La principale session de l'OMI sur la protection de l'environnement s'est ouverte ce 13 mai pour sa 74e session jusqu’au 17 mai. La stratégie à mettre en oeuvre pour réduire les émissions de gaz à effet de serre des navires est un point clé de l'ordre du jour. La délégation française défend sa mesure de régulation de la vitesse mais l'idée se heurte à quelques alternatives. Les visions du monde ont rendez-vous à l'OMI cette semaine.
La 74e réunion du Comité de la protection de l'environnement marin (MEPC 74) s’est ouverte ce 13 mai au siège londonien de l'Organisation maritime internationale (OMI) pour une session assez médiatisée en raison d’un des grands sujets à l’ordre du jour : les moyens d'atteindre les réductions des émissions de gaz à effet de serre (GES) prévues pour 2030 et 2050. Un sujet parmi d’autres puisque jusqu’au 17 mai, il sera en outre question de l'identification des organismes aquatiques nuisibles dans le cadre de la convention sur les eaux de ballast, réglementation qui doit prochainement entrer en vigueur (cf.notre numéro 5097 du JMM), mais aussi des lignes directrices en appui de la mise en oeuvre d'un autre échéance imminente, celle de la teneur en soufre limitée des carburants marins, ou encore de la pollution plastique et de l'identification et la protection des zones spéciales.
La délégation française au sein de l’OMI soutiendra notamment la proposition autour de laquelle est organisé ces dernières semaines un intense lobbying (Armateurs de France en tête), celle de la régulation de la vitesse des navires, considérée comme une mesure de court terme, simple et immédiatement opérationnelle pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur maritime. La solution, pour laquelle a milité (en vain) pendant des années Philippe Louis-Dreyfus, le président de Louis Dreyfus Armateurs (LDA), quand il était président de Bimco et l’European Community Shipowners' Associations (ECSA), est étrangement sortie du bois alors qu'elle ne rencontrait d'écho que du côté de la Grèce (soutien de Petros Pappas de Star Bulk et George Prokopiou de Dynacom).
Un déjeuner au Palais de l'Élysée, en janvier, entre le président de LDA et le président français Emmanuel Macron, aurait décanté l’affaire. Sa proposition a aussi ou ainsi trouvé de l’appui auprès de la « Team maritime », une mobilisation parlementaire de 18 députés de la majorité dans le domaine maritime, portée par Sophie Panonacle. La députée de la 8e circonscription de Gironde aurait déposé des amendements dans ce sens dans le cadre de la loi LOM, dont l’examen en commission a débuté ce 14 mai.
Pétition de 120 armateurs
Fin avril, neuf ONG environnementales et 107 PDG de l'industrie du transport maritime (ils seraient désormais 120, parmi lesquels de nombreux propriétaires grecs) ont aussi défendu l’idée dans une lettre ouverte à l'OMI. Parmi les signataires, aucun transporteur maritime de conteneurs, Maersk ayant même exprimé son opposition, affirmant qu'une telle mesure découragerait le type de progrès technologiques nécessaires pour atteindre l'objectif global. Louis-Philippe Dreyfus a toujours soutenu que diminuer la vitesse de 10 % peut entraîner une réduction des émissions jusqu’à 30 % dans le vrac, représentant entre 70 et 80 % du tonnage mondial. Pour le prouver, les compagnies Socatra et Louis Dreyfus Armateurs ont lancé, à l’automne 2018, un groupe de travail avec des étudiants de l'école de commerce Kedge Business School pour évaluer précisément les effets de la réduction de vitesse sur leurs secteurs d’activité.
La proposition française se heurte principalement à des alternatives présentées par le Danemark, l'Allemagne et l'Espagne, qui appellent à une approche fondée sur des incitations et des objectifs à court terme pour réduire l'empreinte carbone de la navigation.
Quel impact de la lenteur sur les services ?
La navigation à vitesse réduite n’est pas nouvelle dans le shipping. Elle a d'abord été adoptée sur les trafics Asie-Europe, puis progressivement étendue à partir de 2009 au transpacifique et à plusieurs routes Nord-Sud, rappelle le consultant Drewry. « Les transporteurs ont réalisé qu'en plus de réduire les coûts, elle offrait un moyen de gérer l'excédent de navires, ce qui explique pourquoi cette pratique a perduré même lorsque les prix du carburant ont chuté ».
La régulation de vitesse étant une caractéristique de longue date de l'industrie, « on peut se demander à quel point les porte-conteneurs peuvent aller plus lentement, indique le consultant, dont les recherches menées sur deux services Asie-Europe du Nord indiquent que la vitesse moyenne actuelle oscille (déjà) autour de 16 nœuds ! Pour Drewry, la solution aura pour impact de mettre en oeuvre des navires supplémentaires, qui passerait de 10 à 13 sur une service. « En raison d'une consommation de carburant plus faible avec la vitesse réduite, la consommation de carburant en service normal serait réduite d'environ 10 % mais les transporteurs devraient faire face à d'autres coûts d'exploitation liés à l'exploitation de navires supplémentaires ». Sur la base de ses analyses, le consultant montre qu’il est plus efficace de réduire la vitesse à 13 nœuds (12 navires) que de descendre à 12 nœuds (13 navires).
L'autre sujet
L’autre point critique en débat porte sur la mise en œuvre de la limite de 0,5 % de soufre à partir du 1er janvier 2020, dont la réglementation est imminente. Les lignes directrices et documents d'orientation doivent être approuvés cette semaine.
L’Union européenne a déposé, à cet égard, une proposition visant à poursuivre l'examen sur les pollutions induites par l'usage des dispositifs d’épuration des gaz d’échappement, une des solutions (controversées) actuellement les plus plébiscitées par les transporteurs maritimes pour se conformer à la réglementation mais qui rejettent des eaux chargées en sulfure (quand ils ne sont pas en circuit fermé). Depuis de long mois, la technologie divise les pro - et les anti- scrubbers, si bien que les ports se voient dans la contrainte d’affirmer leur position sur le sujet : autorisation ou interdiction d’utilisation.
« Il est impératif que l'OMI se montre capable de trouver des moyens de réduire les émissions de CO2 du transport maritime à court terme, a déclaré le secrétaire général de l’OMI Kitack Lim dans son discours d'ouverture au MEPC, appelant l'industrie à de « l'action, pas des mots ».
À la veille de l’ouverture de la session de l'OMI, l'Union des armateurs grecs (UGS) exhortait pour leur part les membres de l'OMI et toutes les parties prenantes à « assumer leurs responsabilités » et à trouver des « solutions pratiques et durables ». Dans son communiqué du 10 mai, l'UGS pointait notamment « un certain nombre de lacunes » dans la réglementation 2020 relative au soufre, engendrant des « problèmes pratiques dans sa mise en œuvre et son application, ainsi que dans certains cas, des distorsions de concurrence ».
L’UGS demande à l’OMI « de veiller à ce que les mesures adoptées soient réalisables et adaptées à l'ensemble de l'industrie maritime. Chaque secteur devrait être autorisé à choisir celles qui conviennent le mieux à son modus operandi et qui devrait être respecté par tous », soutient l’UGS, ajoutant que pour le vrac, « il est crucial que, quelles que soient les mesures prises, elles deviennent également des engagements pour les affréteurs de navires ».
Adeline Descamps
Le gouvernement norvégien se met à table
Intitulé GreenVoyage-2050, un projet conjoint à l'OMI et la Norvège a été dévoilé le premier jour d'ouverture visant à mettre à l'essai des solutions techniques pour réduire les émissions de GES provenant du transport maritime, à améliorer le partage des connaissances et des informations en appui à la stratégie de réduction des GES, indique l'OMI. Plus de 50 pays devraient y participer mais dans un premier temps, huit pays de cinq régions prioritaires (Asie, Afrique, Caraïbes, Amérique latine et Pacifique) ont été désignés comme des sites pilotes pour promouvoir l'adoption de technologies vertes. Bailleur de fonds, le gouvernement norvégien apporte à ce projet 10 000 000 couronnes (1,1 M$) pour les deux premières années du projet, qui doit aussi embarquer le privé et permettre l'adoption de solutions technologiques, selon les propos du secrétaire général de l'OMI.