C’est le nombre de navires, selon les données de suivi AIS des navires, « suspendus » à la décision du président indonésien Joko Widodo qui envisage d’interdire les exportations de charbon pendant un mois pour sécuriser la production d’électricité. Bornéo, principal hub d’exporation, est particulièrement concerné.
L’annonce a provoqué un stress sur les marchés mondiaux. Premier exportateur mondial de charbon thermique, l'Indonésie devait expédier entre 35 et 40 Mt de charbon en janvier à destination de ses principaux clients, parmi lesquels la Chine, l'Inde, le Japon et la Corée du Sud. Ces pays ont totalisé 73 % des exportations indonésiennes de charbon en 2021 (300 Mt), selon les données de Kpler.
Cas de la Chine inquiétant ?
Le cas de la Chine a particulièrement préoccupé. Après avoir émis des restrictions sur l’extraction de charbon en fermant les petites mines non efficientes et sur les importations pour s’affranchir progressivement des sources d’énergie fossiles et des prix mondiaux élevés, la Chine a fait face à des pannes d’électricité à grande échelle provoquées par des pénuries de charbon, qui assure toujours 60 % de sa production électrique. Mais surtout, depuis 2020, le géant asiatique s’est coupé de tout approvisionnement de son principal fournisseur, l’Australie, en raison d’une brouille diplomatique.
Le calme de la la Chine, qui a déclaré disposer de stocks importants, a contrasté avec l’affolement des analystes. Pour cause, selon les données de l'Association chinoise de transport et de distribution du charbon, les stocks des principaux services publics chinois dans les régions côtières étaient d'environ 33 Mt au 1er janvier, soit 57 % de plus qu'à la même époque en 2021. Il n’y a donc pas lieu de s’approvisionner sur le marché au comptant dans l’immédiat.
Craignant les ruptures d’électricité à l’approche de la saison hivernale, Pékin avait demandé aux sociétés exploitant des mines dans le pays d’augmenter la production au cours du dernier trimestre de 2021. Cette hausse de la production nationale a non seulement permis de répondre à la demande des services publics jusqu'à la fin de l'année 2021, mais elle a également permis de reconstituer les stocks des fournisseurs d'électricité, de sorte qu'ils sont désormais moins dépendants des importations qu'en 2021, année où ces dernières ont augmenté d'environ 10 % par rapport à 2020.
Aussi, la consommation quotidienne de charbon par les centrales électriques chinoises – entre 2,2 et 2,3 Mt – devrait s'effondrer prochainement pour deux raisons : les usines vont se mettre à l’arrêt pour les célébrations du Nouvel An chinois et Pékin veut « dégager le ciel » pour les JO d'hiver.
Menace pour le Japon
Si la Chine et la Corée du Sud ont rassuré, le Japon a immédiatement demandé au gouvernement indonésien de révoquer l'interdiction d'expédition. Elle tombe mal pour le pays car elle coïncide avec la saison de pointe de la demande d'électricité du pays, a déclaré un responsable du ministère de l'Économie, du Commerce et de l'Industrie.
La société japonaise Electric Power Development, qui importe du charbon thermique principalement d'Australie et d'Indonésie, a tenu à rassurer, faisant valoir des stocks importants tandis que ses mesures d'urgence prévoient des transferts entre ses centrales électriques ainsi que la possibilité d'acheter auprès d'un autre producteur, a déclaré un porte-parole de la société.
Le Japon est notamment traumatisé par le précédent de l’hiver 2021 lorsque l'équilibre entre l'offre et la demande d'électricité au Japon s'est resserré et a contraint à restreindre la production d'électricité à partir du gaz en raison des faibles stocks de GNL. Cette situation avait été notamment exacerbée par les défaillances des centrales au charbon.
Bond des contrats de référence
Les marchés mondiaux ont réagi dans l’affolement. Les prix ont bondi le premier jour des échanges après l’annonce de l'interdiction. Les contrats à terme sur le charbon thermique de référence de la Chine ont augmenté de 7,8 % avant de limiter leurs gains, à 702 yuans la tonne. Les contrats à terme mensuels sur le charbon de Newcastle ont dépassé les 174 $ la tonne pour la première fois depuis octobre.
Ils se sont stabilisés depuis, les traders gageant sur une résolution rapide de la crise. D’autant que le gouvernement a laissé la porte entrouverte, n’excluant pas une réévaluation de sa décision dans les jours qui viennent. La presse indonésienne, mentionnant le ministre des Affaires maritimes et de l'Investissement, indique que l’interdiction serait ajournée mais que des discussions sont en cours avec les sociétés d’exploitation minière pour assurer un approvisionnement durable de la production intérieure.
Dans le cadre de l'obligation d'approvisionnement du marché intérieur, les exploitants de mines de charbon sont tenus de fournir 25 % de leur production annuelle, dont la majeure partie est destinée société d'État PT Perusahaan Listrik Negara (PLN) à un prix maximum de 70 $ la tonne, inférieur aux prix actuels du marché.
Selon VesselsValue, l’impact se mesure surtout pour l’instant par la baisse manifeste des départs
VesselsValue a enregistré une forte baisse des navires chargés quittant les ports indonésiens. « Bien que la proportion de chargements de charbon destinés aux clients nationaux ait augmenté, pour l'instant, l'impact principal de l'interdiction du charbon est de ralentir le mouvement du charbon, plutôt que de rediriger les approvisionnements des marchés d'exportation vers le marché national », indique le spécialiste.
Adeline Descamps
