Quels risques pour les navires transitant dans les eaux ukrainiennes et russes ?

Article réservé aux abonnés

Les tensions entre l’Ukraine, l’UE et les États-Unis avec la Russie, hypothèquent de nombreuses matières premières et menacent les équilibres mondiaux des flux maritimes. Le spectre des sanctions internationales est une source d’inquiétudes pour les approvisionnements mais aussi pour la navigation. Le 15 février, le Joint War Committee (JWC), Conseil des risques de guerre du secteur de l'assurance, a ajouté les eaux ukrainiennes et russes de la mer Noire et de la mer d'Azov à la liste des zones à haut risques.

Main de fer et gant de velours. Tout en multipliant les appels à un règlement diplomatique, l'Union européenne agite le spectre des sanctions dont les exportations de part et d’autre – et pas exclusivement russes –, seraient inévitablement des victimes.  

Sans préjuger de l’issue des pourparlers en cours et des erreurs d’interprétation sur la tenue d’un sommet entre parties prenantes, considéré comme acquis par les uns, probable pour les autres, les enjeux sont importants. La crise russo-ukrainienne hypothèque de nombreuses matières premières, contribue au surenchérissement des prix, dopés par la crainte des pays clients de manquer, et menace les équilibres mondiaux des flux

Céréales : la stratégie d'exportations de l'Ukraine compromise par la Russie 

Inquiétude pour les céréales

Sur les marchés agricoles mondiaux, l’Ukraine a gagné en influence ces dernières années si bien que les exportations de céréales sont devenues un étai pour son économie. Avec la Russie, l’Ukraine surplombe le marché des céréales, les deux pays représentant 30 % des exportations mondiales de blé et d'orge.

Une occupation russe de l'est de l'Ukraine la priverait de 30 % de ses orges et 40 % de son tournesol, de son blé et de son maïs alors que plus de la moitié du volume de cette dernière céréale fourragère doit être exportée au cours des cinq prochains mois, notamment vers la Chine, son premier client. Avec les États-Unis, les deux pays sont les seuls fournisseurs mondiaux à l'heure actuelle de maïs, les récoltes de l’Amérique du Sud étant plus tardives. Si la situation devait dégénérer en Ukraine, le marché américain deviendrait alors le seul fournisseur de la Chine.  

Tensions sur le charbon et le minerai de fer

Pour ce qui est des matières premières, la Russie a assuré 16 % des besoins mondiaux en 2021. En brouille diplomatique depuis plus d’un an avec l’Australie, la Chine a diversifié ses sources d’approvisionnement de charbon et de minerai de fer, notamment en se tournant vers la Russie alors que l'Ukraine la fournit en minerai de fer.

Sur les 36,5 Mt de minerai de fer exportés par le pays de la mer Noire l’an dernier, plus de 60 % étaient destinés à la Chine. Là aussi, Pékin a peu de plan B. Le Brésil, autre grand acteur mondial dans le minerai de fer, peine à restaurer ses capacités malnenées par les conditions.

Crise ukrainienne : éviter un « choc d’approvisionnement » en gaz et en pétrole 

8 % de la demande mondiale de pétrole

La situation est tout aussi capitale sur le front des vracs liquides. La situation géopolique du gaz russe est connu. Mais le pays de Vladimir Poutine est aussi un grand exportateur de produits pétroliers – environ 7,6 millions de barils par jour (Mb/j) de pétrole brut et de produits raffinés vers le reste du monde en 2021 selon Poten – dont la majeure partie est acheminée par les oléoducs Sibérie orientale-Océan Pacifique vers les marchés chinois et Druzhba vers l'Europe de l’Est. La plupart des cargaisons de brut russe sont chargées depuis la mer Baltique (vers l'Europe du Nord-Est) et la mer Noire (vers l'Europe du Sud). 

D’après les données de Braemar ACM, les exportations russes de pétrole représentent 8 % de la demande mondiale de pétrole, un dixième du volume du commerce maritime mondial de brut et environ 7 % des tonnes-milles des pétroliers internationaux. L'Europe en absorbe les deux tiers. 

En cas de sanctions, selon le courtier, les raffineurs européens devront se tourner vers les pays de l'OPEP et la Russie serait alors amenée à chercher d'autres clients pour son brut et naturellement, elle regardera vers la Chine.

700 vraquiers 

En cas de guerre ou de sanctions, Odessa, Pivdennyi, Chornomorsk, Marioupol et Berdyansk, la mer d’Azov et le détroit de Kerch sont autant de zones de navigation qui deviennent problématiques pour les 700 vraquiers qui y transitent chaque mois (source : Drewry). Enjeux pour l’approvisionnement et le commerce de nombreuses matières premières, les deux régions deviennent aussi une source d’inquiétudes pour les propriétaires et exploitants de navires si la libre circulation est frappée par des sanctions internationales. 

Les armateurs sont-ils en droit de ne pas se soumettre aux interdictions d’entrer dans un port ukrainien ou russe ? La société internationale d'assurance maritime Skuld, basée à Oslo en Norvège, a apporté quelques éléments de réponses dans une « foire aux questions » à leur intention.

Ainsi, les armateurs seraient en droit se s’affranchir des restrictions « si la charte-partie contient une clause standard sur le risque de guerre, telle que les clauses Conwartime, intégrées dans de nombreux affrètements à temps [navire armé à la disposition de l’affréteur pour un temps défini, NDLR] ou Voywar, incluses dans les affrètements au voyage [le fréteur ou chargeur utilise la capacité du navire, dont il n’a pas la gestion, pour transporter de façon ponctuelle un lot de marchandises d’un port à un autre, NDLR]. Les clauses de risque de guerre dans les affrètements de pétroliers sont plus restrictives et peuvent ne pas s'appliquer tant que les hostilités n'ont pas réellement éclaté». 

Les ports ukrainiens entravés par des exercices navals russes

Envoyer des navires dans des zones classées à risques ?

Or, la situation n’est pas très claire entre les uns qui déclarent détenir les preuves d’une invasion imminente (Royaume-Uni et États-Unis) et les autres qui font valoir un retrait des troupes (Russie mais aussi certains pays européens). « Si les hostilités éclatent, les propriétaires auront le droit d'invoquer les dispositions standard en matière de risque de guerre, alors que si les tensions s'apaisent, les propriétaires pourraient bien perdre tout droit de le faire », confirme l’assureur 

Quoi qu’il en soit, certains armateurs seront sans doute réticents à envoyer des navires dans les eaux ukrainiennes et russes de la mer Noire et de la mer d’Azov, qui viennent d’être classées en « zones à haut risques » par le Joint War Committee, le Conseil des risques de guerre du secteur de l'assurance, ce qui les exclut des garanties « risques de guerre » souscrites. Concrètement, cela signifie que pour tout navire naviguant dans une de ces zones, l’exploitant doit en informer préalablement son assureur qui pourra revoir à la hausse les primes d'assurance contre les risques de guerre.

Qu'en est-il des ports russes ? L’assureur fait valoir les mêmes arguments à la grande nuance près « que ces arguments semblent moins solides que ceux applicables aux ports ukrainiens étant donné que la menace d'invasion ne s'applique qu'à l'Ukraine ». 

En cas de navires bloqués

Et si les navires étaient bloqués dans la mer d'Azov, « le contrat d'affrètement deviendrait caduc si le retard et le retard potentiel sont si longs qu'ils changent radicalement la nature du contrat, à moins que l'une des parties ne soit en infraction, ce qui serait le cas si les affréteurs, par exemple, ne respectaient pas leurs obligations de sécurité portuaire ».

En l'absence d'un manquement, les affréteurs seraient donc obligés de payer un loyer dans la cadre d’un contrat d'affrètement à temps, mais les propriétaires n'auront pas le droit de recouvrer les coûts de détention dans un affrètement au voyage, précise la société. 

Si les propriétaires de flotte souhaitent proscrire l'Ukraine ou la mer d'Azov, ils doivent expressément le formuler dans les charte-partie. Les armateurs doivent également s'assurer que les contrats d’affrètement contiennent des clauses « favorables » concernant les risques de guerre et les sanctions. Si les affréteurs doivent transiter en Ukraine ou dans la mer d'Azov, ils doivent aussi insérer une clause claire dans le contrat les autorisant à le faire. 

« Et s’ils sont préoccupés par les risques de guerre ou les sanctions potentielles, ils ne devraient pas accepter les clauses standard mais insérer des conditions permettant par exemple de résilier le contrat dans des circonstances appropriées », ajoute à bon escient l’assureur.

Adeline Descamps

 
 

Shipping

Port

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15