Comme annoncé, le troisième trimestre devrait être la période la plus profitable de l’année pour les transporteurs maritimes de conteneurs. Les résultats financiers de Maersk pour la période juillet-septembre en montrent le chemin. Le numéro deux mondial du secteur avait d’ailleurs anticipé en annonçant le 21 octobre une revoyure à la hausse de plus de 2 Md$ de ses bénéfices pour l’ensemble de l’année. En dépit ou en raison de la très grande volatilité des taux de fret, qui devient plus que jamais le principal déterminant du marché, et des perturbations géopolitiques, notamment en mer Rouge avec la guérilla sans peu de relâche des Houthis.
Le réacheminement contraint d’une grande partie de la flotte mondiale de porte-conteneurs par le cap de Bonne Espérance pèse sur la base de coûts des armateurs, influençant la consommation de combustible et les coûts d'exploitation globaux. Le compte d’exploitation de Maersk en témoigne. Les coûts de soutage ont augmenté de 18 %, sous l'effet d'une hausse de 14 % de la consommation de carburant (avec un fuel à 615 $ ma tonne), due aux détournements de navire.
Bien que le Shanghai Containerized Freight Index (SCFI) ait frémi ces derniers jours (+ 6 % au global et +14 % sur le trade Asie-Europe du Nord), il vient d’aligner plus de dix semaines consécutives de repli après avoir culminé en juillet à un peu plus de 3 700. Le SCFI se situait à 2 135 à la fin du mois de septembre, mais alors en hausse d'environ 140 % par rapport à la même semaine en 2023. L'armateur danois de porte-conteneurs est en phase : il a navigué au troisième trimestre avec un revenu moyen par EVP de 3 226 $, soit plus de 1 100 $ de plus comparé à la même période de l’année dernière et de 1 700 $ sur les trois lignes maritimes Est-Ouest (Asie-Europe, transatlantique, transpacifique). Le taux de fret moyen aura par ailleurs augmenté de 29 % d’un trimestre à l’autre.
Après plusieurs exercices en sous-régime
Le contraste est d’autant plus saisissant que le groupe (activité maritime, opérations logistiques et manutention portuaire) a enchaîné plusieurs exercices trimestriels en sous-régime, subissant plus que ses concurrents l’âpreté des conditions de marché. Son chiffre d'affaires a augmenté de plus de 3 Md$ au troisième trimestre sur une base annuelle pour atteindre 15,13 Md$, soit 41 Md$ sur neuf mois. À 4,79 Md$, le bénéfice d'exploitation avant intérêts, impôts et amortissement (Ebitda) est en hausse de près de 3 Md$ (2,92 Md$) d’une année sur l’autre et l’Ebit (3,3 Md$) a évolué à des niveaux comparables (+ 2,77 Md$). Le résultat net ressort à un peu plus de trois milliards sur trois mois (et à 4,12 Md$ sur neuf mois).
Tous les segments du groupe en profitent, y compris la division Ocean, qui chapeaute les opérations maritimes et reste la locomotive du groupe avec 73,4 % des revenus de l’ensemble, soit 11,1 Md$. Ses revenus ont rebondi de plus de 41 %. La hausse de 3,2 Md$ de ses recettes est portée par le saut de 54 % de ses taux de fret, alors que ses volumes ont peu augmenté (+ 0,3 %), totalisant 3,17 MEVP.
Une marge d'exploitation de 25,5 %
La pression sur ses coûts d'exploitation globaux, passés de 6,7 à 7,15 Md$ en raison de dépenses de soutage (+ 22 %) et de manutention des conteneurs (+ 9 %), semble avoir été largement compensée par une gestion opérationnelle au cordeau au regard du bond de sa marge Ebit de 25,5 % (son excédent brut d’exploitation gonflé de 2,9 Md$). Les frais générés par le système d'échange de quotas d'émission de l'UE (ETS) viennent alourdir le poste de dépenses à hauteur de 55 M$.
Le département Logistique & Services, qui comprend également Maersk Air Cargo, a enregistré un chiffre d'affaires (1,1 Md$) plus solide (+ 11 % en glissement annuel) avec une meilleure rentabilité (+ 64 M$ sur un an), soit un bénéfice d'exploitation de 200 M$.
Maersk compte sur ce segment pour s’affranchir des cycles. Mais la division est encore loin de répondre aux objectifs visés. La croissance organique de la division est redevenue positive à 2 % au cours des 12 derniers mois, mais reste inférieure à l'objectif de 10 %. Avec 3 %, la marge Ebit est de moitié inférieure avec son ambition de 6 %.
La manutention portuaire au plus haut
La conjoncture du troisième trimestre a également bénéficié à la manutention portuaire, se matérialisant par une forte croissance du chiffre d'affaires, qui a passé le cap du milliard de dollars sous l'effet de l'augmentation des volumes, des hausses tarifaires et de l'accroissement des recettes de stockage résultant de la congestion dans certains hubs portuaires clés. Les trois paramètres ont permis de compenser le manque à gagner des terminaux du Moyen-Orient rudoyés par la situation en mer Rouge et dans le golfe d'Aden. L’activité des terminaux a néanmoins réalisé son meilleur Ebitda (424 M$) depuis le premier trimestre 2022, fait valoir le groupe danois, et a soldé la période trimestre avec un ROIC (rendement du capital investi) de 13 %, bien supérieur aux attentes de plus de 9 %.
L'activité dans les terminaux a été notamment tirée par l’Amérique du Nord, où les ports affiche un taux d’utilisation de 89 % (+ 11 points). La première porte d’entrée pour le fret conteneurisé, Los Angeles, a clôturé en septembre le trimestre le plus actif de son histoire avec 2,85 MEVP. Neuf mois après le début de l'année, avec 7,6 MEVP, le port ouest-américain était en avance de 18 % sur son rythme de 2023. Mais la dynamique a également concerné l’Asie (+ 14 %), où les terminaux sont exploités à 87 %, notamment grâce à Mumbai, en Inde.
En revanche, les volumes en Europe sont à la traîne, le bénéfice de la demande supplémentaire de transbordements à Barcelone et à Vado (Italie) ayant été absorbé par la baisse des volumes à Poti, en Géorgie, et par la cession de Castellón, en Espagne. Le coefficient d’occupation (75 %) ressort en baisse d’un point.
Meilleures perspectives
La direction a relevé il y a quelques jours ses prévisions financières pour l'ensemble de l'année. Le groupe s'attend désormais à ce que la croissance du marché mondial des conteneurs soit d'environ 6 % (contre 4 à 6 % précédemment). « Sur la base de ce solide trimestre, combiné à une demande robuste sur le marché des conteneurs et à la poursuite de la situation en mer Rouge, nous nous attendons désormais à un Ebit de 5,2 à 5,7 Md$ [contre 3 à 5 Md$ précédemment, NDLR] »
Sur l’ensemble des activités, le rendement du capital investi ces 12 derniers mois (7,4 %) est légèrement inférieur à l'objectif de plus de 7,5 %. Et très loin du rendement moyen réalisé entre le début de 2021 et le troisième trimestre 2024 (32,3 %). Mais à ce niveau, il était toutefois nettement supérieur à l'objectif de 12 % pour la période 2021-2025.
« A.P. Møller-Maersk donnera la priorité à l'allocation du capital aux investissements dans l'entreprise, y compris les acquisitions dans le secteur de la logistique et des services, au remboursement de la dette, au paiement des dividendes sur la base d'un ratio de distribution de 30 à 50 % du bénéfice net », énumère le rapport d’activité.
Des effets d'anticipation en cascade ?
Compte tenu de l’extrême instabilité conjoncturelle, plus personne ne se hasarde aux projections. Les analystes se « disputent » actuellement sur l’orientation à venir des taux de fret et la durée de leur rebond subit. Et après avoir beaucoup glosé sur la « peak season » qui fut exceptionnellement précoce du fait des effets d’anticipation, ils s’attardent désormais sur le Nouvel an chinois, qui pourrait selon eux être tout autant hâtif...
Adeline Descamps
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