Selon l’OMC, les mesures de sauvegarde mises en œuvre par Bruxelles pour limiter les importations d’acier en Europe ne devraient pas perdurer. Le système avait été instauré en 2019 en réaction à une décision des États-Unis d’imposer des droits de douanes sur les produits sidérurgiques.
Il est peu probable que la Commission européenne prolonge ses mesures de sauvegarde à l'encontre des importations de certains produits sidérurgiques, à moins que les producteurs d'acier de l'Union européenne puissent prouver qu'ils continuent à subir ou pourraient subir un préjudice grave du fait des importations, a déclaré l'Organisation mondiale du commerce (OMC) le 2 mars. À la demande des 12 États membres de l'UE, le gendarme du commerce international a ouvert une enquête pour déterminer si système devait être maintenu à son expiration le 30 juin.
La prorogation – jusqu'à une durée totale maximale de huit ans – ne peut être accordée que si les produits sont « importés en quantités tellement accrues, en termes absolus ou par rapport à la production nationale », qu'ils engendrent « une dégradation générale notable de la position d'une branche de production nationale qui fabrique des produits similaires ou directement concurrents ».
Nombre sans précédent de pratiques déloyales
Le 2 février 2019, Bruxelles avait institué ce système pour remplacer les mesures provisoires en vigueur depuis juillet 2018 en réaction à la décision des États-Unis d'imposer des droits de douane sur les produits sidérurgiques. Une décision prise en mars de la même année au titre de la section 232 du Trade Expansion Act américain de 1962.
L’enquête européenne, qui avait présidé à cette décision, avait notamment mis en lumière une forte augmentation des importations de produits sidérurgiques dans l'Union alors que les entreprises sidérurgiques européennes font face depuis quelques années à une surcapacité de l'acier sur le marché mondial et à un « nombre sans précédent de pratiques commerciales déloyales de la part de certains partenaires commerciaux ».
26 catégories de produits
Les mesures concernent 26 catégories de produits et consistent en des contingents tarifaires au-delà desquels un droit de 25 % sera appliqué. Il était question que ces mesures soient maintenues pendant une période pouvant aller jusqu'à trois ans. L’exportation perdant tout son attrait, tout portait à croire que les fabricants d’acier allaient réorienter une partie de leurs exportations des États-Unis vers l'Union.
Entre 2018 et 2020, les importations sont passées d'une part de marché de l'UE de 22,5 % à 19,7 %, soit une réduction de plus de 9 Mt d'importations selon les données de S&P Platts.
Au cours de la même période, les livraisons des aciéries de l'UE ont diminué de 17 à 18 Mt, entraînant une baisse de 19 % de l'approvisionnement global du marché de l'acier de l'UE au cours des deux dernières années, alors que la consommation réelle n'a diminué que de 14 %.
Montée en flèche des prix de l’acier
L’Association des constructeurs européens d'automobiles (ACEA) et WindEurope (qui promeut l'utilisation de l'énergie éolienne en Europe) affirment qu'une prolongation serait injustifiable compte tenu de la récente baisse des niveaux d'importation et de la montée en flèche des prix de l'acier, ce qui surajoute aux tensions actuelles sur un marché de l'acier européen déjà nerveux et hyper volatile.
Selon une évaluation de Platts, les prix des bobines laminées à chaud au départ de la Ruhr a augmenté de 54 % au cours des 12 derniers mois pour atteindre son plus haut niveau en 13 ans. Les stocks d'acier plat sont à leur plus bas niveau en 33 ans (1,15 Mt en décembre), avait indiqué fin janvier l'association des distributeurs d’acier allemands BDS. Pour l'ensemble de l'année 2020, ils se sont élevés en moyenne à 1,25 Mt, contre 1,42 Mt en 2019. Les ventes mensuelles ont, elles, diminué, passant de 518 576 t à 496 171 t entre 2019 et 2020.
Raisons politiques
Pour Euranimi (European association of non-integrated steel), une association européenne d'importateurs d’acier (distributeurs, transformateurs et négociants), la décision d'étendre ou non les garanties sera probablement prise pour des raisons politiques plutôt qu'économiques. Pour son représentant Christophe Lagrange, la situation, qui a justifié il y a trois ans l’instauration d’un dispositif pour protéger le marché européen « contre les quantités potentiellement massives que les pays tiers ne pouvaient plus livrer aux États-Unis », a changé.
La Chine, traditionnellement exportatrice d'acier, est devenue ces derniers mois un important importateur de produits semi-finis pour répondre à sa propre demande intérieure, ce qui a contribué à alléger la pression globale des importations. « Il devrait être possible de discuter de l'augmentation de quotas sur certains produits pour lesquels les producteurs européens ne parviennent pas à répondre à la demande », estime Christophe Lagrange.
Le dispositif européen n’est pas sans créer des remous. En mars 2020, la Turquie, grand exportateur d'acier vers l'UE, a porté une plainte auprès de l'OMC, en cours d’instruction, pour contester la décision européenne. L'Inde, la Russie et la Suisse ont déposé auprès de l’OMC des demandes de compensation commerciale eu égard aux effets négatifs du système de sauvegarde. « Les concessions pourraient inclure l'imposition par les pays de leurs propres tarifs ou restrictions », indique l’OMC.
Adeline Descamps