Les États-Unis réactivent tous les logiciels d'avant-covid. Sanctions, listes noires, menaces de taxes… La détérioration des relations entre les États-Unis, l’Iran, le Venezuela et la Chine prend à nouveau en otage le transport maritime. Quels impacts sur le pétrole, le gaz et le vrac sec...
Retour effectif du régime des blâmes et regain de rivalités entre pays ennemis. Les États-Unis ont annoncé l’entrée en vigueur le 8 juin de sanctions à l’encontre de la compagnie maritime IRISL et de sa filiale basée à Shanghaï, E-Sail Shipping. Ces mesures avaient été annoncées en décembre, mais un « délai généreux » de six mois, selon les termes du chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo, avait été accordée pour la mise en œuvre de façon à « permettre aux exportateurs de biens humanitaires vers l’Iran de trouver des moyens de transport alternatifs ». Désormais, les entités commerciales ou maritimes qui veulent continuer de faire affaire avec l’Iran doivent trouver d’autres navires ou moyens de transport maritimes, a signifié l’administration américaine. Le 15e transporteur mondial de conteneurs par la mer est, à vrai dire, dans le collimateur des administrations américaines depuis longtemps. En 2008, il était déjà soupçonné d’activité terroriste…
Depuis le 8 mai 2018, date à laquelle l’Amérique de Donald Trump a dénoncé l’accord multilatéral conclu en 2015 entre l’Iran et le groupe 5+1 (Allemagne, Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni et Russie), le pays de Hassan Rohani a basculé à nouveau parmi les pays commercialement infréquentables. Entré en vigueur début 2016, le JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action) venait en effet clôturer un contentieux sur le nucléaire vieux de plus de treize ans et devait garantir le caractère civil du programme nucléaire iranien en soumettant le pays à un strict contrôle de ses activités en contrepartie de la levée partielle et progressive des sanctions économiques internationales.
Retirée de ce pacte historique, la Maison-Blanche interdit à toute entreprise traitant avec Téhéran de faire du business aux États-Unis. Le couperet s’applique aux opérations portuaires, au transport maritime, à la construction navale et au négoce de pétrole depuis novembre 2018. CMA CGM et Maersk, qui ont des établissements Outre-Atlantique, ont rapidement annoncé qu’ils cessaient leurs activités avec la République islamique. L’armateur français avait pourtant signé en 2016 un VSA avec Irisl (Islamic Republic of Iran Shipping Lines). Les armateurs iraniens – Irisl, NITC ou National Iranian Tanker Co (Nioc) – très impliqués dans le transport d’hydrocarbures iraniens – sont en sursis.
Il s’agit d’un « avertissement clair », a insisté le secrétaire d’État à propos de son différend avec l’Iran : « Tous ceux qui échangent avec ou soutiennent l’IRISL ou E-Sail s’exposent aux sanctions potentielles » des États-Unis « et risquent de contribuer aux programmes de l’Iran sensibles en matière de prolifération, notamment ses programmes nucléaire et balistique ».
L'Iran à la rescousse du pétrole vénézuélien
Venezuela dans le collimateur
Le gouvernement américain réactive tous ses logiciels d’avant-covid. Il y a quelques jours, il a réinitalisé ses listes noires. L'Office of Foreign Assets Control, département sous tutelle du Trésor américain, a ainsi ostracisé quatre armateurs de tankers pour commerce présumé de pétrole avec le Venezuela. « Les États-Unis réaffirment que l'exploitation des actifs pétroliers du Venezuela au profit du régime illégitime du président Nicolas Maduro est inacceptable et que ceux qui facilitent une telle activité risquent de perdre l'accès au système financier américain », a alors rappelé l’OFAC.
En février, Washington avait par ailleurs pris des mesures contre Rosneft Trading, la division de courtage pétrolier du géant russe Rosneft, pour des activités supposées dans le secteur pétrolier vénézuélien. Fin 2019, les États-Unis avaient également mis six navires sur la liste noire pour leurs connexions supposées avec Petróleos de Venezuela SA (PDVSA), sanctionnée pour son rôle présumé de soutien au gouvernement Maduro.
Pétrole : double choc de l’offre et de la demande
Escalade dans la guerre des mots entre la Chine et les États-Unis
La détérioration des relations entre les deux géants économiques de la planète – la Chine et les États-Unis – est également manifeste. Les amabilités s’échangent à nouveau. Sans se contenter d’accuser Pékin d’avoir répandu dans le monde une pandémie, Donald Trump a demandé à son administration de mettre fin aux mesures commerciales préférentielles accordées à Hong Kong pour dénoncer une loi controversée sur la sécurité nationale imposée par Pékin dans son territoire autonome. Il a par ailleurs demandé à ses collaborateurs d’enquêter sur les entreprises chinoises cotées aux États-Unis. Enfin, la Chine menacerait à ses yeux « la liberté de navigation et le commerce international ». Pékin a dénoncé, il y a quelques jours, par le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Zhao Lijian, la « maladie chronique » du racisme aux États-Unis et exhorté Washington à abandonner sa culture de la guerre froide.
L’escalade dans la guerre des mots intervient à un moment où les importations et exportations retrouvent un peu de vigueur au fur à mesure de la levée des restrictions qui avaient été instaurées pour contenir la propagation épidémique. Les déclarations aux douanes américaines ont fait un bond d'un tiers au cours de la dernière semaine de mai sous l'effet des importations en provenance de Chine. Certains analystes hésitent quant à l’interprétation de ces données : effet de la réouverture progressive des économies des pays ou stockage par anticipation d’une nouvelle guerre des droits de douanes punitifs, ce qui s’était produit fin 2018.
Les États-Unis lèvent les sanctions contre le pétrolier Cosco
Chine, première source d'importations américaines conteneurisées
Pour rappel, la Chine reste de loin la première source d'importations américaines conteneurisées, même si sa part est passée de 46 à 42 % l’an dernier. En 2019, les volumes de conteneurs expédiés en direction Est (Asie de l’Est – Amérique du Nord) ont diminué de 2,5 % alors qu’ils affichaient encore une croissance de 8,3 % en 2018. Cette baisse de volume était une première sur la route transpacifique depuis 2009.
L’accord entre les deux superpuissances, signé le 15 janvier (sans lien avec le Covid), avait rassuré les exportateurs et importateurs même si des droits de douane de 25 % restaient en vigueur bien sur 250 Md$ d’importations américaines en provenance de Chine mais ils avaient été supprimés sur 160 Md$. La Chine s’était pour sa part engagée à augmenter les importations de biens et services américains de 200 Md$ sur deux ans par rapport aux niveaux de 2017, dont 77,7 Md$ en produits manufacturés et 32 Md$ en produits agricoles. Les négociants s’étaient alors pris à rêver que la Chine reprenne ses achats à grande échelle de soja américain...
Adeline Descamps
Transport de pétrole, quel impact ?
La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, qui a fermé le robinet aux importations de pétrole américain, avait largement profité aux pays du Moyen-Orient. Ainsi, les exportations saoudiennes vers la Chine avaient bondi de 44,2 % en 2019, s’élevant à 78,5 Mt, soit le quart de ses ventes en 2019. La demande de tonnes-milles (demande mesurée en volume multiplié par la distance) pour le transport par tankers devait logiquement être impactée dans la mesure où les fournisseurs de courte distance sont favorisés : « Les producteurs du Moyen-Orient auront un avantage en Asie par rapport aux producteurs du bassin atlantique. Les producteurs de schiste américains cibleront davantage de clients en Europe du Nord-Ouest et en Méditerranée », indiquait Poten dans un de ses rapports hebdomadaires. Les analystes craignaient alors pour les taux d’affrètement des VLCC car près de 80 % des expéditions de pétrole brut vers la Chine par voie maritime embarquent sur des grands transporteurs de brut (selon Poten). Mais dans la réalité des faits, en dépit du manque d'achats chinois, les VLCC au départ du golfe des États-Unis ont trouvé d’autres emplois, notamment grâce aux forts volumes vers les pays de l’Asie du Sud-Est. Aujourd’hui, la demande chinoise provenant de sources non américaines semble forte, à en croire les données de Bloomberg qui a compté 127 VLCC « en route vers la Chine ». Comment va évoluer le stockage flottant ? Les observateurs du marché craignent désormais deux autres éléments : les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine pourraient maintenir à la baisse les prix du brut, ce qui n’inciterait pas à décharger le pétrole dormant dans les stockages flottants mais entretiendrait les taux d’affrètement des VLCC à la hausse. Aussi, si les relations entre les États-Unis et la Chine se détérioraient encore, les sanctions américaines pourraient à nouveau viser les transporteurs chinois de produits pétroliers. En septembre dernier, les États-Unis avaient jeté leur dévolu sur six entreprises chinoises, dont deux entités de Cosco Shipping Energy Transportation, pour avoir transporté du pétrole iranien. Cosco Shipping Tanker (Dalian) possédant ou exploitant une cinquantaine de pétroliers dont 26 VLCC, il s’en était suivi une quête frénétique de pétroliers qui avait fait bondir les taux spot des VLCC. Profitant de la baisse des prix du pétrole brut, les importations chinoises de pétrole brut ont atteint des niveaux records en mai, atteignant 48 Mt, contre 40,2 Mt l'année dernière, selon les dernières données du Bimco, organisation maritime représentant les propriétaires et exploitants de navires :
« Au cours des cinq premiers mois, les volumes de pétrole brut importés en Chine ont augmenté de 5,1 %. Les taux de fret des pétroliers ont grimpé en flèche, passant de 33 706 $/j pour la semaine se terminant le 6 mars à 279 259 $/j la semaine suivante. Les taux de fret pour le transport du pétrole brut du golfe Persique vers la Chine ont atteint un sommet pendant la semaine se terminant le 24 avril, à 195 658 $/j, avant de diminuer parallèlement à la réduction de la production de pétrole à partir du 1er mai, pour atteindre 79 794 $/j le premier jour de mai. » A.D. Pétrole : Quel impact sur les plus gros importateurs par voie maritime ? |
Transport de vrac sec, quel impact
Alors que des commandes de soja chinois pour l’équivalent de 618 000 et 737 400 t ont été signalées par le bureau agricole à l'étranger (FAS) américain dans les semaines du 23 avril et 14 mai respectivement, le gouvernement chinois a ordonné récemment aux sociétés d'État Cofco et Sinograin de suspendre leurs achats de produits agricoles aux États-Unis, notamment de soja, de porc, de maïs et de coton, en réponse aux insinuations de Donald Trump. Les analystes indiquent que ce n’est pas nécessairement négatif pour la demande globale de vrac sec dans la mesure où la reconfiguration des flux peut profiter aux longues distances : les exportations américaines perdues vers la Chine pourraient profiter à celles en provenance du Brésil et de l'Argentine. Selon Clarksons Platou Securities, les tarifs des capesize (100 – 190 000 tpl), qui transportent du minerai de fer et du charbon, ont chuté de 57 % en un mois. En revanche, les taux des panamax (60 000 – 99 999 tpl) et des supramax (50 000 – 59 999 tpl), ceux-ci soutenus par les céréales, ont augmenté respectivement de 5 % et de 24 % en glissement mensuel. A.D. |
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