Alors que la Russie et les États-Unis s’étripent au Conseil de sécurité de l'ONU à propos de l’Ukraine, au bord d'un conflit militaire, avec massés à ses portes plus de 100 000 militaires russes, la crise tombe bien mal pour les exportations de ce pays qui a gagné ces dernières années en influence sur le marché agricole mondial mais ne s’est pas encore tout à fait remis de sa précédente récolte, historiquement mauvaise.
Les enjeux sont colossaux. Les exportations de céréales sont une pierre angulaire de l'économie ukrainienne. Cette année, le pays devrait exporter plus des trois quarts de sa récolte nationale de maïs et de blé. Les oléagineux (dont les prix ont atteint des niveaux records l’an dernier) représentent la moitié des approvisionnements mondiaux pour l’huile de tournesol tandis que le pays de la mer Noire est le troisième vendeur mondial de colza. C’est d’autant plus préjudiciable que la saison s’annonce bien meilleure. Entre le 1er juillet et aujourd’hui, les exportations de céréales de l'Ukraine sont en hausse de 28 % grâce à une récolte record.
Nervosité des prix
Les marchés n’ont pas tardé à manifester leur nervosité face à l’escalade diplomatique et à la menace de guerre économique. Les contrats à terme sur le blé Wv1 à Chicago étaient en hausse de 5 % la semaine dernière, atteignant des niveaux records. Le blé BL2c1 sur Euronext à Paris a également augmenté de plus de 6 % pour atteindre des sommets.
Si l'occupation russe de la Crimée en 2014 n'avait pas nécessairement entravé les exportations de céréales, elle avait profondément déstabilisé la monnaie ukrainienne, qui n’a jamais retrouvé son niveau depuis lors. Facteur favorisant en général les exportations, la faiblesse de la hryvnia a renchéri le coût des intrants agricoles, dont beaucoup sont importés. Contraints à des arbitrages économiques, il était attendu que les producteurs réduisent leurs investissements et perdent en rendement. Mais contre tout attente, les exportations de céréales primaires du pays ont volé de record en record chaque année entre 2013 et 2017, notamment parce les investissements étrangers ont pris le relais et permis une montée en gamme.
Menace pour la sécurité alimentaire
Aujourd’hui, les experts internationaux manifestent de l’inquiétude, notamment pour la sécurité alimentaire de certains pays. Cette année, l'Ukraine devrait représenter 12 % des exportations mondiales de blé, 16 % de celles de maïs, 18 % de celles d'orge et 19 % de celles de colza.
Une grande partie des exportations de céréales de l'Ukraine – plus de 40 % du maïs et de blé –, sont destinés aux marchés du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, où les sécheresses historiques ont exacerbé leurs besoins. Le spectre d’une pénurie a provoqué une envolée des prix alimentaires sur leur marché intérieur.
Bataille entre l’Ukraine et les États-Unis
Pour l’Ukraine, les événements ne sont pas non plus neutres. Plus de la moitié du volume de maïs attendu par l'Ukraine doit être exporté au cours des cinq prochains mois, notamment vers la Chine, son premier client avant que les États-Unis, autre grand acteur du marché mondial du maïs, lui ravisse la place l'année dernière. Les deux pays sont les deux seuls fournisseurs mondiaux de maïs à l'heure actuelle. Les récoltes de l’Amérique du sud n’interviennent que plus tard.
Le ministère ukrainien de l'Agriculture prévoit pour cette saison (juillet 2021-juin 2022) d’exporter 30,9 Mt quand les États-Unis en prévoient le double (61,6 Mt) pour la campagne 2021-22 (septembre-août). Pour l’heure, les achats de maïs américain par la Chine restent limités, ce qui indiquerait que le centre du monde ne cherche pas encore d'alternatives.
Quoi qu’il en soit, si la situation devrait dégénérer en Ukraine, le marché américain deviendrait alors le seul fournisseur de la Chine.
Pour le vrac sec en général ?
Plus largement, l'escalade des tensions entre la Russie et l'Ukraine pourrait affecter le marché du vrac sec mais pas forcément en défaveur du segment puisque les longues distances pourraient être favorisées…Mais encore faut-il que les contraintes sur le sourcing de certaines matières premières se desserrent. Pour le charbon, l'Europe aurait peu d’alternatives à la Russie. La majorité des importations russes est destinée à l'Allemagne, à la Belgique et aux Pays-Bas, soit 33,6 Mt en 2021 et en augmentation de 23 % sur un an.
Or, la décision prise par l’Indonésie, premier exportateur mondial de charbon, d’interdire ses expéditions début janvier (politique assouplie depuis), a « accentué la pression sur l’approvisionnement mondial », explique Braemar ACM. Aussi éphémère soit-elle, la décision indonésienne a fait monter les prix en flèche et a provoqué des perturbations dans le transport maritime.
Adeline Descamps