Aux prix actuels, qui ont plus que quadruplé au cours de l'année écoulée alors que la demande de charbon a explosé pour minimiser l’achat de gaz naturel fort coûteux, l'Europe verse environ 25 M$ chaque jour à la Russie pour son charbon, selon le groupe de réflexion Bruegel*.
L'UE, qui importe le diamant noir de Russie pour une valeur de 4 Md€ par an, a ainsi choisi l’énergie qui la sanctionne le moins pour frapper le secteur énergétique russe pour la première fois. L’embargo entrera en vigueur début août, 120 jours après la publication du nouveau paquet au journal officiel de l'UE. Le prix du contrat API 2 de mai, qui est la principale référence pour le charbon importé en Europe, a bondi à 300 $ la tonne ces derniers jours, soit une hausse de 43 $ la tonne.
« La décision de l'Union européenne d'interdire les importations de charbon en provenance de Russie affectera jusqu'à 70 % des importations de charbon thermique en Europe », assure Rystad Energy dans une de ses dernières études.
La Russie a exporté 238 Mt de charbon en 2021, dont 38 % (90 Mt) étaient destinées aux pays européens de l'OCDE (plus l'Ukraine), selon l'US Energy Information Administration. La demande totale de charbon de l'Europe a atteint environ 630 Mt l'année dernière, ce qui signifie que le continent dépend de la Russie pour environ 14 % de son approvisionnement total en charbon. Si l'on considère uniquement les importations de charbon thermique dans l'UE, qui sert à produire de l’électricité, la dépendance est beaucoup plus forte, puisque la Russie fournit 70 % d’un charbon à haute énergie, essentiel pour les centrales électriques conçues pour fonctionner avec ce type de bitumineux.
Alternatives au charbon russe
L'Europe de l'Est, en particulier l’Allemagne, est particulièrement concernée car les États membres produisent une part importante de leur électricité avec du charbon thermique russe. Les dernières sanctions vont inévitablement les contraindre à chercher d'autres sources d'approvisionnement sur un marché particulièrement tendu du fait d’une très forte demande. Le gaz et le charbon, qui se concurrencent en tant que principales sources pour produire de l'électricité, l’un prévalant sur l’autre en fonction de leurs cours, auront donc un impact direct sur le marché de l'électricité, se négociant actuellement à des niveaux déjà exceptionnellement élevés.
« Il n'existe pas de substitut facile au charbon russe dans le mix énergétique européen. Les consommateurs européens, des grandes entreprises aux ménages, doivent s'attendre à des prix élevés pour le reste de l'année 2022, car le charbon et le gaz sont essentiels pour répondre à la demande d'électricité du continent », prévient Carlos Torres Diaz, analyste spécialisé chez Rystad Energy.
Le contexte rend très difficile la diversification du sourcing. « Les fournisseurs du marché du charbon thermique maritime ont déjà atteint leur maximum en termes de volumes d'exportation, de sorte qu'il existe une véritable pénurie de charbon disponible, indique Rystad. Les États-Unis pourraient éventuellement libérer une partie de leurs approvisionnements en charbon sur le marché international pour rétablir l'équilibre, mais pas dans les proportions qui semblent nécessaires. Les prix devraient donc augmenter encore plus, car les acheteurs se disputent le charbon non russe et la situation sera amplifiée si d'autres pays ou entreprises de la région Asie-Pacifique devaient également imposer les importations de charbon russe. »
Les pays qui continuent à acheter du charbon russe, comme la Chine, pourraient a contrario tirer profit d’une combustible qui, faute de trouver preneur sur le marché, sera décoté.
Le BDI en réaction
La situation ne va pas aider la situation des vraquiers alors que depuis quelques jours, le marché avait repris une course haussière, ayant amorcé le deuxième trimestre de l'année sur un ton relativement positif à l’exception des capesize qui ont apparemment échoué à plusieurs reprises à capter la dynamique. « La crise en Ukraine a ajouté une bonne dose de bruit au marché, avec des conséquences potentiellement imprévisibles sur les macros mondiales, indique Allied Shipbroking, qui s’inquiète des impacts de la hausse persistante des cours des matières premières, des taux d'intérêt et de l'inflation sur les flux maritimes.
L'indice du fret maritime pour le vrac sec de la Baltic Exchange a atteint jeudi dernier son plus bas niveau depuis plus de cinq semaines, en raison de la baisse des taux dans tous les segments de navires. Le BDI, qui fournit une évaluation du prix à payer pour transporter les principales matières premières sur 26 routes maritimes, a perdu 67 points, soit 3,2 %, pour atteindre 2 061 points.
Les revenus journaliers des capesize, bêtes de somme pour le transport du minerai de fer et le charbon, ont perdu 602 $ pour atteindre 11 753 $. « Les niveaux des grands navires continuent de baisser, car la lenteur de la rotation des ports et l'augmentation de la congestion ne suffisent pas à compenser la baisse marquée des volumes de minerais négociés par rapport à la même période l'année dernière », relève Fearnleys dans sa dernière note hebdomadaire sur le segment des capesizes.
Les gains quotidiens moyens des panamax (capacité de 60 000 à 70 000 tpl), qui transportent du charbon ou de céréales, ont également chuté de 806 $ pour s’établir à 25 003 $.
Adeline Descamps
* 450 M$ pour le pétrole brut et les produits raffinés, et 400 M$ pour le gaz.