Dans un contexte de plus en plus tendu en mer Rouge – les rebelles yéménites houthis ont revendiqué ce week-end une attaque contre un pétrolier dit britannique ; les négociateurs qataris ont part de leur pessimisme quant à la possibilité d'une trêve alors que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu se dit déterminé à mener une offensive terrestre à Rafah –, l’Union européenne va lancer une « mission de surveillance et patrouille maritime » en Mer Rouge.
L’information a fuité auprès de l’AFP, partagé par un responsable européen. Cette mission dite « à risques » – baptisée « Aspides » (« bouclier » en grec ancien) –, sera annoncée officiellement ce 19 février à l'occasion de la rencontre des ministres des Affaires étrangères des États membres réunis à Bruxelles.
Elle est prévue sur un an, éventuellement renouvelable, selon un diplomate européen, s'exprimant sous couvert d'anonymat. Mais le début de ses opérations, ses ressources et son périmètre d’intervention, dans cette vaste région sensible, qui s'étend du golfe Persique à la mer Rouge via l'Ouest de l’océan Indien et le Golfe d'Aden, ne sont pas connus à ce stade.
Pas immédiatement opérationnelle
Il appartiendra à son commandement de déterminer quand elle pourra être opérationnelle, ce qui devrait prendre « quelques semaines », a confirmé un diplomate européen à l'agence de presse.
Plusieurs pays ont toutefois fait part de leur intention d’y participer, dont la Belgique, l'Italie, l'Allemagne et la France mais pas l'Espagne.
À cet effet, la frégate allemande Hessen est partie le 8 février en direction de la mer Rouge, avec un équipage de quelque 240 personnes. La Belgique a, elle, annoncé son intention d'envoyer le Marie-Louise.
La bataille politique a dû être âpre pour obtenir le financement nécessaire à une telle opération dont il est question depuis décembre.
La France, déjà présente avec deux frégates et un patrouilleur
La France est prête à mettre à disposition l'un de ses trois navires militaires présents en Mer Rouge. La frégate multi-missions FREMM Languedoc est déployée depuis août 2023 dans la zone de responsabilité du commandant de la zone maritime de l’océan Indien (Alidien). Mi-novembre, le bâtiment militaire a intégré le groupe aéronaval américain Dwight D. Eisenhower, conformément à l’engagement de la France « en matière de surveillance maritime, de préservation de la liberté de circulation et de lutte contre les trafics ».
Le 25 janvier, l'état-major français a annoncé l'envoi d'une troisième frégate, L'Alsace tandis que le gros ravitailleur Jacques Chevallier se trouve également dans la zone.
Paris, qui a refusé de voter la résolution portée par les États-Unis et le Royaume-Uni au conseil de sécurité de l’ONU avalisant une réponse militaire massive, défend depuis le début du conflit la solution d’une escorte navale et des actions de sécurité régionale. À ce titre, elle contribue à l'opération Prosperity Guardian, du nom d'une coalition dirigée par les États-Unis en mer Rouge pour défendre la liberté de circulation maritime. La mission européenne adopte une approche similaire.
Mandat purement défensif
C’est bien dans un cadre purement défensif que s’inscrit cette nouvelle opération. La Grèce devrait en assurer le commandement général et l'Italie, le pilotage opérationnel en mer.
La mission s’inscrit donc à contre-courant de la réponse militaire apportée par les forces américaines et britanniques en mer rouge depuis le 12 janvier, date de la première des trois frappes militaires (aériennes et navales) sur des cibles terrestres houthies. Depuis lors, ces derniers désignent les navires liés à Israël et aux intérêts américains et britanniques, comme des « cibles légitimes ».
Si la mission pourra faire usage du feu, « il est important qu’elle ne contribue pas à l'escalade dans la région », a indirectement confirmé un diplomate européen.
Enième attaque
Les rebelles yéménites houthis, qui contrôlent le nord-ouest du Yémen, ont revendiqué samedi 18 février l’attaque menée la veille contre un pétrolier dit « britannique » tandis que l'armée américaine (Commandement central des Etats-Unis, Centcom) a affirmé qu'il s'agissait d'un navire danois.
« Les forces navales des forces armées yéménites ont mené une opération visant le pétrolier britannique Pollux en mer Rouge avec un grand nombre de missiles navals », a déclaré le porte-parole militaire des Houthis, Yahya Saree, sur les réseaux sociaux.
Le pétrolier Pollux (57 095 tpl), battant pavillon panaméen, a pour propriétaire enregistré par son numéro IMO, la société grecque Oceanfront Maritime.
Le navire transitant par le nord-ouest du port yéménite de Mokha « a été attaqué par un missile, et des informations font état d'une explosion à proximité immédiate », a rapporté l'agence britannique de sécurité maritime UKMTO, ajoutant que le navire et son équipage étaient en sécurité.
106 pétroliers détournés
Les attaques quasi quotidiennes contre les navires marchands ont contraint de nombreux armateurs à se détourner de la mer Rouge et du golfe d'Aden, par où transitent 30 % du trafic mondial de conteneurs et 12 % du pétrole.
Depuis le 12 janvier, date de la réponse militaire massive, plus de 100 pétroliers ont changé d'itinéraire pour éviter la zone, selon notre confrère du Lloyd’s sur la base des données de suivi des navires.
Le nombre quotidien moyen de navires actifs en mer Rouge était de 212 au cours de la première semaine de février, sachant qu’en temps normal, plus de 370 navires peuvent y circuler.
En ce qui concerne les points clés de cette route commerciale, les transits par le détroit de Bab el-Mandeb ont chuté sur une base annuelle, soit 235 passages contre 542 il y a un an à la même époque.
Cap des 40 navires attaqués largement dépassé
Selon les responsables américains de la Défense, le cap des 41 navires marchands attaqués a été franchi début février depuis le 19 novembre. Par miracle, sans catastrophe ni naufrage. « C'est une véritable inconnue », a reconnu Neil Roberts, secrétaire du Joint War Committee, à la récente conférence de presse de l'Union internationale de l'assurance maritime (IUMI).
Malgré les attaques contre la navigation commerciale en mer Rouge, il estime que les dispositions en matière d'assurance contre les risques de guerre pour les navires transitant par la mer Rouge restent « viables à l'heure actuelle » et qu'il n'était pas nécessaire d'étendre la désignation de zone à haut risque à « certaines parties de cette voie navigable essentielle ».
Adeline Descamps
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