L’histoire maritime regorge de sinistres dans lesquels la marchandise détient une grande part de responsabilité. L’an dernier, les exemples ont été si nombreux qu’ils ont fait mentir les statistiques. Les derniers en date attestent toutefois d’une plus grande détermination à légiférer. Sur les normes techniques du matériel utilisé pour le lashing des boîtes en pontée comme sur d’autres points, l’OMI est attendue.
1 816. La donnée alarme et la photo du ONE Apus (IMO# 9806079) a nourri et rassasié ce week end l’ogre des réseaux sociaux. L’armateur apporte, pour sa part, chaque jour des miettes de précisions sur les circonstances de l’accident alors que le porte-conteneur de quelque 15 000 EVP, parti de Yantian, se dirigeait vers le port de Long Beach. Selon ONE, le nombre d'unités perdues ou endommagées s’établirait donc à 1 816, dont quelque 64 seraient des marchandises dangereuses. Cinquante-quatre boîtes contenaient des feux d'artifice, tandis que huit autres comportaient des batteries et deux de l'éthanol. L’armateur précise avoir notifié les faits auprès du Joint Rescue Coordination Center (JRCC) d'Honolulu et de Guam. Pour l’heure, aucun conteneur n'avait encore été repéré par le centre de coordination.
Le navire aux couleurs magenta de la compagnie, née de l’alliance de trois armateurs japonais (Mol, NYK et K-Line), se dirige désormais vers le port de Kobe, au Japon, avec un ETB (heure d’accostage) le 8 décembre. « Une fois à quai, il faudra un certain temps pour décharger les conteneurs délogés à bord. Ensuite, une évaluation approfondie sera faite sur le nombre exact et le type de conteneurs qui ont été perdus ou endommagés », précise le communiqué de la compagnie.
Le porte-conteneurs, construit au chantier naval de Japan Marine United à Kure, propriété de Chidori Ship et géré par NYK Shipmanagement, a fait les frais de conditions météorologiques difficiles – orage et fortes houles – dans la nuit du 30 novembre à 1 600 milles au nord-ouest d’Hawaï.
C'est le deuxième incident du type en moins d’un mois qu’enregistre ONE. Le sistership du ONE Apus, le ONE Aquila de 14 052 EVP, construit en 2018, battant pavillon panaméen, a vécu une situation similaire fin octobre alors qu'il naviguait également vers le port de Long Beach. Le porte-conteneurs avait été dérouté vers le port de Tacoma pour décharger les conteneurs endommagés et subir des réparations avant de reprendre le service le 11 novembre. En mars 2019, un autre navire de ONE de 8 614 EVP a également perdu un certain nombre de conteneurs alors qu'il se rendait de Boston à Wilmington aux États-Unis.
Y a-t-il tromperie sur la marchandise ?
Une facture salée
Selon les premières estimations fournies par la société de conseil CTI au titre de presse maritime Splash, la demande d'indemnisation pour l'accident pourrait avoisiner les 50 M$ sur la base d’une estimation de 25 000 $ par conteneur. Le navire est assuré par le Japan P&I Club.
Pour les accidentologues, cet accident serait de nature à défrayer la chronique. Le dernier événement d’ampleur remonte au naufrage du MOL Comfort il y a sept ans. Et selon la dernière enquête sur les pertes de conteneurs en mer que le World Shipping Council réalise tous les trois ans, 1 382 conteneurs sont perdus chaque année en moyenne sur les quelque 226 millions de boîtes expédiés. En l’absence d’un système officiel de déclaration de pertes en mer, les données avancées par le WSC, qui a entrepris en 2011 de tenir cette comptabilité, font autorité mais elle repose sur la base des informations renseignées par ses membres.
Fin de l'indulgence sur le fret mal déclaré
Déballage de statistiques
L’International Cargo Handling Coordination Association estime à quelque 6 millions le nombre de conteneurs embarquant des marchandises dangereuses transportés par an. Le TT Club considère que près de 1,3 million de boîtes ne seraient pas correctement emballées ou mal identifiées. Allianz va plus loin, affirmant que 66 % des dommages au fret, dont les coûts sont estimés à plus de 500 M$ par an, peuvent être attribués à des marchandises mal arrimées, emballées ou documentées. Selon le Système de notification d’incident de cargaison – base de données partagées depuis 2001 par 17 compagnies maritimes qui recense tous les incidents liés au fret – plus d’un quart de tous les incendies signalés sont le fait de fret mal déclaré.
L’an dernier, la loi des séries avait poussé certains armateurs à actionner la sanction financière pour toutes tromperies sur la marchandise, et ce, de façon indistincte, qu’elles aient été commises avec la volonté délibérée de frauder (pour éviter les coûts et exigences réglementaires supplémentaires), par erreur ou méconnaissance des règles de l’étiquetage et l’emballage des marchandises dangereuses.
Une façon de sensibiliser les chargeurs et expéditeurs fret « sur tous les coûts et conséquences liés aux violations », à commencer par la « sécurité de notre équipage, de nos navires et des autres cargaisons à bord », avait poliment justifié Hapag-Lloyd auprès de ses clients. L’un de ses porte-conteneurs avait inauguré de façon spectaculaire l’année 2019 avec l’incendie du Yantian Express, classé en avarie commune avec 320 conteneurs en pertes totales et 460 autres endommagés.
Le leader mondial Maersk, qui a revu ses procédures d’arrimage et de chargement suite à l’incendie en mars 2018 du Maersk Honam, a pour sa part contraint ses clients à cocher une case, obligatoire pour poursuivre leur réservation sur son site web, dans lequel le client doit s’engager sur l’honneur sur le respect de toutes les règles.
Relance d’un débat sans fin
L’affaire du porte-conteneurs APL England (5 500 EVP), qui a perdu une cinquantaine de conteneurs au large des côtes de la Nouvelle-Galles du Sud le 24 mai dernier, a relancé les débats. Et ce, d’autant que l’autorité australienne de sécurité maritime (AMSA) a porté plainte contre le capitaine, accusé d'infractions liées à la pollution et/ou de dommages causés à l'environnement marin australien. Les inspecteurs australiens ont en effet constaté des failles dans les dispositifs d'arrimage des conteneurs. Une violation à la Convention Solas.
Les autorités australiennes étaient sans doute échaudées par un précédent. L’accident du Yang Ming Efficiency avait occasionné en juin 2018 la perte de 81 conteneurs près de Newcastle. L’opération de récupération des conteneurs venait à peine de se solder quand est survenu l’incident de l’APL England. L’AMSA n’avait pas encore réussi à récupérer les coûts associés au nettoyage auprès de l’assureur Britannia P&I.
MSC Zoe : des règles plus strictes sur l’arrimage des conteneurs s’imposent
Liste noire des fraudeurs
L’an dernier, le TT Club avait lancé une vaste campagne d’information en faveur, selon son expression, de « l’intégrité du fret ». Sans autre prétention que de sensibiliser et sans doute aussi de forcer auprès de l’Organisation maritime internationale (OMI) à légiférer un peu plus.
En juin dernier, un rapport portant sur la perte de 342 conteneurs par le MSC Zoe en janvier 2019 a de nouveau confirmé les insuffisances de l’arrimage des boîtes en pontée. Dans son rapport sur les causes de ce sinistre, l’autorité compétente aux Pays-Bas, l’Onderzoeksraad voor Veiligheid (OVV), avait conclu qu’il n’est « pas souhaitable » que de grands porte-conteneurs empruntent encore la route sud quand se produit une tempête du nord-ouest.
Sur ce point comme sur les normes techniques du matériel utilisé pour le lashing des boîtes en pontée, l’OMI est attendue.
Adeline Descamps