Dernière autorisation post-déflagration du paysage des alliances maritimes depuis la rupture entre MSC et Maersk et le rapprochement d’Hapag-Lloyd et de Maersk. La Federal Maritime Commission, l’autorité de régulation américaine du transport maritime, sourcilleuse quant aux conséquences de l’organisation du secteur en méga alliances en raison du pouvoir de marché qu’elle confère, vient de donner son laisser-passer à Premier Alliance. La nouvelle alliance formée par les transporteurs asiatiques – ONE, Yang Ming et HMM –, pour pallier le départ du leader de l’équipe (Hapag-Lloyd qui convole désormais avec Maersk), va pouvoir opérer entre les États-Unis et l'Asie, le Moyen-Orient et l'Europe.
La requête avait été déposée pour la première fois auprès de la Commission le 28 octobre 2024, mais la date de lancement initiale du 12 décembre a dû être reportée, la FMC ayant demandé plus d'informations dans le cadre de son audit quant aux impacts sur la concurrence de la coopération entre les numéros six, huit et dix mondiaux de la ligne régulière. En principe, l’approbation du régulateur intervient 45 jours après la demande. La pratique, consistant à préciser certains points, n’a rien d’anormal. Il en avait été ainsi pour celle de Gemini entre Maersk et Hapag-Lloyd, les deuxième et cinquième transporteurs mondiaux dont le partenariat consolide une capacité de 3,4 MEVP, fournie à 60 % par Maersk et à 40 % par Hapag-Lloyd.
Le feu vert américain, qui entérine un partage de navires pour une capacité actuelle de de 2,3 MEVP (contre 3,27 MEVP avec Hapag-Lloyd) et future de 3 MEVP (avec la livraison des 14 000 EVP de ONE), est effectif depuis le 9 février. Les premières rotations vers les États-Unis, initialement prévues pour le 3 février, ont quitté l'Asie entre le 10 et le 15 février. ONE (Ocean Network Express), HMM et Yang Ming proposent six boucles Asie-Europe du Nord.
Enième ajustement depuis 2012
Depuis janvier, le transport maritime de conteneurs, qui s'est tellement consolidé ces dernières années que plus de 80 % des capacités se trouveraient contrôlés par moins de dix transporteurs, opère sous une nouvelle configuration d’alliances. Enième ajustement depuis 2012 lorsque les principaux acteurs du transport maritime ont commencé à s’organiser en réseau, le P3 en étant l’ancêtre. Depuis, au gré des mouvements de capital – acquisitions, fusions, disparitions –, les uns et les autres ont changé de partenaires.
La dernière tectonique des plaques a laissé place à quatre blocs contre trois pendant des années. Avec un groupement qui reste inchangé en termes de partenaires et d’approche [Ocean Alliance avec CMA CGM, Cosco/OOCL, Evergreen, soit une capacité actuelle de 4,59 MEVP et de plus de 5 MEVP à venir]. Deux structures – 2M [MSC, Maersk] et THE Alliance [Hapag-Lloyd, ONE, HMM et Yang Ming] –, se sont remodelées en Gemini [Maersk et Hapag-Lloyd] et en Premier Alliance [ONE, HMM et Yang Ming]. Il reste une incongruité en surplomb : MSC, devenu suffisamment puissant (6,4 MEVP mais entre 3 et 4 MEVP en concurrence avec les autres alliances) pour opérer seul sur toutes les lignes.
MSC a ajouté 692 000 EVP à sa flotte en 2024, ce qui représente une croissance supérieure à la moyenne du marché de 12,3 %, après avoir étoffé sa flotte de 10,7 % en 2021, de 7,5 % en 2022 et de 22 % en 2023. L'année dernière, le transporteur contrôlé par la famille Aponte a réceptionné 50 nouveaux navires dont 26 néo-panamax de 15 400 à 16 600 EVP, « bêtes de somme idéales pour son réseau autonome » selon l'expression d'Alphaliner, spécialiste de la ligne régulière.
Toutefois sur certains services entre Europe et Asie, ligne gourmande en capacités, il a contracté un accord de partage de navires (VSA) avec Premier Alliance (pour laquelle l’apport de MSC est vital). Et entre l'Asie et la côte est des États-Unis et le Golfe du Mexique, une coopération de trois ans avec ZIM, déjà lié à l’armateur genevois dans le cadre de 2M.
Une nouvelle approche des réseaux
Ce nouveau paysage s’accompagne surtout d’une approche des réseaux différenciés. Gemini prône la qualité de services (fiabilité horaire) grâce à un réseau en étoile qui dessert quelques hubs portuaires sélectionnés pour être desservis en direct (donc escales limitées) d’où le transbordement s’effectuera sur des « shuttles » (grands feeders), couverts par le contrat commercial et opérant des liaisons plus directes entre le hub et le port « secondaire », cependant de grands ports.
MSC base son offre, lui, sur un maillage serré et une couverture directe d’un grand nombre de ports (non sans risques de retards) quand d'autres doivent recourir au transbordement. C'est le cas d’Ocean Alliance et encore plus de Premier.
Sur un plan opérationnel, cela signifie que, selon les données d'Alphaliner, le plus grand service de MSC entre l’Asie et l'Europe du Nord, le « Lion », qui tourne en 17 semaines au moyen d’une flotte de 17 navires d'environ 24 000 EVP fera escale dans 16 ports chacun à l’aller et au retour. En revanche, les plus grands navires de Gemini sur cette même route [23 600 EVP de Hapag-Lloyd, NDLR] ne vont desservir que neuf ports.
Reste à savoir si les mouvements en cours vont se manifester par un big bang dans la politique commerciale de tout un chacun... La baisse actuelle des taux pratiqués par certains transporteurs sur certaines routes afin de remplir les navires a rapidement été interprétée comme une intention de pratiquer des tarifs inférieurs à la moyenne du marché. En clair, de lancer une guerre des prix.
Adeline Descamps
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