Florence Berthelot : « Un grand pays économique est un pays de transport »

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"On ne s’aperçoit de l'importance du transport que lorsque les rayons sont vides", s'agace Florence Berthelot, déléguée générale de la FNTR.

Crédit photo FNTR
Défaillances, baisse du budget de l’Ademe ou encore taxes écologiques qui ne
reviennent pas à la route… Les problématiques rencontrées par le secteur ne
manquent pas. Entretien avec Florence Berthelot, déléguée générale de la FNTR, rencontrée à la rentrée.

Le secteur enregistre de nombreuses défaillances depuis le début de l’année. Comment les adhérents de la FNTR traversent-ils cette période ?

La note de conjoncture de juillet publiée par la FNTR témoigne d’une activité morose. L’activité ne s’effondre plus mais elle est arrivée à un point historiquement bas, avec effectivement une augmentation significative des défaillances. Dans cette période d’attentisme, les investissements sont donc gelés, ce qui pose un souci pour la transition énergétique. Les objectifs des premières échéances de la stratégie nationale bas carbone à horizon 2025 ne sont pas tenus. Les ventes de véhicules électriques sont faibles. Heureusement, sur ce point, il y a eu un appel à projets, mais nous craignons fortement qu’il ne soit pas reconduit. Le budget de l’Ademe a en effet été singulièrement raboté. Nous pensons également qu’il y aura un tour de vis un peu partout dans la loi de finances. Le dispositif des certificats d’énergie devrait évoluer aussi, mais de quelle façon ?

Sur ce point, l’électrique reste l’énergie la plus poussée par le gouvernement et l’Union européenne. Qu’en est-il sur le terrain ?

On est allés trop vite sur les véhicules électriques. Ils restent chers et les bornes aussi. De plus, elles ne sont pas toujours accessibles à des entreprises implantées en zone rurale où il faut parfois tirer des lignes haute puissance Le maillage autoroutier est inexistant. En parallèle, les autres alternatives ont été laissées de côté, comme le gaz, or nous avions beaucoup investi sur ce carburant. Mais avec la guerre en Ukraine, ceux qui avaient sauté le pas se sont sentis abandonnés. Cela a été un mauvais signal pour la transition énergétique. Il y a maintenant un problème de confiance, les transporteurs ont besoin d’être rassurés. On met aussi trop de côté les carburants liquides bas carbone, comme le XTL qui est déjà bien moins polluant que le diesel. Or, pour les plus petites entreprises, cette solution leur permet de garder leurs camions. Bien sûr, ces énergies seraient de transition mais cela aiderait les plus petites entreprises à faire un pas.

Nous ne sommes pas contre un objectif de 90% des véhicules mis en circulation à zéro émission, mais pas en 15 ans !

 

Outre garder en tête les autres énergies de transition, qu’est-ce qui pourrait aider les transporteurs à s’engager ?

Il faudra réfléchir à une autre approche de financement. Cet effort ne peut pas être porté par les petites entreprises. Un camion électrique coûte 3 à 3,5 fois plus cher qu’un camion au diesel. En outre, les trésoreries sont tendues et mais un emprunt auprès d’une banque est quasi impossible pour les petites sociétés dans ces conditions. Il faudra donc forcément raisonner autrement, en menant par exemple des réflexions au niveau des constructeurs, carrossiers, clients… Il faudrait aussi des échéances réalistes. L’Europe veut aller trop vite. Nous ne sommes pas contre un objectif de 90% des véhicules mis en circulation à zéro émission, mais pas en 15 ans ! Nous devons faire comprendre à nos interlocuteurs institutionnels mais aussi au grand public que l’on fait ce que l’on peut et que l’on n'a pas attendu pour faire cette transition. Sans oublier qu’il y a la décarbonation de la flotte mais aussi celle du fret, c’est-à-dire l’optimisation du remplissage du véhicule, des tournées, le report modal quand il est possible, etc.

Avec le nouveau Parlement européen élu, pensez-vous qu’il pourrait y avoir des changements de direction ? 

On pense que l’on restera dans la logique décarbonation, notamment avec le Green Deal. Néanmoins au niveau européen, il se dit que les Eurodéputés sont peut-être allés un peu vite. Ils voient aussi que l’Allemagne ne va pas bien sur le plan économique, notamment au travers de l’industrie automobile qui fait grise mine. Peut-être que des réflexions sur les délais pourraient émerger… 

Un déploiement des mégacamions en France est-il encore envisageable ?

Tout le monde aborde avec idéologie le sujet des mégacamions, que nous préférons appeler écocombis, par idéologie. Que l’on ne puisse même pas faire une expérimentation dans le pays, sur des corridors bien précis, parce que l’on imagine qu’ils vont traverser les routes, détruire les chemins de terre, les infrastructures, c’est un non-sens ! Il y a eu un rapport auquel nous avons contribué mais qui n’a jamais été publié. Selon nos informations, il aurait été plutôt favorable à une expérimentation… À la différence d’un 48t betteravier - sur lequel nous ne sommes pas d’accord – les écocombis ont une meilleure répartition par essieu et abîment donc moins les infrastructures. Ce système marche très bien dans les pays nordiques et aussi en Espagne, où les infrastructures sont très similaires. Le problème, c’est que le lobby ferroviaire est monté au créneau en opposant les modes alors que la route ne va pas capter le marché ferroviaire. Ce mode ne fonctionne pas de manière optimale mais le transport routier n’y est pour rien.

Le transport routier pâtit donc encore de la méconnaissance du secteur par le public…

On ne s’aperçoit de son importance que lorsque les rayons sont vides. Or, un grand pays économique, c’est un pays de transport. Les Pays-Bas sont un exemple, la Chine est en train de faire une conquête avec la route de la soie à travers le système « One belt, one road » dont on parle peu mais il est totalement axé sur le transport. Le pays apporte de l’argent pour créer des routes, des ports, des voies ferrées. C’est une vraie manière de conquérir le monde.
On met en place des initiatives au sein de la FNTR qui mettent en valeur le secteur, notamment le label « Transport et Logistique Responsables », cocréé avec EthiFinance. La remise des trophées aura lieu en ce mois d’octobre. Ce label s’adresse à toutes les entreprises du secteur, quelle que soit sa taille. Par exemple, les Transports Luc Bouillon dans la Marne ont eu deux fois le trophée avec moins de 10 salariés. Le Label met en avant notamment ce que les entreprises peuvent faire en matière de RSE et leur permet de s’engager dans une dynamique de progression pour gagner en attractivité.

Où en sont les différents dossiers sociaux ?

Les organisations syndicales, depuis presque six mois, boycottent toutes les négociations dans tous les secteurs pour protester contre les propositions des NAO en logistique. C’est regrettable car de notre côté, à la FNTR, nous avions abouti l’année dernière en NAO à un accord plutôt généreux, à +5,4% dans le TRM. Nous avions eu raison de faire cette proposition car il est très probable que le Smic augmente d’ici la fin de l’année et les grilles seront encore au-dessus. Ce boycott empêche plusieurs négociations importantes comme la réforme des classifications, sur laquelle nous essayons de voir si les nouvelles grilles envisagées seraient inflationnistes et comment cette évolution pourrait entrer en vigueur… La refonte de la convention collective est aussi en attente ; elle doit être modernisée d’urgence. Il y a également la phase 2 du congé de fin d’activité. Si l’État s’était engagé lors de la réforme des retraites, nous ne savons pas quelle sera la marge de manœuvre budgétaire.

Qu’en est-il de l’interdiction du chargement-déchargement par les conducteurs ?

Avec le retour fait par les premiers rapports, il faut s’atteler au sujet de l’accueil des conducteurs dans les entreprises. Au-delà du problème de recrutement, la qualité de vie au travail est très certainement un enjeu pour les conducteurs de demain. Les entreprises du TRM se sont emparées du sujet, maintenant il faut que les clients suivent. Les entreprises du TRM doivent davantage mettre en valeur leurs actions et leurs métiers car il y a une méconnaissance de leur activité par le public,
Sur le recrutement, les entreprises sentent moins de tension, mais ça peut revenir à tout moment à cause des départs en CFA ou en retraite. Nous menons des actions pour attirer les jeunes mais aussi des personnes en reconversion. Diplômées ou non, on peut les former !

Quel sera le thème et le programme du congrès de la FNTR qui se déroulera les 6 et 7 novembre ?

Pour cette 78e édition, nous avons choisi le thème « Roulez jeunesse ». Entre les anciens qui passent la main, pas toujours à leurs enfants d’ailleurs, et les jeunes qui s’installent, on est dans l’idée de la transmission et il est intéressant d’écouter ce qui les motive.
Lors du Congrès, il s’agira de prendre de la hauteur et d’avoir une vision prospective de l’entreprise de transport de demain, de connaître les attentes des adhérents. Nous aurons notamment une présentation de la Banque de France sur la conjoncture, l’intervention de l’économiste Olivier Babeau. Nous signerons aussi une convention avec France Travail, avec qui nous travaillons notamment pour un meilleur sourcing. Et nous renouvelons nos instances cette année, les élections se tiendrons la première journée de Congrès, réservée aux adhérents.

Entre les départs à la retraite des dirigeants, les défaillances, les fusions-acquisitions… Constatez-vous une érosion des adhérents ?

Non, nous ne constatons pas d’érosion. Les entreprises ont besoin plus que jamais d’être soutenues par une fédération au vu des nombreux sujets, de la réglementation et du contexte. Nous avons donné priorité au développement pour aller à la rencontre de nouvelles entreprises aussi. Nous disons souvent aux transporteurs qu’ils trouvent ce qu’ils apportent, ce sont eux qui impulsent la politique professionnelle via nos nombreuses commissions. Beaucoup se font des idées sur les organisations professionnelles mais elles apportent un réel soutien. Les entrepreneurs sont souvent bien seuls. Nous apportons ponctuellement du partage dans leur activité, avec leurs confrères, sans parler de concurrence mais de dossiers professionnels.

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