NPI : Rappelez-nous ce qu’il en a été de la présentation de l’étude sur la fatigue du personnel travaillant à bord des remorqueurs du canal de Panama à l’OMI en décembre 2018.
Ivan de la Guardia : Nous avons présenté l’étude indépendante sur les conditions de travail et la fatigue du personnel travaillant à bord des remorqueurs du canal de Panama à la 100è session du comité de sécurité maritime (MSC) de l’Organisation maritime internationale (OMI) à Londres en décembre 2018. La Fédération internationale des ouvriers du transport, en anglais : International Transport Workers’ Federation (ITF), a présenté cette étude dans le cadre de l’ordre du jour du sous-comité de l'élément humain, de la formation et de la veille (HTW) en séance plénière. (Voir notre article). Ce sous-comité s’occupe notamment de l'élaboration de directives et de recommandations relatives à diverses questions, telle la fatigue.
La délégation panaméenne a immédiatement réfuté l’étude et son contenu, avec des arguments mensongers fournis par Miguel Rodriguez, représentant du canal de Panama, présent au sein de la délégation de ce pays. Miguel Rodriguez est connu depuis longtemps comme un individu très obtus en matière de droit du travail et très hostile à toutes actions syndicales. Le président du MSC n'a pas permis à l'ITF ni à moi-même de contester toutes les fausses allégations du Panama.
NPI : Suite à cette étude indépendante et aux échanges lors de la réunion du MSC à l’OMI, l’Autorité du canal de Panama a-t-elle entamé un dialogue avec vous l’Union des capitaines et officiers de Cubierta (UCOC) pour améliorer les conditions de travail ?
Ivan de la Guardia : Le canal de Panama est au courant de la situation dégradée pour le personnel et de la charge de travail toujours plus élevée. La réalité est que le nombre de personnes employées est demeuré identique, chacun accomplit donc davantage de tâches. L'administrateur, Jorge Quijano, a mis fin à toutes les communications entre notre syndicat et son bureau. Plus de 15 lettres lui ont été envoyées pour organiser une réunion, mais il refuse de nous recevoir, alors même qu’il rencontre régulièrement tous les autres représentants des travailleurs. La situation reste telle qu'elle a été décrite initialement et dans l’étude ou même pire.
NPI : Quelle est la situation actuellement en termes de sécurité pour le personnel à bord des remorqueurs du canal de Panama ?
Ivan de la Guardia : Les travailleurs continuent de travailler à la limite de la sécurité. Cela inclut nous, les capitaines et officiers, les marins et bien d’autres. La culture de sécurité que le canal avait autrefois s'est clairement détériorée. Lorsque les travailleurs soumettent des rapports de situation mettant en cause un défaut de sécurité, ils sont licenciés ou ne reçoivent aucune réponse ou sont confrontés à des arguments absurdes. Nous avons vu cela continuellement dans notre secteur avec tous les rapports que nous avons soumis sur les conditions dangereuses pour le travail à bord des remorqueurs. Le personnel affecté à notre secteur n'a ni l'expertise ni la formation nécessaires pour répondre à nos rapports et il est parfois congédié délibérément.
NPI : Quelles sont les solutions ?
Ivan de la Guardia : Les recommandations de l'étude doivent être appliquées dès que possible. Cela comprend des rotations et des horaires de travail différents de ceux existants et mieux organisés, l'embauche de personnel supplémentaire, ce qui permettrait d'aider les capitaines lors des manœuvres avec un autre capitaine ou un second. Il faut aussi acheter plus de remorqueurs afin de répartir le travail de manière plus équilibré. La moitié des remorqueurs du canal de Panama ne peut pas être utilisée pour les opérations du nouveau canal aujourd'hui.
NPI : Etes-vous optimiste ou pessimiste pour l’avenir ?
Ivan de la Guardia : L'administrateur, Jorge Quijano part en octobre 2019. La plupart des travailleurs se sentent déjà soulagés devant ce départ annoncé et espèrent que les difficultés touchent à leur fin. Nous le tenons pour responsable des pires épisodes de relations de travail de l'histoire du canal. Son départ est perçu avec optimisme, mais il y a une incertitude sur ce que lui-même et son équipe peuvent laisser après leur départ.
NPI : Les réunions à Londres les 20 et 21 mars peuvent-elles être une occasion pour interpeller sur la situation pour les personnels du canal de Panama ?
Ivan de la Guardia : Les réunions à Londres sont sûrement des fenêtres d'opportunité pour nous. Notre histoire doit être connue. En ouvrant les yeux du plus grand nombre et en suscitant un appui international en faveur de notre cause, nous pouvons forcer les canaux de communication que Jorge Quijano a fermés et provoquer la chute du système répressif par lequel il impose des pratiques dangereuses à tous nos travailleurs. La solidarité internationale est très importante et constitue un élément clé qui peut nous aider à long terme.
Il faut aussi savoir que l’étude sur la fatigue a été transmise à des autorités extérieures au canal pour analyse et action. Elle a été envoyée au directeur de la santé au travail et de la sécurité sociale, au Secrétaire à la santé du pays et à toute son équipe. Alors même qu’ils disposent de l’étude et de toutes les informations depuis plus de quatre mois, ils refusent de se prononcer, de prendre des mesures ou d'accomplir les obligations qui leur incombent dans le cadre de leurs fonctions. Cela doit être mentionné en raison des torts causés aux employés du canal par ces fonctionnaires qui choisissent de détourner le regard et d’ignorer nos revendications.
