Transport de voitures : un marché en pleine effervescence

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Paradoxalement, alors que l’industrie automobile est à la peine, contrainte de suspendre la production en raison de la crise mondiale des semi-conducteurs, les exploitants de porte-véhicules sont portés par des taux de fret et niveaux d’affrètement historiques alors que les navires manquent après des années de sous-investissement.

Ces dernières années, le marché a livré d’impressionnants transporteurs de voitures et de camions (PCTC, Pure car, truck carrier) à l’instar des Beluga Ace (MOL), Glovis Stella (Hyundai Glovis), Siem Confucius (Siem), Century Highway Green (K-Line), Tannhauser (Wallenius Wilhemsen), Hoegh Tigger (Hoegh Autoliners), Ephesus Seaways (DFDS), ou encore la classe Grimaldi Green 5th Generation (GG5G), les Eco Catania, Eco Valencia, Eco Livorno, Eco Barcelona, Eco Malta (il y en aura douze au total)...Ils mesurent tous plus ou moins 200 m de long, affichent une capacité de charge entre 15 et 20 000 tpl, qui permet d’embarquer 7 à 8 500 voitures (car equivalent units, CEU) et naviguent à une vitesse maximale moyenne de 20-21 nœuds.

Certains d’entre eux ont été médiatisés. Le Tannhauser s’est rendu célèbre pour avoir transporté les 3 600 premières Tesla Model 3 fabriquées en Chine (alors qu’elles étaient jusqu'à présent de construction américaine) destinées au marché européen où elles ont été réceptionnées à Zeebrugge.

Plusieurs carburent au GNL. Les transporteurs de voitures font partie des catégories de navires ayant opté plus franchement pour le gaz naturel liquéfié, seule alternative décarbonée à l’heure disponible. Selon les données de la plateforme Alternative Fuels Insight de la société de classification DNV, il y a actuellement 95 car-carriers au GNL en commande sur un carnet de commandes, tous navires confondus, de quelque 800 unités.

Verdissement accéléré de la flotte

Ces derniers mois, les annonces visant à la décarbonation du secteur se sont multipliées dont la dernière en date, révélée par le directeur général Emanuele Grimaldi à TradeWinds le 15 septembre. Le groupe italien a signé une lettre d’intention avec les chantiers navals du China Merchants Group pour la commande d’une valeur de 1 Md$ pour une série de dix porte-voitures d’une capacité de 9 000 CEU à l'ammoniac. 

Le norvégien Höegh Autoliners a également fait un pas supplémentaire en avril dernier vers la neutralité carbone, qu’il compte atteindre d’ici à 2040, en exerçant auprès de China Merchants Heavy Industries (CMHI) de nouvelles options dans le cadre de sa nouvelle classe Aurora de très grands voituriers (jusqu’à 9 100 voitures), classifiée ammoniac et méthanol par DNV.

Les quatre navires supplémentaires – qui fonctionneront dans un premier temps au GNL et biocarburants – porte ainsi son programme à huit. La compagnie maritime conserve son option existante pour un autre quatuor jusqu'à la fin du mois de juillet 2023. La livraison est prévue tous les six mois à partir du second semestre de 2024. Selon le transporteur, ils seront alors les premiers du segment PCTC à pouvoir fonctionner à l'ammoniac sans émission de carbone.

Arrivée de nouveaux acteurs

D’autres montent en puissance. Hyundai Glovis, actuellement engagé avec le groupe Volkswagen pour transporter ses voitures entre l'Europe et la Chine jusqu'à la fin de 2024, prévoit aussi d'acquérir de nouveaux navires dans le cadre d’un contrat de 1,58 Md$ avec un « constructeur automobile mondial » dont la compagnie tait le nom tout en soulignant qu’il s’agissait du « plus gros contrat de fret maritime jamais signé avec un seul constructeur automobile ». La société sud-coréenne, détenue à 20 % par le président du groupe Hyundai Motor, Euisun Chung, et à 4,88 % par Hyundai Motor, cherche à diversifier son fret maritime, en dehors de la galaxie Hyundai. En dix ans, entre 2010 et 2021, elle est parvenue à faire passer ses contrats avec d’autres marques de constructeurs de 12 à 61 %. 

Cosco Shipping est aussi actif dans le secteur. En juillet, le groupe de transport maritime chinois a annoncé la création d’une coentreprise avec SIPG Logistics (37,5 %) et Saic Anji Logistics (20 %). Objet : se lancer dans le transport des PCTC.

Saic Anji Logistics est la branche logistique de Saic motor, constructeur automobile en tête des ventes sur le marché chinois grâce aux coentreprises formées avec Volkswagen (Saic-Volkswagen) et General Motors (Shanghai GM, Saic-GM-Wuling Automobile), mais aussi grâce à sa politique de rachat de concurrents.

Les partenaires ambitionnent d’exporter plus de trois millions de voitures chinoises en 2022. Sur les 5,6 millions d’unités vendues en 2020, dernières statistiques connues, le constructeur chinois en a pourtant exporté « que » 390 000 hors de Chine, dont 230 000 de la marque britannique MG (rachetée en 2007 peu avant l’acquisition de Rover).

La nouvelle compagnie, qui va démarrer avec les ressources de Cosco Shipping Specialized Carriers (cinq transporteurs de voitures), sa filiale qui arme des multipurpose pour le fret de projets industriels (breakbuk), a passé commande, en deux temps, de quinze et six navires alimentés au GNL d’une capacité de 7 500 CEU auprès de quatre chantiers navals chinois. Saic Anji Logistics est engagé pour sa part sur six unités au GNL (d’une capacité de 7 600 et 7 800 CEU) confiées à Jiangnan shipyard.

Le propriétaire de navires canadien Seaspan vient aussi se lancer sur le marché en pleine effervescence avec sa première commande de PCTC bicarburants au GNL. Fin août, il était à un stade avancé dans ses négociations avec Shanghai Waigaoqiao Shipbuilding.

Crise mondiale de l’industrie automobile

Le segment bouillonne alors que l'industrie automobile a été « la première victime de la crise mondiale des semi-conducteurs », selon l’assureur Allianz Trade. Faute de composants électroniques, la construction automobile accuse un déficit de production de plus de 18 millions de véhicules dans le monde par rapport à 2019 (90 millions d'unités produites).

Depuis 2020, le secteur est freiné par des tensions dans la chaîne d'approvisionnement du fait des blocages à répétition en Chine puis de la guerre en Ukraine. Allianz Trade estime que la pénurie de semi-conducteurs a déjà coûté 50 Md€ à l’Europe en perte de valeur ajoutée en 2021, dont 47,5 Md€ en Allemagne.

Grandes liquidités 

Pour autant, de fortes liquidités drainent le segment du car-carrier alors même que 80 % de leur marché sont apportés par les expéditions de voitures neuves en provenance des usines. Les taux de fret et les tarifs d’affrètement atteignent des sommets inégalés, de trois fois plus élevés que la moyenne décennale.

D'un minimum de 10 000 $/j, à la mi-2020, le taux d'affrètement pour une durée d’un an d’un navire d’une capacité de 6 500 véhicules a atteint le niveau record de 62 500 $/j en juin. « Il avait fallu plus de six ans pour que les tarifs passent d'environ 20 000 à plus de 50 000 $/j lors du boom de 2002 à 2008 », indique Clarksons pour témoigner du phénomène.

Clarksons Platou Securities estime qu'entre 100 et 200 nouveaux navires seront nécessaires entre 2024 et 2030 pour répondre à la croissance de la demande et compenser l'attrition due à l'âge et aux nouvelles réglementations. « Les propriétaires de transporteurs de voitures se dirigent vers de gros bénéfices dans les années à venir, car la croissance de la flotte reste très faible », soutient la filiale du groupe Clarksons.

La croissance nette de la flotte (764 navires totalisant 4 millions de CEU) ne devrait être que de 0,9 % en 2022 et de 0,7 % en 2023. En 2024, davantage de navires devraient être livrés, mais la croissance nette de la flotte restera inférieure à 3 %. Clarksons Platou prévoit en outre une croissance des volumes de 9 % en 2022 et de 6 % en 2023.

Des bénéfices importants

La situation profite surtout à Hoegh Autoliners et Wallenius Wilhelmsen, les leaders mondiaux du secteur, qui ont habituellement des contrats à long terme avec les constructeurs automobiles. Pour Wallenius Wilhelmsen, le semestre s’est soldé par un Ebitda en hausse de 106 %, à 620 M$ et un résultat net de 126 M$ au deuxième trimestre, légèrement inférieur aux 177 M$ de la même période de l'année dernière.

Lasse Kristoffersen (ex-PDG de Klaveness), qui a pris les rênes récemment du transporteur norvégien, s'attend à l'atténuation de la pénurie de composants et à une production mondiale de voitures de l’ordre de 80 millions de voitures en 2022 et 86 millions l'année prochaine.

Le deuxième propriétaire de porte-voitures avec une flotte de 40 unités, Höegh Autoliners, dont Maersk est le deuxième plus grand actionnaire (38,2 % avant l’introduction en bourse en 2021), a également réalisé d'importants bénéfices avec un Ebitda de 177 M$ en progression de 121,2 %, notamment grâce à un taux de fret de 60$/m3.

Problématique des batteries lithium-ion

À court terme, le secteur a néanmoins une grosse problématique à régler qui ne va faire que s’amplifier avec l’électrification des voitures, leur soif de connectivité tandis que le besoin de sécurité les truffe toujours plus de capteurs. La récurrence des incendies à bord, dans lesquels les batteries lithium-ion (Li-ion) sont imputées, est inquiétante. Emanuele Grimaldi, particulièrement concerné avec quelques mémorables accidents, s’est à plusieurs reprises emparé du sujet, appelant à la responsabilisation collective de la chaîne.

« Avec l’essor de la voiture électrique, de plus en plus de véhicules contenant des batteries lithium-ion seront transportés par mer à l’avenir, explique le capitaine Rahul Khanna, directeur mondial du conseil en risques maritimes chez Allianz Global Corporate & Specialty (AGCS). Les batteries ne constituent pas seulement une cause potentielle d’incendie lorsqu’elles sont endommagées, surchargées ou soumises à des températures élevées. Elles peuvent aussi aggraver d’autres sources d’incendie en mer et provoquer des feux difficiles à éteindre, qui peuvent se rallumer plusieurs jours ou semaines plus tard ».

Les mésaventures du Felicity Ace, qui a sombré avec sa cargaison de berlines de luxe en mars 2022, et du Höegh Xiamen en Floride en 2020 ont clairement mis en cause un défaut de déconnexion et d’amarrage des batteries de véhicules. 

Adeline Descamps

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