Obsessionnels du contrôle, passez votre route. Le monde est à l’étouffée. Toute normalité est atomisée. Le film qui s’y joue est violemment quotidien, quotidiennement violent.
Depuis trois ans, la topographie heurtée du transport maritime éponge tous les soubresauts d’un monde inquiet qui cherche son marchepied vers un immédiat plus stable.
Ce qui s’apparentait il y a encore deux ans à des anomalies – pandémie planétaire, perturbations de la supply chain, tohu-bohu dans les flux, bâbord-tribord des navires –, est devenu un monstrueux maelström à l’échelle planétaire depuis que deux guerres « éclatées » à quelques mois d’intervalle ont pulvérisé toutes les certitudes.
En deux temps, trois mouvements, le radar des tensions géopolitiques s’est réglé sur le logiciel des dérèglements climatiques, le curseur bloqué à la pression souterraine sous-jacente.
La guerre entre Israël et le Hamas palestinien, qui se déroule dans des aires mal cartographiées, a déjà métastasé dans l’esprit des révolutionnaires de Sanaa dont le vieux fond de revendications était apparemment mal liquidé.
Le transport est sens dessus dessous : la mer noire sous séquestre, l’OPA de la Chine et de l’Inde sur le pétrole russe dont l’Europe ne veut plus, le raid européen sur le GNL américain qui boycotte la Chine, le commerce des céréales qui tente de se frayer un sillon dans une mer souillée par les mines, les coups de menton de Xi Jinping dans le détroit de Taïwan où un camp hostile à Pékin vient d’emporter une présidentielle, la perspective du retour de Donald Trump, dont la « taxopathie » aiguë et le goût pour les barrières commerciales sont bien documentées... Il faut ajouter, à cette longue liste, des navires qui se font canarder en mer Rouge.
Tout contribue à créer un bruit de fond ambiant sur l’idée que le monde, qui ne manque pas de régions éruptives, serait au bord de la rupture permanente. Avec toujours une guerre d’avance.
La maîtrise de la mer redevient un enjeu de pouvoir dans le rapport de force planétaire, que le chef d’État français a lui-même élevé en risque systémique dans un discours récent.
À l’heure où tout le monde s’interroge sur les effets de la énième crise – le scénario du bégaiement de l’ère Covid ne tient plus la corde, la thèse d’un nouveau départ de feu inflationniste reste populaire –, les acteurs de la supply chain ont des préoccupations plus immédiates.
La chaîne d’approvisionnement va-t-elle avoir, cette fois, les fixations suffisamment solides alors que les délais de livraison se tendent sous l'effet d'un détournement en meute des porte-conteneurs vers la pointe de l’Afrique pour éviter les zones de guerre ?
« Je pense qu’il est trop tôt pour dire si le secteur a changé ou non, mais nous sommes en train de le découvrir », a indiqué à ce propos Vincent Clerc, le PDG de Maersk.
En attendant, il nous faut vous dire que nous venons à peine de vivre les premiers jours de l’année 2024. Il en reste 351, année bissextile oblige.
■ Adeline Descamps
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