Surenchère d’ambitions climatiques et course au leadership du combat contre le réchauffement de la planète. À la veille d'un sommet sur le climat initié par le président américain Joe Biden, lors duquel Washington va effectuer une grande volte-face par rapport à l’administration Trump et dévoiler des objectifs révisés, Eurodéputés et États de l'UE sont parvenus in extremis à un compromis. Ils se sont entendus sur l'objectif d'une réduction nette d'« au moins 55 % des émissions de gaz à effet de serre de l'UE d'ici 2030 par rapport au niveau de 1990 ».
Un différentiel de 5 % – le Parlement européen demandait une baisse d’au moins 60 % – avait conduit les négociations dans l’impasse ces derniers mois. Le déballage de plans ambitieux a manifestement fait redescendre sur Terre les dirigeants des Vingt-sept et les parlementaires. Un accord a été trouvé à l’issue quatorze heures de négociation. L’objectif de l'ensemble des Vingt-sept (et non individuellement à chaque État membre) sera intégré à la loi climat en préparation et deviendra ainsi juridiquement contraignant.
Un ajustement américain nettement plus ambitieux que l’OMI
Dans le même temps, le Premier ministre britannique Boris Johnson a également resserré la vis en annonçant que le Royaume-Uni atteindrait une réduction de 78 % (par rapport aux niveaux de 1990) ses émissions de gaz à effet de serre d'ici 2035, soit quinze ans plus tôt que ce qui avait été annoncé précédemment. Il deviendrait ainsi le « premier pays au monde à inclure le transport maritime et aérien dans les nouvelles politiques climatiques ».
Washington, qui entend « réorienter l’agenda climatique mondial » doit reprendre mot avec les Accords de Paris qui visent à maintenir le réchauffement sous les + 2 °C, si possible + 1,5 °C, par rapport à l'ère préindustrielle. Le secrétaire d'État John Kerry, désigné par Joe Biden pour être le M. Climat, a annoncé lors d'une conférence organisée par Ocean Conservancy en amont du sommet sur le climat que « les États-Unis s'engageaient à collaborer avec les pays de l'OMI afin d'adopter l'objectif de zéro émission nettes pour le transport maritime international au plus tard en 2050 ».
Une bataille autour des objectifs d’émission ?
Outre le changement de donne après à la présidence Trump, l'annonce marque un ajustement significatif par rapport aux actuelles ambitions climatiques de l'OMI. Les États membres se sont entendus sur une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) générées par les navires d'au moins 50 % d'ici à 2050. Une étape intermédiaire est prévue : baisser l'intensité en CO2 du transport maritime international de 40 % en 2030. L’échelle de l’OMI pour parvenir au zéro absolu sollicité par le nouveau Secrétaire d’État américain – à savoir que les GES du transport maritime soient totalement éliminés – est ce siècle. Les États-Unis (d’avant Biden) et l'Arabie saoudite avaient refusé d’apporter leur soutien officiel à cette ligne de conduite.
La Chambre internationale de la marine marchande (International Chamber of Shipping, ICS), le BIMCO, le World Shipping Council (WSC) et la Cruise Lines International Association (CLIA) profitent de cette visibilité médiatique pour presser les gouvernements de s’entendre sur la manière dont les mesures obligatoires fondées sur le marché pourraient être mises en œuvre dans le transport maritime international. Elles ont formalisé cette demande dans un document commun adressé aux Nations unies à la veille du rendez-vous des 22 et 23 avril dont elles font un précurseur essentiel de la COP26 et du prochain Comité de protection de l'environnement marin (MEPC) de l'OMI.
Plusieurs organisations représentant différents segments du transport maritime – BIMCO, CLIA, ICS, WSC (World Shipping Council) notamment – avaient déjà demandé à l’OMI d'avancer de plusieurs années les discussions sur ces mesures de réduction des émissions.
Un signal de prix clair
La fixation d'un prix pour les émissions de CO2 générées par le transport maritime est déterminante, notamment pour inciter économiquement un secteur à réduire ses émissions et creuser l’écart entre les énergies fossiles et les alternatives sans carbone. En clair, plus la taxe sera lourde, plus elle déclenchera des comportements vertueux. Plus elle sera progressive aussi, plus elle permettra de préserver les équilibres du marché.
Pour qu'un signal de prix fonctionne, indiquent les représentants de l’industrie maritime, il doit y avoir des alternatives viables aux combustibles fossiles. Or, elles ne cessent de le marteler depuis des mois : le développement de technologies sans carbone qui n’existent pas aujourd’hui, supposeront une révolution dans la motorisation et les carburants pour « sortir d’usines » des navires sans carbone d'ici le début des années 2030. Ces ruptures vont nécessairement engager des investissements conséquents, un « iceberg financier » pour ce qui s’apparente à une « quatrième révolution de la motorisation », décrit même l’ICS.
Mécanisme concerté
À cette fin, huit des principales associations internationales d'armateurs – BIMCO (exploitants et propriétaires de flotte représentant 65 % du tonnage mondial), CLIA (compagnies de croisière) ICS (International chamber of shipping), Intercargo (armateurs de vrac sec), Interferry (armateurs ferries), Intertanko (armateurs pétroliers), International Parcel Tankers Association, et WSC (World Shipping Council) – ont porté dès 2019 auprès de l’OMI la proposition d’un fonds doté de 5 Md$ pour assurer la R&D nécessaire à la création des technologies permettant de décarboner le secteur. Celui-ci serait abondé par les compagnies maritimes à raison d'une contribution obligatoire à la R&D de 2 $ par tonne de carburant, estimation établie sur l'hypothèse d’une consommation d'au moins 250 Mt par an.
L’industrie du transport maritime demande en outre que tout « mécanisme soit juste et équitable » et, selon une approche concertée. Elle fait là écho aux préoccupations soulevées par les systèmes unilatéraux de tarification du carbone, à l’instar de l’initiative européenne qui veut intégrer le secteur dans son système d'échange de quotas d'émission (SCEQE ou ETS, Emission Trading System), que d’aucuns considèrent comme une mesure de distorsion de marché.
Adeline Descamps