Le transport maritime est au diapason. L’Union européenne a mis la pression sur le secteur pour qu’il réduise les émissions nettes de gaz à effet de serre de l'UE d'ici à 2050 et a même resserré dernièrement les objectifs, prônant désormais une baisse nette des émissions d'au moins 55 % d'ici à 2030 par rapport au niveau de 1990 (contre 40 % précédemment) afin d'atteindre en 2050 la neutralité carbone.
La Commission indique cette fois qu’elle va réviser les normes en matière de recyclage des navires et celles relatives au démantèlement des plateformes pétrolières et gazières offshore « afin de protéger l'environnement marin lorsque ces infrastructures sont mises hors service. » Bruxelles entend par ailleurs fixer des objectifs juridiquement contraignants pour restaurer les écosystèmes marins endommagés.
Ces points figurent dans la dite « nouvelle stratégie en faveur d'une économie bleue durable dans l'Union » que l’exécutif européen a présentée le 17 mai, et qui se dit capitale pour assurer une reprise verte au terme de la pandémie, indique le document. En réalité, il y a bien peu de choses qui n’aient pas déjà été déclarées.
Depuis son arrivée à la tête de la Commission européenne en décembre 2019, la présidente allemande Ursula von der Leyen (Union chrétienne démocrate) construit son arc narratif autour de son Green Deal, campé quelques jours à peine après son élection. À cette occasion, elle n’a pas fait pas mystère de son intention de mettre au pas les deux passagers clandestins de la politique climatique que sont le transport maritime et aérien. Dans ce premier document de 28 pages, tout y était déjà dit. Érigée en priorité n°1, la neutralité carbone à l’horizon 2050 irrigue l'ensemble des politiques publiques européennes portant sur l’énergie, l’industrie, les transports, l’agriculture, etc. Fiscalité et instruments de financement sont mis au service de ces objectifs.
L'UE ouvre un nouveau front sur le transport maritime vert
Des mers en bonne santé et une utilisation durable de leurs ressources
« La pandémie a frappé les secteurs de l'économie marine de différentes manières, mais a laissé des traces profondes. Nous avons l'occasion de tout remettre à plat et voulons faire en sorte que la reprise change de perspective, en passant de la simple exploitation à la durabilité et à la résilience. Pour que l'avenir soit réellement vert, nous devons donc aussi le voir en bleu », a planté d’emblée Virginijus Sinkevičius, le commissaire chargé de l'Environnement, des Affaires maritimes et de la Pêche.
Tous les secteurs de l'économie bleue, y compris la pêche, l'aquaculture, le tourisme côtier, le transport maritime, les activités portuaires et la construction navale – un secteur de 4,5 millions d'emplois directs et de plus de 650 Md€ de chiffre d'affaires – sont invités à réduire instamment leurs incidences sur l'environnement et le climat. La transition vers une économie bleue durable se fera « grâce au développement des énergies renouvelables en mer, à la décarbonation du transport maritime et à l'écologisation des ports », rappelle le document européen.
Un « bouquet énergétique océanique durable » – comprenant l’éolien flottant, l'énergie thermique, houlomotrice et marémotrice –, pourrait produire un quart de l'électricité de l'Union à l'horizon 2050, est-il avancé. « Les ports, essentiels pour la connectivité et l'économie des régions et des pays d'Europe, pourraient faire office de hubs énergétiques ».
Un redémarrage économique vert dans le transport maritime ?
Normes révisées
Le passage à une économie circulaire ne pourra pas faire l’économie de normes révisées en ce qui concerne la conception des engins de pêche, le recyclage des navires et le déclassement des plateformes offshore, ainsi qu'à des mesures visant à réduire la pollution par les plastiques et les microplastiques.
Les autres mesures visent à remédier aux incidences environnementales de la pêche sur les habitats marins, le développement d’infrastructures vertes dans les zones côtières, la protection des bandes littorales contre les risques d'érosion et d'inondations ou encore la production durable des produits de la mer et le renforcement du contrôle des pêches. La gestion de l’espace maritime fera, elle, l’objet d’une planification en 2022, une fois les plans nationaux de planification de l'espace maritime adoptés.
Bruxelles a déjà proposé un objectif pour les 27 pays de l'UE : protéger légalement 30 % de ses terres et de ses mers d'ici à 2030, une mesure qui permettrait de sauvegarder 19 % d’espace marin en plus qu'aujourd'hui. Il est question en outre de la délimitation ou l'interdiction des activités commerciales dans une zone voire de garantir la préservation de zones naturelles.
Le casse-tête de la taxation carbone appliquée au transport maritime)
Intégration dans le marché carbone hautement probable
Le transport maritime est déjà au fait de ce qui va lui être demandé. Son intégration dans le système d’échange communautaire de quotas d’émission est hautement probable. Si tel est le cas, les compagnies maritimes devront payer pour le CO2 qu'elles émettent. La Commission européenne devait présenter en juin sa politique de tarification du carbone mais a reporté le rendez-vous à juillet (lire sur ce sujet : Le casse-tête de la taxation carbone appliquée au transport maritime).
Bruxelles planche actuellement sur une nouvelle législation répondant au nom de FuelEU Maritime qui devait être présentée au premier trimestre de cette année mais qui a également été retardée. Elle porte notamment sur le développement de carburants alternatifs. Elle doit également réglementer l'accès des navires les plus polluants aux ports de l'UE en obligeant les navires, lorsqu'ils sont au port, à réduire leurs émissions de CO2, en utilisant par exemple l’alimentation électrique à quai.
Le parlement européen veut inclure le transport maritime dans son marché carbone
Le 27 avril, le Parlement européen a voté en faveur du rapport présenté par l’eurodéputée française Karima Delli portant sur les mesures techniques et opérationnelles à mettre en œuvre pour limiter les émissions maritimes qui représentent environ 13 % de la totalité des émissions de gaz à effet de serre produites par les transports dans l'UE. Au programme de la feuille de route européenne, outre l’inclusion du shipping dans le système communautaire d’échanges des émissions de carbone (SCEQE), des financements en faveur de solutions durables telles que l'hydrogène vert, l'ammoniac, l'électricité verte et les systèmes de propulsion véliques, le branchement électrique des navires à quai, la création en Méditerranée de zones de contrôle des émissions spéciales (ECA).
Plus nouvelle est en effet la révision de la directive de 2013 sur le recyclage des navires afin de l'aligner davantage sur l'esprit environnemental. Ce qui, en l’occurrence, a déjà fait réagir les armateurs européens représentés au sein de l’ECSA. « Nous sommes profondément préoccupés par le fait que la Commission semble déterminée à étendre le champ d'application du règlement sur le recyclage des navires avant qu'une évaluation adéquate de la législation existante et une analyse d'impact aient lieu. Une telle annonce ne semble pas fondée sur des preuves, va à l'encontre du principe de meilleure réglementation de la Commission et crée de l'incertitude pour les opérateurs. »
Avec quels financements ?
Aides publiques et condition d'octroi des prêts sont mis au vert. Les fonds européens seront conditionnés à des critères de durabilité. La Commission européenne et le groupe de la Banque européenne d'investissement, composé de la Banque européenne d'investissement et du Fonds européen d'investissement (FEI), devraient renforcer leur coopération, sans qu’il soit précisé de quelle façon et pourquoi ce n’était pas le cas. Le nouveau Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l'aquaculture – grâce, en particulier, à sa plateforme BlueInvest –, doivent soutenir la transition verte et bleue. D'autres programmes de l'Union, tels que le programme de recherche Horizon Europe, seront également mis à contribution.
Adeline Descamps