Pékin a officialisé ses mesures de représailles contre le charbon australien. Les tensions sont croissantes entre les deux pays depuis plusieurs mois. Le boeuf, l’orge, les vins en ont aussi fait les frais. Mais c’est surtout la menace que la brouille diplomatique fait peser sur le minerai de fer qui inquiète. L’Australie en regorge. La Chine en raffole. Les vraquiers n’ont pas fini de souffrir.
Selon le média Global Times (organe de presse anglophone), Pékin a officialisé ce qui s’apparentait à des mesures de représailles contre le charbon australien. Dans un article en date du 22 octobre, le JMM relayait les tensions croissantes entre la Chine et l’Australie et les conséquences pour l’activité de vrac sec. Jusqu’à présent, les raisons de l’aigreur chinoise n’ont pas réellement été explicitées mais les observateurs l’attribuent à des indélicatesses diplomatiques du premier ministre australien Scott Morrison à propos de la toute-puissance de Huawei sur la 5G et des origines du coronavirus.
Les tiraillements sont en réalité palpables entre Pékin et Canberra depuis bien des mois, et ce, bien avant les déclarations incongrues du gouvernement australien. Au cours des six derniers mois, la Chine a suspendu les importations de bœuf provenant de quatre des plus grands abattoirs australiens, imposé un droit de douane de 80,5 % sur l'orge, renforcé les contrôles douaniers sur les denrées alimentaires, laissé des tonnes de homards en transit. Plus récemment, les vins ont à leur tour été concernés avec des droits de douane prohibitifs, de 107,1 à 212,1 %.
Les tensions entre la Chine et l’Australie mettent le vrac sec sur le qui-vive
24 capesize et 50 panamax au large
Pour le charbon, Ken MacKenzie, le président du géant minier australien BHP, avait rendu la menace plus concrète en confirmant en octobre que des clients chinois avaient demandé un report de leurs commandes de charbon. Plusieurs agences, dont Bloomberg, Platts et Argus, avaient dans le même temps indiqué que les centrales électriques et les aciéries chinoises avaient été priées par Pékin de cesser immédiatement d'acheter du charbon australien tandis que les ports avaient reçu la consigne de ne plus décharger. D’où la présence actuellement de 24 capesize et 50 panamax totalisant un volume de 8,7 Mtpl, en attente, au large des terminaux portuaires chinois (source : Braemar ACM).
Toutefois, ces derniers jours, le géant asiatique semblait se détendre et avait autorisé quatre de ces vraquiers à décharger. Au vu des dernières déclarations, il ne s’agissait donc que d’exceptions, sans doute pour satisfaire quelques urgences de production. En réaction à cette guerre commerciale désormais officielle, Scott Morrison, le premier ministre australien, a accusé la Chine d'enfreindre les règles de l’OMC et de violer les termes de leur accord de libre-échange.
Guerre commerciale : la Chine s’attaque désormais aux vins australiens
32 Mt de charbon thermique sourcés ailleurs
Le premier exportateur de matières premières a parallèlement levé toutes les restrictions sur les importations de charbon en provenance d’autres pays. La Mongolie, l'Indonésie et la Russie pourraient être les grands gagnants de la brouille diplomatique.
« S'il est peu probable que les exportations de charbon australien soient affectées cette année par l'interdiction chinoise, les volumes en 2021 pourraient être durement touchés », indiquait dans une de ses notes S&P Platts. Selon l’agence, jusqu'à 32 Mt de charbon thermique pourraient être « sourcés » ailleurs au cours du premier trimestre de l'année prochaine.
Pour certains analystes, à court terme, l'Indonésie et la Russie seraient les gagnants les plus probables tandis qu'à plus long terme, le Canada et les États-Unis pourraient tirer leur épingle des tensions. Ce qui serait un scénario haussier pour le transport maritime de vrac sec puisqu’il se traduirait par une augmentation des tonnes-miles.
Une soixantaine de vraquiers patientent au large des ports chinois
Et le minerai de fer ?
Pour l’heure, Pékin n’a pas émis aucune directive contre le minerai de fer, dont l’Australie regorge, mais les marchés s’en inquiètent. Si le charbon reste un produit d'exportation phare pour l’Australie avec une valeur de 66 Md$, dont 40 Md$ d’échanges avec la Chine, le vaste continent océanique possède un riche portefeuille minier dont les exportations génèrent chaque année 248 Md€.
Vorace en matières premières, la Chine s’achalande à 85 % en Australie et au Brésil pour son minerai de fer via les ports australien de Port Hedland et de Rio Tinto. Chaque année, le géant asiatique consomme environ 1 milliard de tonnes de minerai de fer par an, dont un peu plus de 60 % en provenance d'Australie, soit une valeur de 153 Md$, selon les données du ministère des Affaires étrangères et du Commerce.
Les plans de relance chinois se sont toujours matérialisées par des dépenses d'infrastructure générant une forte demande d’acier. Les géants miniers australiens Rio Tinto et BHP avaient émis, il y a quelques années déjà, l'idée que la Chine produirait 1 milliard de tonnes d'acier brut d'ici 2025-2030. En 2019, la Chine a produit 996 Mt d'acier brut et cette année, la barre du milliard de tonnes sera franchie selon S&P Platts.
En octobre, Vale a déclaré qu'elle atteindrait 400 Mt au plus tard au début de 2023 alors que le géant minier brésilien a revu son objectif pour 2020 à 300-305 Mt. Les productions de Rio Tinto et BHP seront également affectées cette année pour des raisons de maintenance au cours du quatrième trimestre.
La Chine, maître de sa production ?
Cela suffit pour que les regards se portent sur l’Afrique que Pékin a largement investi au moyen de son titanesque projet des nouvelles routes de la soie. Au coeur de la Guinée, en Afrique de l'Ouest, se trouve notamment le plus grand gisement de minerai de fer non exploité au monde. Des intérêts chinois – un consortium dirigé par le conglomérat maritime et minier singapourien Winning International avec le groupe portuaire chinois Yantai détient une partie des droits aux côtés d’une entreprise commune entre Rio Tinto et un groupe d'entreprises publiques chinoises – sont désireux de le remettre en service. Outre le fait d’être entaché d’allégations de corruption, le projet nécessite des investissements colossaux, dont une ligne de chemin de fer de 700 km. Autant dire que le site ne sera pas exploité avant quelques années...
Néanmoins, le contournement de l’Australie par la Chine pour ces approvisionnements essentiels à son économie ne sera pas sans conséquences, alertent déjà les analystes. Il ferait monter en flèche les prix du minerai de fer de toutes origines, « ce qui nuirait à l'industrie sidérurgique chinoise » et obligerait « le minerai de fer australien à courir après une demande moins abondante, moins chère et non chinoise ». Les vraquiers n’ont pas fini de souffrir.
Adeline Descamps