Maersk va prendre une participation minoritaire, via sa structure de capital-risque Maersk Growth, dans la start-up WasteFuel, qui produit du bio-méthanol et biogaz à partir des déchets agricoles et ménagers. L’entreprise californienne, qui a accueilli parmi ses actionnaires en février la compagnie aérienne NetJet (groupe Berkshire Hathaway de Warren Buffett), vise notamment les usages carburants pour le secteur des transports.
« L'investissement de Maersk permettra à WasteFuel de développer des bioraffineries exploitant les technologies les plus efficaces disponibles pour produire des carburants durables à partir de déchets qui, autrement, se dégraderaient et libéreraient du méthane et d'autres émissions nocives dans l'atmosphère », indique de façon « corporate » le leader danois du transport maritime par conteneurs.
Convaincu par le méthanol
Sur le fond, Maersk, membres du Methanol Institute, aux côtés de Stena Bulk, MSC, MOL et Oldendorff Carriers, est convaincu depuis quelque temps déjà par les promesses du méthanol vert et son rôle « dans la décarbonation des chaînes d'approvisionnement au cours des 10 à 15 prochaines années ».
Pour amorcer la pompe et envoyer des signaux aux fournisseurs de carburants, le transporteur a commandé en août huit navires de 16 000 EVP à double carburant avec du fuel à faible teneur en soufre et du méthanol vert. Or, ce carburant vert reste coûteux à produire car à la différence d’autres énergies, il n’est pas extrait de terre mais doit être produit (à partir d'hydrogène vert et de CO2 capté).
Selon le danois, le méthanol renouvelable coûtera au moins autant que le carburant conventionnel sur la base d'une tonne métrique, mais pour des raisons de densité du méthanol, il en faudra deux tonnes pour avoir l’équivalent d'une tonne de fuel à 3,5 % de teneur en soufre par exemple, ce qui rendra son coût réel deux fois plus cher.
Approvisionnement difficile
« Nous savons qu'il sera très difficile de trouver une quantité suffisante de carburant vert pour nos navires fonctionnant au méthanol, car cela nécessite une augmentation importante de la production au niveau mondial. La collaboration et les partenariats sont essentiels pour développer la production et la distribution de carburants durables », explique Morten Bo Christiansen, vice-président et responsable de la décarbonation chez A.P. Moller – Maersk.
L’approvisionnement en méthanol vert est en effet un point critique. Pour propulser ses nouveaux huit porte-conteneurs, 360 000 t de méthanol d’origine renouvelable seraient nécessaires. Selon un rapport de l'Agence internationale pour les énergies renouvelables et du Methanol Institute, environ 98 Mt de méthanol sont produites chaque année, dont la production et la combustion génèrent 300 Mt de CO2. Moins de 200 000 t sont du méthanol vert, la plupart étant du bio-méthanol. Le Méthanol Institute soutient que la production pourrait atteindre 500 Mt d'ici 2050 (cf. un rapport publié en partenariat avec l'Agence internationale pour les énergies renouvelables en début d'année).
Pour son feeder, premier navire commandé au méthanol en juillet, Maersk a contracté avec Reintegrate. La filiale du groupe danois d’énergies renouvelables European Energy sera en mesure de lui assurer 10 000 t d'e-méthanol, à partir de l’énergie solaire produite par une ferme située à Kassø, dans le sud du Danemark. Cette capacité ne suffira évidemment pas pour assurer sa série de porte-conteneurs.
Tromper l’attentisme
Le bio-méthanol, issu de la transformation des déchets tel que développé par WasteFuel, serait moins cher à produire que le e-méthanol. Mais l’offre de biomasse est limitée car elle entre en concurrence avec les demandes d’autres secteurs. L'ensemble de la flotte de porte-conteneurs de la compagnie a consommé 10,35 Mt (tonnes métriques) de carburant marin en 2020, selon son rapport annuel, pour lesquels il faudra trouver des alternatives vertes d'ici 2050, date à laquelle la flotte maritime mondiale devra être neutre en carbone.
D’ici là, la difficulté sera de dissuader l’attentisme qui veut que tant qu’il n’y a pas de demande, il n’y a pas d’offre et vice-versa.
Fixation d’un prix carbone nécessaire
Le méthanol n’est pas le seul carburant auquel Maersk s’intéresse. L'ammoniac, pourtant hautement toxique, et les biocarburants retiennent aussi son attention. Pour ces derniers, ses intérêts se portent plus précisément sur l’utilisation de la biomasse lignocellulosique et notamment, la valorisation de la lignine. Des expérimentations ont été menées sur quelques navires.
Et Maersk n’est pas non plus isolé dans ses convictions en faveur du méthanol. Proman Stena Bulk, la coentreprise entre l'armateur Stena Bulk et le producteur de méthanol Proman, prévoit de construire six pétroliers de 50 000 tpl équipés de moteurs bicarburants au méthanol, qui seront livrés en 2023. Le motoriste MAN, sélectionné pour les futurs porte-conteneurs danois, a testé pour la première fois un moteur bicarburant au méthanol en 2016. Aujourd’hui, son carnet de commandes compte 23 moteurs ME-LGIM. L’allemand soutient que la combustion du méthanol émet 8 % de CO2 en moins qu'un moteur HFO Tier II. Wärtsilä a introduit un moteur au méthanol en 2013 et prévoit de lancer une nouvelle version de sa série W32 éprouvée, à la fin de 2023, visant aussi le retrofit.
Pour encourager ses développements, la fixation d'un prix pour la tonne d'émissions d'équivalent CO2 sera cruciale pour rendre les nouveaux combustibles de soute économiquement viable. C’est l’actuel grand sujet qui anime toute la communauté du transport maritime.
Les analystes de S&P Global Platts prévoient que d’ici 2030, 440 navires à double carburant avec le GNL seront livrés, contre 79 navires au méthanol et « une poignée d'autres carburants alternatifs ». Cela équivaudra alors à 0,5 % de la flotte mondiale.
Adeline Descamps