La promesse n’aura pas tenu longtemps. Quelques jours à peine après avoir fait part de son objectif d’exporter 10 Mt de blé en 2022, le deuxième producteur mondial a interdit toute sortie du pays pour préserver ses stocks et tenter de contenir les prix qui se sont enflammés. Effet surprise.
En avril, les experts du marché faisaient pourtant du géant indien un potentiel fournisseur alternatif aux pays de la mer Noire en guerre, l’Ukraine, grenier à blé mondial et la Russie, qui à deux composent le premier hub mondial d’exportation de céréales avec 30 % des céréales. Or, le blocus naval en mer Noire empêche le blé ukrainien d’être exporté vers les pays qui en ont le plus besoin, notamment en Afrique et au Moyen-Orient, même si les ports voisins roumains s’organisent en conséquence.
Avec 9 % des stocks mondiaux, l’Inde n’est traditionnellement pas un grand exportateur de blé mais, en avril, le pays a vendu un volume record de 1,4 Mt de blé alors qu’il n'en avait exporté que 242 857 t l’an dernier à la même période.
Alors que les pays acheteurs sont en quête d’alternatives pour pallier les défaillances de l’Ukraine et de la Russie, de nouvelles destinations s'ouvrent au blé indien d’autant que l’Inde est le seul grand fournisseur de blé à cette période de l'année. Il apparaît comme un fournisseur clé de blé pour des pays comme l'Égypte, l'Iran, le Bangladesh et l'Indonésie, largement dépendants du blé ukrainien pour satisfaire leur consommation. Révélateur, l'Égypte, premier importateur de l’épi, a accepté pour la première fois de lui en acheter. En outre, le Programme alimentaire mondial des Nations unies s'y est approvisionné pour fournir la Somalie, le Kenya et Djibouti, ont indiqué des négociants basés à New Dehli.
Températures extrêmes et obstacles logistiques
Toutefois, les négociants indiens faisaient déjà valoir en avril que les vagues de chaleur extrêmes dans le nord de l'Inde (rendements réduits) et les obstacles logistiques (défaillance du réseau ferroviaire, alors que la priorité est donnée au charbon) étaient susceptibles de limiter le potentiel à l’exportation de quelques millions de tonnes. Le gouvernement indien prévoyait alors une production record de 111,3 Mt de blé pour la campagne 2022-23 et un niveau inédit d’exportation de l’ordre de 11 à 12 Mt (données du ministère indien de l'Alimentation).
Les faits leur donnent raison aujourd’hui. La décision surprise du gouvernement a mis le chaos dans les ports, plongeant les négociants dans l’inquiétude à l’idée de devoir annuler leurs contrats d'exportation et de se rabattre sur le marché intérieur où les prix pratiqués sont plus faibles.
Seules les exportations soutenues par des lettres de crédit (LC), ou des garanties de paiement, émises avant le 13 mai, ont été initialement autorisées avant l’entrée en vigueur de la mesure. Sur les quelque 2,2 Mt de blé prêts au départ ou en transit, seules 400 000 t entrent dans ces critères. Environ 1,4 Mt de blé ont été localisés dans les ports de la côte ouest tels que Mundra et Kandla et quelque 800 000 t supplémentaires dans ceux de Kakinada, Tuticorin et Visakhapatnam sur la côte est.
Rétropédalage
Face aux vives réactions des marchés – les contrats à terme de référence sur le blé à Chicago ont bondi de 6 % le jour de l’annonce – et à la menace que la décision fait peser sur les consommateurs pauvres d'Asie et d'Afrique –, New Dehli a rétropédalé et annoncé un assouplissement pour autoriser les départs vers les pays qui en font la demande « de façon à répondre à leurs besoins en matière de sécurité alimentaire ». Mais l’engagement a laissé les experts du marché extrêmement sceptiques.
La panique est telle que certains importateurs asiatiques envisagent l’option russe en dépit des problèmes de paiement liés aux sanctions contre les banques russes et les primes d'assurance maritime élevées.
Adeline Descamps