Les relevés de l'indice de confiance des industriels témoignent du choc sur l’appareil industriel mondial. Partout le PMI, baromètre des prises de commandes, de la production, des livraisons et des stocks du secteur manufacturier, glisse dans une contraction sans précédent. Indicateur témoin des volumes d'expédition de conteneurs pour les mois à venir, il offre aux transporteurs un aperçu de ce qui les attend. Crash-test à grande échelle.
La planète économique souffre. Les relevés de l'indice de référence du secteur manufacturier pour le mois d'avril indiquent un affaiblissement massif de l'industrie mondiale. La paralysie de la production est particulièrement marquée. Les nouvelles commandes et les achats se sont fortement repliés. Les délais de livraison ont augmenté à un rythme record. Les réduction d’effectifs signalées sont alarmantes. Il faudra du temps pour que les dommages structurels infligés aux économies du monde entier par le coronavirus s’atténuent, préviennent les analystes, envers et contre toutes les mesures barrières déployées par les États et les institutions financières.
L’effet est particulièrement dévastateur pour la première usine du monde. Pour la première fois depuis l’introduction en 1992 des statistiques officielles sur la croissance, l’économie chinoise s’est contractée au premier trimestre. Les analystes anticipent un choc sur le marché du travail, se traduisant par la perte de 30 millions d’emplois en Chine en 2020. L’activité y a pourtant repris au fur et à mesure de la levée du verrouillage imposé pour juguler l’épidémie. Témoin, le taux de chômage en zone urbaine a diminué à 5,9 % en mars contre 6,2 % en février.
[Acte 1] Les alliances restreignent drastiquement leurs services
Mais la seconde puissance économique de la planète doit désormais faire face à la contraction du secteur manufacturier mondial, qui se matérialise par la faiblesse des nouvelles commandes à l’exportation et des tensions sur les chaînes d’approvisionnement, tant en amont qu’en aval. Les entreprises chinoises peinent à se fournir en intrants et à livrer leurs produits finis, d'où un fort gonflement des stocks et une accumulation des anciennes commandes en souffrance. « Certaines entreprises font état d'une faible demande, de difficultés à vendre leurs produits et de nouvelles commandes qui tardent », a indiqué le Bureau national des statistiques (BNS), qui délivre l’indice officiel du secteur industriel, le PMI.
Contraction sans précédent
En avril, l’indicateur, qui prend en compte les prises de commandes, la production, les livraisons et les stocks, a ralenti à 50,8 points contre 52 le mois précédent. Il reste toutefois encore au-dessus du seuil de 50, cette frontière qui sépare la contraction de l’expansion. Pour rappel, il s’était établi à 35,7 en février contre 50 en janvier. Plus sévère, un autre indice, celui-ci calculé par le cabinet IHS Markit pour Caixin, confirme la paralysie de l’appareil productif mais le situe en territoire déflationniste. Issu d'une enquête auprès d'un vaste échantillon d'entreprises, surtout petites et moyennes, le baromètre de Caixin est passé dans le rouge en avril à 49,4 contre 50,1 le mois précédent. Son plus bas niveau depuis sa première publication en 2004.
Ailleurs dans le monde, la récession manufacturière est sans précédent. Les États-Unis et les pays de la zone euro ont connu en avril les plus fortes baisses jamais enregistrées, éclipsant l'impact de la crise financière, à 36,9 et 33,6 points respectivement. Le Japon a limité la descente brutale (- 1,1 point) à 43,7 points.
[Acte 2] Les alliances maritimes donnent un nouveau coup de frein
Un sous-indice portant sur les nouvelles commandes à l’exportation – dont les produits constituent l’essentiel des marchandises conteneurisées transportées par mer – est encore plus inquiétant. Il s’est affaissé en avril, à 33,5 contre 46,4 en mars. « Des usines chinoises ont même enregistré des annulations de commande après avoir rouvert leurs portes », a relevé le BNS au moment de la publication des données.
En mars, alors que les États-Unis entraient dans une phase de confinement, les ventes au détail dans le prêt-à-porter ont chuté de 50 % par rapport à février 2020 tandis que le secteur ameublement établissait un repli plus modéré de 26,8 % et les concessionnaires de véhicules automobiles et de pièces détachées de 25,6 %.
Réaction rapide face à la demande de fret en récession
Le ralentissement de la demande des consommateurs pour les produits finis, et donc les marchandises conteneurisées, constitue un véritable test de résistance pour les armateurs de porte-conteneurs. Anticipant l'absence de demande, à des fins de maintenir les taux de fret, ils ont très rapidement actionné les leviers dont ils disposent pour absorber l’offre excédentaire. À commencer par les suppressions de traversées.
Dans son dernier relevé, le consultant danois Sea-Intelligence indiquait que, dans la semaine du 20 au 25 avril, la route commerciale la plus fréquentée du monde, Asie-Europe du Nord, avait perdu 38 % de ses capacités. Et la ligne sera concernée par de nouveaux retraits de services de 20 % en mai et juin pendant sept semaines consécutives, dont trois semaines à plus de 35 %. L’analyste faisait alors état de 435 traversées annulées, toutes lignes confondues. Alphaliner comptait pour sa part 385 porte-conteneurs inactifs (représentant une capacité de transport de 2,20 MEVP) au 13 mars.
Pour atténuer la surcapacité, plusieurs transporteurs ont par ailleurs commencé à ralentir sur les trajets, ce qui permet aux porte-conteneurs de sauter une semaine à leur retour en Asie. Et ils sont de plus en plus nombreux à envoyer leurs navires transiter par la route plus longue du Cap de Bonne-Espérance pour des voyages de l'Europe et de l'Amérique du Nord vers l'Asie. Pour l’heure, Hapag-Lloyd est le seul qui ait remis à plus tard sa commande de six nouveaux mégamax de 23 000 EVP.
Vulnérabilité financière
Ces dernières années, le secteur du transport maritime par conteneurs a opéré dans des conditions difficiles, réduisant considérablement les marges d'exploitation de l’ensemble des opérateurs. En 2019, leurs performances financières s’étaient améliorées. Selon Alphaliner, l’analyste spécialiste des lignes maritimes régulières, seuls deux des dix principaux transporteurs de conteneurs ont affiché des résultats d'exploitation négatifs. Les résultats avaient été influencés positivement par la hausse des taux de fret et la baisse des prix des combustibles de soute, qui ont diminué de 6,5 % en 2019 par rapport à 2018. Toutefois, quatre transporteurs (CMA CGM, HMM, Yang Ming et Zim) affichaient des résultats nets négatifs.
« Les problèmes de liquidité pèseront lourdement sur les transporteurs en 2020, car la récession engendrée par l’épidémie devrait affecter les flux de trésorerie et les résultats des transporteurs. Certaines compagnies sont particulièrement vulnérables, leur bilan étant affaibli par des pertes persistantes », indiquait aussi Alphaliner.
Les transporteurs dont le ratio d'endettement est élevé sont donc particulièrement vulnérables, « en particulier ceux dont les dettes à court terme présentent des niveaux élevés et arrivent à échéance cette année ». Dans cette catégorie figurent CMA CGM, Hapag-Lloyd, HMM, PIL, Yang Ming et Zim. Fin mars, Moody's avait dégradé la notation de plusieurs transporteurs, celles de Hapag-Lloyd, Maersk, MOL et NYK passant de « stables » à « négatives » tandis que CMA CGM était « sous examen en vue d'éventuelles dégradations ».
[Acte 3] THE Alliance taillade son réseau
Dans un rapport que le Forum international des transports (ITF) vient de publier, l’organisation intergouvernementale qui travaille sous l’égide de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) met en garde les gouvernements contre l’empressement qu’ils pourraient mettre au cours des prochains mois à renflouer des transporteurs endettés (le transporteur sud-coréen vient notamment de recevoir une nouvelle aide de 382 M$ de Séoul).
« La dette cumulée de 14 grands transporteurs de conteneurs avait atteint 95 Md$ au troisième trimestre de l'année dernière alors qu’elle s'élevait à 76 Md$ en 2010 », mentionne le document. « Si le volume du commerce mondial de conteneurs devait se contracter de 11 % en 2020, conformément aux projections du Fonds monétaire international (FMI), même un taux d'immobilisation des porte-conteneurs de 15 % ne pourrait pas combler l'écart avec la réduction de la demande », indique l’ITF, qui s’inquiète du transfert de la dette vers le public.
[Acte 4] La pandémie atteint également son pic en terme d’annulations de voyages
Fer de lance depuis des années d’un croisade contre les alliances maritimes, l’institution revient à la charge sur ce point, soulignant que la réduction de la demande ne se traduit pas pour autant par une baisse des prix pour les clients puisque le système d'alliances et de consortiums dans le domaine du transport maritime par conteneurs peut contrôler les prix jusqu'à un certain point. « Éviter un effondrement des taux de fret aide à survivre, mais il prive également ses clients des réductions de coûts qui auraient normalement lieu en période de baisse de la demande. En outre, les départs à vide (blank sailing) réduisent l'offre de services pour les expéditeurs, tandis que la réduction de la vitesse peut augmenter le coût de leurs stocks, étant donné que les marchandises mettent plus de temps à arriver ».
Adeline Descamps
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