Après le dénommé Grain de Sail II de la compagnie éponyme livré en mars 2023 – un voilier cargo de 52 m de long et d'une capacité d’emport de 350 t de fret –, c’est un autre navire marchand à voile qui a été livré ce 1er août à son armateur, le Havrais Towt (TransOceanic Wind Transport). Impressionnant par son envergure et sa stature : deux mats en carbone de 63 m de haut, 3 000 m2 de surface de voile pour naviguer au portant, une coque de 81 m de long et de 15 m de large.
L’Anemos est de R&D et de construction quasi française, le chantier Piriou de Concarneau à la manoeuvre. Si son site en Roumanie s'est chargé de la coque, l'armement a été effectué à Concarneau, au plus près des services d’ingénierie du constructeur tandis que les mâts ont été fournis par Lorima et les voiles par Incidence Sails à Lorient. Mais H&T, le groupe Wichard, Actemium Marine, Acems, Paumier Marine ou encore BioSea…, issus de l’écosystème maritime tricolore, ont également été impliqués, à des degrés divers, dans la construction du navire.
À la voile à 95 %
On savait sa livraison imminente après deux ans et demi dans les cales et des essais en mer en juin. La tête de série d'une classe (Phénix) de huit unités devrait entrer en service dès la semaine prochaine pour son voyage inaugural vers New York depuis Le Havre. En référence à la mythologie grecque, l’Artemis, sistership de l'Anemos, est réalisé parallèlement dans le chantier vietnamien de Piriou, à Ho-Chi-Minh Ville.
En avril dernier, le transporteur a commandé six navires supplémentaires, dont la livraison est prévue entre début 2026 et mi-2027. Enregistrés sous pavillon français (Rif), armés par sept à huit marins, ils sont conçus pour naviguer en long-courrier à 95 % du temps à la voile, la propulsion avec deux moteurs à quatre temps (2 x 422 kWm à 1790 tr/min) intervenant en appoint.
La navigation, qui bénéficie des technologies issues de la course au large, est optimisée par un système de routage autonome reposant sur l’intelligence artificielle et les données météorologiques. Le navire est en outre équipé d’un système de récupération de l'énergie de sillage grâce aux dynamos et aux hélices à pas variables.
En ayant recours à la seule force du vent, « ressource fiable au large, inépuisable, abondante et prédictible », est-il consensuellement admis, Towt promet un taux de décarbonation d’au moins 92 % et jusqu’à plus de 99 % pour les émissions de CO2, de 98 % pour celles d’oxydes de soufre (SO2) et de 92 % pour les oxydes d’azote (NOx) par rapport à la moyenne des porte-conteneurs de taille équivalente en exploitation sur la même route.
« L’empreinte carbone du voilier cargo est inférieure à 2 g par tonne transportée et par kilomètre parcouru pour une route transatlantique [20,2 g pour un porte-conteneurs de 1 150 -3 500 EVP, NDLR]. D’ici 2025, nous pourrons ainsi garantir 9 600 t d'émissions de CO2 économisées chaque année au départ et à l’arrivée du Havre, et 72 000 t par an de marchandises passées au transport bas carbone », assure la direction de l’entreprise.
Passage à l'échelle
La compagnie fondée en 2011 à Douarnenez par Guillaume Le Grand (président) et Diana Mesa (qui assure la direction générale) opère depuis 13 ans sur le transport de marchandises à la voile avec des gréements affrétés (une vingtaine), ce qui lui a permis d'asseoir son modèle économique.
Avec ce passage à l’échelle, l’armateur veut faire la démonstration d'une logistique marime sobre en carbone qui soit aussi performante que la propulsion fossile. Les navires devront assurer les dessertes intercontinentales à une vitesse de 10 nœuds en moyenne pour offrir un transit time égalant le transport maritime conventionnel (transbordement et dédouanement inclus). Soit deux semaines entre Le Havre et New York/New Jersey et un peu plus vers Shanghai.
Avec huit unités, la compagnie alignera une capacité d'emport de 200 000 t de marchandises à raison de 1 100 t en vrac palettes par navire (+ l’équivalent de 135 barriques de vins ou spiritueux ou plus de 100 conteneurs).
Lors de l’annonce, en avril, Guillaume Le Grand faisait alors état d’une « traction commerciale » de plus de 400 M€ de contrats signés en 10 ans et assurait disposer d’engagements pluriannuels avec plus de 50 clients parmi lesquels figurent de grandes marques de café, de vins et spiritueux, de chocolats (Café Belco, rhums Longueteau, Martell Mumm Perrier-Jouët, Cémoi, etc.). Fin décembre, son premier navire affichait déjà un taux de remplissage proche de 90 % avec 140 M€ de commandes sécurisées et un seuil de rentabilité couvert à 113 % sur la période 2023-2025.
Routes pendulaires
Dans son programme de navigation initial – dispositif de routes pendulaires avec une seule escale –, l’armateur prévoit quatre services cette année et neuf en 2025 pour monter à douze en 2026, soit une fréquence mensuelle.
Dans sa proposition commerciale, la direction fait valoir des taux de fret de l’ordre de quelques dizaines de centimes d’euros par kg (tarification présentée en décembre), affranchis naturellement des fluctuations liées aux combustibles de soute et autres surcharges tandis que les droits de ports sont réduits grâce à des escales dans des terminaux moins fréquentés et un chargement/déchargement plus rapide.
Plan de financement
L’entreprise a ouvert en 2022 son capital à hauteur de 47 % à une vingtaine d’investisseurs parmi lesquels Après-demain S.A., Crédit Agricole Normandie Seine, Idec…. Cette levée de fonds de 43 M€ (4,5 M€ en obligations convertibles), a permis d'enclencher la construction des deux premiers voiliers.
À l'occasion d'un second tour, ils entendaient lever, selon nos informations (mais non corroborées par les intéressés) plus de 100 M€. Avec le développement de sa flotte, la société vise 60 M€ de chiffre d'affaires d’ici 2028 et prévoit la création de 150 emplois directs et 500 indirects.
Adeline Descamps
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