L’attention médiatique avait eu tendance ces dernières semaines à se focaliser sur le bâtiment Berlaymont à Bruxelles. Depuis que la Commission européenne a présenté sa feuille de route pour tendre vers la neutralité carbone dans les délais impartis par l’Accord de Paris sur le climat, le paquet législatif Fit for 55 (cf. détails ici) a détourné les regards sur les dispositions concernant le transport maritime.
D’autant que le SCEQE système communautaire d'échange de quotas d'émission ou Emissions Trading System, ETS), le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) et la révision de la directive sur l’énergie (ETD) sont autrement plus impactant pour le transport maritime que les premières mesures décidées par l’OMI à l’occasion du dernier Comité de protection du milieu marin.
D’accord sur le fait qu’ils ne sont pas d’accord
À l’issue du MEPC 76, qui s’est clôturé le 17 juin, les États membres de l'organe de réglementation des Nations unies en matière de transport maritime étaient au moins d’accord sur le fait qu’ils n’étaient pas vraiment d’accord sur à près tout ce qui touche à la décarbonation du transport maritime, au-delà du court terme.
Pour cet horizon proche en revanche, les amendements à l’annexe IV de la convention Marpol (qui compte 100 États contractants, représentant 96,65 % de la marine marchande mondiale en tonnage) ont bien été votés. Ils comprennent deux mesures sur la réduction de l’intensité carbone des navires d’ici 2030 (de 2 % chaque année entre 2023 et 2026) et s’appuient sur deux outils : l'indicateur d'intensité carbonique (CII) et l'indice de conception des navires existants (EEXI) de l'OMI.
Des échanges animés
Mais les décisions concernant les soumissions déposées par les grandes organisations maritimes – l’instauration d’une taxe ou d’un prélèvement obligatoire sur les carburants d’origine fossile et la création d’un organisme de R&D pour accélérer les développements technologiques de rupture sur des carburants décarbonés – ont été remises à plus tard.
Des échanges sur ces deux soumissions, que les associations professionnelles considèrent comme clés, ont en revanche animé l’hémicycle mais ont révélé de profonds clivages entre les 174 nations appelées à se mettre d’accord sur la stratégie de décarbonation du secteur. Les propositions devraient revenir sur la table lors de la prochaine session du comité de protection du milieu marin en novembre, immédiatement après la COP 26.
Retour des mesures basées sur le marché
Le scénario qui devait absolument être évité – voter des mesures qui incitent les États membres à pallier les insuffisances d’un système international en élaborant leurs propres réglementations – s’est donc joué. La Commission européenne a présenté les mesures qu’elle entend imposer au secteur. L’administration de Joe Biden s’est engagée à faire en sorte que le transport maritime devienne une industrie à zéro émission d'ici 2050.
La plupart des grandes organisations professionnelles – et certains PDG de grands armateurs plus personnellement – défendent une stratégie qui donnerait un prix au carbone suivant un mécanisme basé sur le marché (MBM). Mais pas suivant une approche régionale et fragmentaire « tel le système d'échange de quotas d'émission de l'UE qui ne s'appliquera qu'à environ 7,5 % des émissions mondiales du transport maritime [estimées à 90 Mt, NDLR], qui générera « de la volatilité des systèmes d'échange de droits d'émission », assène Guy Platten, secrétaire général de l’ICS.
La fédération internationale des associations nationales d'armateurs du monde entier, revendiquant plus de 80 % de la flotte marchande, est la plus militante à cet égard.
Privée des arbitrages à l’OMI sur des mesures, pour lesquelles elle sollicitait une décision immédiate, elle saisit la fenêtre de tir qu’offre l’agenda international avec la COP 26 pour revenir à la charge avec ses propositions : l’instauration d’un cadre juridique qui permettre de rendre plus coûteuse l’utilisation de combustibles fossiles pour favoriser les alternatives plus sobres ; la création d’un fonds climat et la mise en œuvre d’une taxe carbone.
Intercargo, association des exploitants de vraquiers, s’est ralliée à son plaidoyer.
Quel prix ?
Selon les documents remis le 3 septembre à l'OMI, la taxe serait basée sur une contribution obligatoire fixe des navires de plus de 5 000 tonnes de jauge brute, pour chaque tonne de CO2 émise. L'argent collecté abondera un « Fonds pour le climat » géré par l'OMI qui, en plus de combler l'écart de prix entre les carburants sans carbone et les carburants conventionnels, servirait à déployer à grande échelle l'infrastructure de soutage nécessaire dans les ports du monde entier pour fournir des carburants tels que l'hydrogène et l'ammoniac.
Le Fonds déciderait des contributions financières, assurera la collecte de la taxe et le suivi et contrôle (comprendre : pour les « mauvais payeurs »). Afin de réduire au minimum la charge financière et d'assurer la mise en place rapide de la taxe sur le carbone, l'industrie plaide (depuis deux ans déjà) en faveur d’un fonds de R&D distinct de 5 Md$ destiné à accélérer le développement de technologies sans carbone. Il serait alimenté par un prélèvement obligatoire de 2 $ par tonne de carburant maritime.
À quel prix la tonne de CO2 émise ?
« Nous devons être en mesure de mettre à l'eau des navires à émissions nulles d'ici à 2030 sans nous heurter aux problèmes de prix et de sécurité. Si l'OMI soutient notre proposition, nous pourrons peut-être changer cette situation et déployer les technologies de manière économique et équitable, insiste Guy Platten. Un système basé sur une taxe a pour mérite d’offrir un cadre réglementaire stable et sécure, conditions capitales pour favoriser les investissements dans des navires et des technologies propres. »
L’ICS ne s’aventure pas en revanche à évoquer le prix que coûterait l'émission d'une tonne de CO2.
« La technologie ne se suffit pas à elle-même, nous avons aussi besoin de réglementation. Les carburants alternatifs seront plus chers, et cette différence de prix devra être équilibrée. Il y a des pionniers qui montrent la voie, mais pour que le grand changement se produise, les régulateurs devront orchestrer ce changement majeur », a indiqué le PDG de Wärtislä, Håkan Agnevall, qui intervenait au cours de la conférence Sea20. Le motoriste finlandais, qui avait introduit un moteur au méthanol en 2013, prévoit de mettre sur le marché son moteur « vert » à l’ammoniac en 2023 et à l'hydrogène en 2025.
Adeline Descamps