs en avaient, à l’époque de la précédente écotaxe, accepté le principe, car cela permettait de restaurer de la concurrence en taxant tout le monde.
En résumé, on prélève beaucoup sur les transports, mais ce qu’on prélève ne va que marginalement aux transports. Or, si la tarification est logique, car les routes coûtent à la collectivité, il faut revoir l'affectation des ressources provenant de la route, près de 50 mds € par an.

A quelles problématiques sont confrontés les pouvoirs publics qui entretiennent le réseau non concédé ?

Les routes communales, gérées par les communes et intercommunalités, représentent environ 705 000 km, les routes départementales environ 380 000 km et les routes gérées directement par l’état ne représente « que » 11 000 km*, mais abritent la majorité du trafic.
Les communes dépendent de la dotation globale de fonctionnement, dont le montant tient compte de leur réseau routier. L’idée est que les routes sont gratuites car indispensables à l’activité économique et donc couvertes par la dotation de l’état. Mais ces dotations sont plutôt en baisse…

"Selon moi il ne faut surtout pas supprimer les péages mais profiter de la fin des concessions pour réorienter le produit des péages vers l’entretien des routes sur un périmètre plus large."


La logique pourrait être de dire que l’Etat paie les services publics qui n’ont que des externalités positives (comme l’école, les pompiers…) mais que certains services publics qui ont des externalités négatives sont marchands, pour compenser les effets qu’ils provoquent. La route devrait être un service public marchand car elle occasionne de la pollution, du bruit, etc. Or, l’état a travaillé sur ces externalités négatives en instaurant des mesures réglementaires (ralentisseurs, interdiction de véhicules polluants dans les villes…) mais n’ose pas tarifer. Alors comment faire basculer la route dans cette logique de service public marchand, sans que les gens paient deux fois, car ils paient aujourd’hui déjà la TICPE ? Il faut remettre à plat tout le système de financement de la route et l’arrivée des voitures électriques est une bonne occasion de le faire.

On parle beaucoup de la fin de concession de certaines autoroutes, à partir de 2031. L’Etat n’a-t-il pas intérêt à remettre la main sur cette manne financière plutôt que de la concéder au privé ?

Oui bien sûr ! Mais il faut garder les péages. Regardez en Espagne ce qui s’est passé avec la suppression des péages : le trafic routier a explosé, les aires sont saturées, les routes se sont dégradées, il y a une hausse de l’insécurité… Selon moi il ne faut surtout pas supprimer les péages mais profiter de la fin des concessions pour réorienter le produit des péages vers l’entretien des routes sur un périmètre plus large. Soit on baisse beaucoup le prix des péages mais on instaure des routes nationales payantes, soit on baisse peu ou pas les péages et l’argent sert à l’entretien des routes au sens large, tandis que le reste du réseau continue à être gratuit.

Vous écrivez dans un rapport sur le financement des routes qu’il faut arrêter de considérer la route « comme une docile pourvoyeuse » et vous évoquez des investissements nécessaires consécutivement aux évolutions des mobilités, notamment électriques…

Oui il faut faire de la place aux nouvelles mobilités : des voies cyclables sécurisées, des voies pour les autocars, le covoiturage… La route va donc devoir supporter des investissements en ce sens et des recettes doivent y être affectées pour les financer. Or, la vignette auto, qui était auparavant affectée aux départements, a été supprimée en 2000. Et les véhicules électriques vont faire perdre de l’argent : ce sera une perte de TICPE de 5 milliards d’euros par an, lorsque 20% du parc sera électrifié. D’ici 2040-50, il faudra trouver 30 milliards ailleurs. On est dans un système qui arrive au bout de sa logique…

Si une tarification du réseau s’étend, comment faire adhérer les transporteurs ?

Les transporteurs ont adopté un positionnement opportuniste d’opposition à l’écotaxe car ils vont payer. Je pense qu’il faut leur proposer un système donnant-donnant et on ne s’en sortira qu’en liant le sujet de l’écotaxe aux péages autoroutiers. Un autre levier est de jouer sur la ristourne de la TICPE. Et puis il faudrait un fonctionnement qui permette aux transporteurs de voir que l’argent ira bien à la route.

*chiffres de l’observatoire de la route, 2023

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