Un rallye mondial pour trouver du charbon

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Il avait été le grand gagnant fossile de l’année 2021, notamment grâce à la flambée des cours du gaz. Le charbon est devenu, depuis le bannissement de l’origine russe, une denrée extrêmement recherchée. Au Japon, en Corée du Sud mais aussi en Chine ou en Europe, c’est une véritable ruée sur les approvisionnements mondiaux. Les panamax et les capesize pourraient bien se régaler si la Chine et l’Inde, les deux plus grands importateurs mondiaux, ne poussent pas davantage leur production nationale. Une tendance déjà bien amorcée.

Quel destin, le charbon. Il renaît en permanence de ses cendres. Il avait été en 2021 l’incroyable et inattendu grand gagnant fossile de 2021. La reprise économique mondiale et un hiver froid dans l'hémisphère nord, combinés à des prix du gaz élevés et une capacité limitée à produire des énergies renouvelables, avaient joué en faveur du bitumineux. Les pénuries d'électricité en Chine et en Inde, les deux plus grands consommateurs de charbon thermique au monde, avaient alors déclenché une demande d'importations plus importante, ce qui a eu pour effet d'augmenter les taux de fret des vraquiers opérant dans la région. 

Pour d’autres circonstances cette année, de façon tout autant inattendue, le voici en grande partie classé au rang de paria pour des critères autres que son caractère fossile et son empreinte carbone. Depuis la souscription des pays du G7 – Canada, France, Allemagne, Italie, Japon, Royaume-Uni et États-Unis –, aux nouvelles sanctions internationales à l’encontre du Kremlin pour le contraindre à renoncer à ses penchants bellicistes contre l’Ukraine, les pays annoncent tour à tour leur désengagement du charbon russe et leur engagement à s’affranchir progressivement de leur dépendance à l'égard des énergies de leur encombrant fournisseur. 

Le Japon lâche le charbon russe et...

Le Premier ministre japonais Fumio Kishida l’a formellement déclaré le 8 avril au cours d’une conférence de presse, marquant le premier engagement de l’archipel à freiner toute importation de matières premières en provenance de Russie. « Nous réduirons notre dépendance à l'égard de la Russie dans le secteur de l'énergie en réduisant progressivement les importations de charbon et en trouvant rapidement des solutions alternatives », a-t-il déclaré. 

La Russie était le troisième plus grand fournisseur de charbon du Japon en 2021, après l'Australie et l'Indonésie, avec 19,73 Mt, soit 11 % des importations totales du pays, qui se sont élèvées à 182,63 Mt, selon les données du ministère de l'Économie, du Commerce et de l'Industrie (METI). Pour son électricité, Tokyo veut accélérer sa transition (et sécurité) énergétique misant sur les énergies renouvelables et le nucléaire.  

JERA, la plus grande société de production d'électricité du Japon, qui s’est approvisionnée auprès de la Russie à hauteur de 10 % de ses besoins au cours de l'exercice 2020-21 (avril-mars), , soit environ 20 Mt, se trouve acculée à recherche des alternatives. Tout comme Kyushu Electric, qui n'a pas de contrat d'approvisionnement en charbon à long terme avec la Russie, mais qui en dépend pour 7 % de ses besoins (6,8 Mt sur le précédent exercice). L’électricien a suspendu ses achats bien avant les nouvelles sanctions « en raison de l'incertitude croissante pesant sur son approvisionnement », a déclaré un porte-parole de l'entreprise. 

Pour autant, le Japon ne manifeste toujours pas l’intention de se retirer des méga projets gaziers Sakhaline 1 et 2 et Arctic LNG 2, car « ils sont importants pour la sécurité énergétique du pays ». La Russie a représenté 9 % des importations totales de GNL du Japon, soit 74,32 Mt, en tant que cinquième fournisseur en 2021, selon le METI. Plus de la moitié de la capacité de production du projet Sakhaline 2 est en en effet engagée auprès d’intermédiaires financiers japonais. 

…la Corée du Sud aussi

À l’instar du Japon, la Corée du Sud absorbe une grande quantité du bitumineux russe. À eux deux, ils représentent environ un cinquième des exportations de charbon de la Russie, dont ils sont les plus gros clients après la Chine. En Corée, la compagnie publique Korea Electric Power Corp (KEPCO) aurait commencé à diversifier ses sources d'importation de charbon dès février. Les cimentiers sud-coréens, qui importent environ trois quarts de leur charbon de Russie, semblent particulièrement vulnérables sachant que l'industrie ne disposerait pas de stocks suffisants pour tenir jusqu'en mai. 

La Chine, opportuniste

La Chine, premier importateur mondial de charbon, qui ne fait pas partie du G7, a néanmoins déclaré publiquement qu’elle pourrait réduire ses importations jusqu'à 30 % cette année. Il ne faut pas se méprendre. Pékin, qui refuse de condamner « l’opération spéciale en Ukraine » de son voisin russe, ne s’est pas pour autant jeté sur le charbon proscrit. En 2021, elle avait acheté environ 56 Mt de charbon russe, soit environ 17 % de ses importations totales. 

Mais les motivations de la seconde puissance économique mondiale ne tiennent pas dans des considérations diplomatiques. Depuis ses différends commerciaux avec l’Australie, qui était son premier client pour le charbon jusqu’à octobre 2020, la seconde puissance économique mondiale, vorace en matières premières, s’est mise en ordre de bataille pour assurer sa subsistance. Après avoir imposé des restrictions sur la consommation de charbon, que le gaz est appelé à remplacer dans la production d’électricité, et alors que les coupures d’électricité de plus en plus nombreuses et longues ont entraîné des fermetures d’usines au cours de l’hiver 2021, Pékin a réactivé l’an dernier l’extraction et la production domestique de charbon, « ingrédient » qui assure encore à 60 % la production de son électricité. 

Augmentation de la production nationale chinoise

Les achats chinois de charbon ont encore enregistré en 2021 le plus haut niveau historique depuis 2013 avec 323,22 Mt, selon les chiffres de l'administration des douanes chinoises. Mais Pékin a fixé un objectif de production quotidienne de charbon de 12,6 Mt pour 2022, soit plus que le précédent pic de 12,4 Mt par jour établi en décembre, ont rapporté des médias officiels. China Energy Group, le plus grand producteur de charbon du pays, a déclaré la semaine dernière que sa production de charbon avait augmenté de 6,7 % au premier trimestre par rapport à l'année précédente, pour atteindre 152 Mt.

La société de conseil CRU a revu à la baisse ses prévisions pour 2022 concernant les importations chinoises de charbon thermique par voie maritime à 180 Mt, soit 30 % de moins que l'année dernière, en raison des prix élevés du charbon et de la forte production intérieure. La baisse de la demande chinoise pourrait lâcher la pression sur les prix mondiaux qui devraient inéluctablement grimper en flèche du fait de la bataille acharnée pour trouver du charbon non russe de par le monde alors que les principaux exportateurs, l'Australie et l'Indonésie, ont déjà atteint leurs limites de production.

Les contrats à terme sur le charbon thermique australien liés aux prix de référence de Newcastle ont atteint 281,65 $ la tonne en fin de semaine dernière tandis que ceux de Zhengzhou en Chine étaient inférieurs de moitié à 802,4 yuans (126,15 $/t). Russe ou pas, si les prix du charbon russe subissent une décote, la Chine pourrait augmenter ses importations, probablement de 20 Mt de plus que l'année dernière, estime un analyste de Wood Macenzie, société de conseil dans les domaines de l'énergie, dans un entretien à Reuters.

En Europe, le même rallye

Les acheteurs européens n’échappent pas au rallye. Et ils ont même anticipé ce qui paraissait de toute façon inéluctable. En mars, les pays européens ont importé 7,1 Mt de charbon thermique, utilisé pour la production d'électricité et de chaleur, soit une augmentation de 40,5 % sur une base annuelle et le niveau le plus élevé depuis mars 2019, selon le courtier maritime Braemar ACM, qui s’est basée sur les données de suivi des navires. 

« Malgré le fait que les expéditions de charbon russe vers l'Europe en mars se maintiennent toujours aux niveaux d'avant-guerre, l'altération attendue des flux de charbon vers l'Europe a commencé à se manifester. Les exportations en provenance de Colombie et des États-Unis ont été fortes en réponse au conflit, les fournisseurs de l'Atlantique offrant l'alternative la plus rentable », complète le courtier.  

Selon ses données, 3,5 Mt de charbon thermique russe ont été importées dans l'UE en mars, le total mensuel le plus élevé depuis octobre 2020. Les flux se repositionnent en effet vite. Avec 1,3 Mt en mars, l’origine Colombie est en hausse de 47,3 % par rapport à la même période de l’an dernier. La provenance américaine (809 000 t en mars) a bondi de 30,3 % sur un an. Les arrivées depuis l’Afrique du Sud ont également repris avec 287 000 t en mars alors qu’elles étaient inexistantes en mars 2021. L'Australie a retrouvé du crédit auprès de l'Europe, avec 537 000 t au premier trimestre contre le grande vide en 2021, liste Braemar. 

Les vraquiers vont se régaler 

Mais l'Indonésie et l'Australie, parmi les premiers exportateurs mondiaux de charbon, ne sont pas susceptibles de répondre à la demande de l'Europe pour des approvisionnements supplémentaires, ont averti les grandes exploitants eux-mêmes. 

Il n’y a pas que le charbon thermique auquel il faudra pourvoir. La société australienne Coronado Global Resources, qui exploite du charbon métallurgique (celui utilisé pour la fabrication de l'acier) en Australie et aux États-Unis, a reçu ces dernières semaines des demandes de l'Europe, a déclaré un porte-parole du producteur. 

Les panamax et capesize ne devraient que mieux se porter, se réjouissent les analystes de la société de conseil en transport maritime MSI. La nécessité pour le vieux continent de s’achalander dans des destinations plus lointaines favorise les tonnes-milles. Est-ce que l’équation tient si la flambée des cours mondiaux poussent la Chine et l'Inde, les deux plus grands acheteurs mondiaux, à pousser leur production domestique ? 

Adeline Descamps

 

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