Pouvez-vous nous en dire plus sur cet arrêt, Maître Estrade ?
Cet arrêt met en exergue la difficile conciliation des contraintes organisationnelles des entreprises de transport, avec les principes juridiques régissant le Droit du travail. Au sein de l'arrêt commenté, la Cour de cassation est venue rappeler le principe selon lequel un salarié n'a pas l'obligation d'être joignable sur son téléphone personnel, en dehors de ses heures de travail, ne serait-ce pour la communication de son planning de travail.
Plus précisément, le salarié s'était vu sanctionner pour n'avoir, entre autres, pas répondu à son employeur lors de son repos hebdomadaire, donc en dehors de ses heures de travail, afin d'obtenir communication de son planning de travail. La Cour de cassation a donné raison au salarié qui contestait avoir été sanctionné pour un tel fait, faisant ainsi prévaloir l'intérêt du salarié, au détriment des contraintes organisationnelles de la société de transport.
Si une telle décision, peut aisément se comprendre au regard des principes juridiques liés au respect du Droit au repos, au Droit à la déconnexion ou encore de la vie privée des salariés, il n'en demeure pas moins, que la transmission des plannings de travail est une problématique récurrente pour les entreprises de transports, soumises à des contraintes instantanées d'exploitation, liées notamment à la célérité des échanges commerciaux.
Quelles problématiques cet arrêt soulève-t-il pour les entreprises de transport et que leur conseillez-vous ?
Nous rappelons régulièrement et, depuis toujours, aux entreprises de transport que les salariés ne peuvent pas être sanctionnés pour ne pas avoir répondu au téléphone au cours de leur temps de repos, ou même lorsqu'ils ne se présentent pas, par exemple, à 8h le lendemain, alors que nous l'entreprise lui avait adressé un SMS, avec ses horaires de travail, la veille au soir... Il existe, à notre sens, une totale inadaptation entre les contraintes du secteur et les principes juridiques destinés à protéger les salariés.
En règle générale, ce n'est pas pour embêter les salariés ou par négligence que les sociétés de transport informent la veille les salariés de leur planning de travail. Elles-mêmes sont régulièrement informées, au dernier moment, par leurs clients des consignes de livraison. C'est tout le secteur du transport routier de marchandises qui est touché par une telle problématique. Ainsi, dire ou obliger une société de transport, à communiquer à son salarié, ses horaires de travail 7 jours avant l'exécution d'une tournée, serait totalement déconnecté de la réalité du terrain.
Comment les transporteurs peuvent-ils se mettre en conformité ?
Nous n'avons malheureusement aucune solution miracle :
-Anticiper au maximum les horaires des tournées ? Mais pour cela, ce sont les usages consuméristes et commerciaux qui seraient à modifier ;
-Revoir les principes du Droit du travail ? Nous avons bien conscience des risques d'abus si la Cour de cassation venait à revenir sur ce principe, en estimant que : " les salariés ont l'obligation de répondre à leur employeur ou de prendre connaissance des SMS ou ordre de ce dernier, au cours de leur temps libre". Néanmoins, il est primordial de s'enquérir de cette problématique et de tenter de trouver une solution hybride, car il ne faut pas rester dans l'hypocrisie la plus totale, il est impossible pour le secteur d'anticiper les horaires des prestations de transport à accomplir.
-Tolérer le droit de contacter les salariés sur leur temps libre, uniquement pour la transmission de leur planning de travail ? A mi-chemin entre les impératifs abordés (respect du droit des salariés, et contraintes du secteur), le fait de prévoir une exception au principe selon lequel le salarié n'a pas l'obligation de répondre ou de prendre connaissance des informations transmises par son employeur au cours de ses repos, lorsque cela relève uniquement de la transmission des horaires de travail, pourrait être, à notre sens, une solution.