La nouvelle aventure portuaire de CMA CGM à Abu Dhabi

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Le Golfe persique fait l’objet d’une véritable course aux hubs de transbordement. CMA CGM est le dernier des grands armements mondiaux à se positionner dans la région. L’accord de concession, signé le 9 septembre pour une durée de 35 ans, prévoit l’ouverture d’un nouveau terminal en 2024 d'une capacité de 1,8 MEVP. Un investissement à replacer dans la compétition portuaire de la péninsule arabique.

 

Il figure depuis deux ans parmi les ports à conteneurs millionnaires aux plus fortes croissances (+ 16 % en 2020, + 61 % en 2019). Il est passé en l’espace de deux ans du 94e au 54e rang mondial.

Après avoir longtemps stagné autour de 1,5 MEVP, Khalifa, port en eaux profondes inauguré en 2012 à Abu Dhabi, a atteint les 2,8 MEVP en 2020. Capable de traiter des porte-conteneurs de 20 000 EVP, le complexe portuaire émirati, attenant à la zone industrielle franche de Kizad (418 km2), se projette à 9 MEVP d’ici 2025.

Les autorités émiraties semblent avoir les moyens de leurs ambitions : elles ont prévu un investissement de 7 Md$ pour hisser leur infrastructure parmi les 25 premiers ports à conteneurs mondiaux.

Pour autant, le port-capitale des Émirats arabes unis, riche de ses ressources pétrolières, est encore loin de Jebel Ali, logé dans la ville « touristique » et commerçante voisine de Dubaï. C’est ce dernier, 11e port à conteneurs mondial, qui fait figure de véritable hub pour les conteneurs dans le golfe Persique avec son trafic proche de 14 MEVP.

Concurrence intra-émiratie

« Une forme de dualité portuaire s’est créée aux EAU et Dubaï assume une fonction de hub de transbordement au niveau régional », convient Paul Tourret, qui nuance toutefois : « le projet du quatrième terminal de Jebel Ali est suspendu. Avec les tensions régionales et le développement des autres ports de la région, sur lesquels s’est greffée la crise sanitaire, les développements semblent moins urgents »

Alors qu’à Dubaï, DP World est passé du statut d’autorité portuaire à un groupe de manutention portuaire à l’échelle internationale, à Abu Dhabi, un autre choix a été fait, décrypte le directeur de l’Isemar. L’autorité portuaire Abu Dhabi Ports, qui gérait déjà Port Zayed, a choisi de confier les nouveaux terminaux de Khalifa en concession, à Cosco et à MSC. 

Positionnement des grands armateurs 

L’année 2018 fut à cet égard d’une intense activité. Au mois de mai de cette année-là, l’armateur italo-suisse signait pour trente ans un accord en vue d’exploiter un second terminal avec la promesse d’y investir 1,09 Md$. Quand il a été signé, l’accord prévoyait notamment de faire de Khalifa le premier port semi-automatisé du Moyen-Orient avec une capacité de 5 MEVP.

Quelques mois plus tard, Cosco Shipping Ports et Abu Dhabi Ports inauguraient le CSP Abu Dhabi Terminal, premier terminal du port émirati et aussi premier investissement de Cosco dans un terminal du Moyen-Orient.

L’accord de concession avait été signé en 2016 avec l’ambition d’en faire un hub dans le cadre de l'initiative chinoise des nouvelles routes de la soie (Road and Belt) moyennant un investissement de 300 M$. D’une capacité nominale de 1,5 MEVP, l’opérateur chinois visait alors les 2,5 MEVP.

Dans un autre registre, mais la même année, Abu Dhabi Ports et Autoterminal Barcelona, une filiale du groupe espagnol Noatum Maritime Group, s’engageaient dans un pacte d'actionnaire pour créer la joint-venture Autoterminal Khalifa Port en vue de la gestion du terminal ro-ro dont la capacité de stockage devait être portée à 17 000 véhicules.

Faire d’Abu Dhabi un hub maritime, logistique et commercial

L’ensemble de ces accords s'inscrivent dans une stratégie visant à faire d'Abu Dhabi un hub maritime, logistique et commercial et à diversifier l'économie des Émirats, trop dépendants des rentes pétrolières.

Khalifa espère notamment catalyser les investissements des entreprises étrangères, et pas exclusivement d'Asie de l'Est. Même si la Chine y est un gros « faiseur ». En 2017, Abu Dhabi Ports a signé un accord de 50 ans avec la Chinese Jiangsu Provincial Overseas pour attirer à Kizad des investisseurs.

CMA CGM est donc le dernier acteur en date à entrer en jeu, le troisième transporteur maritime par conteneurs parmi les quatre premiers mondiaux.

L’accord de concession, signé le 9 septembre pour une durée de 35 ans, prévoit l’ouverture d’un nouveau terminal en 2024 d'une capacité de 1,8 MEVP moyennant un investissement de 154 M$. Il sera géré par une coentreprise détenue par CMA Terminals, filiale portuaire du français (dont la participation sera de 70 %), et Abu Dhabi Ports (30 %).

Le chantier doit démarrer cette année avec, dans un premier temps, un quai de 800 m. L’autorité portuaire assurera une part importante des travaux et des infrastructures maritimes, notamment 1 200 m de murs de quai, un brise-lames de 3 800 m, la construction d'une plateforme ferroviaire complète, et un terminal de 700 000 m², précise la compagnie.

« Ce projet marque une étape importante dans la stratégie de développement de CMA CGM dans la région. Ce terminal ultra-moderne contribuera au renforcement de la place du port de Khalifa comme hub mondial de premier plan, et à la croissance de l'économie régionale en accélérant les flux commerciaux en provenance et à destination d'Abu Dhabi. Il permettra également à notre groupe de développer son réseau de transport maritime et de logistique dans cette région, où nous constatons un potentiel de croissance considérable », mentionne Rodolphe Saadé, PDG du groupe CMA CGM dans le communique de presse. Le transporteur relie aujourd’hui les Émirats Arabes Unis au reste du monde à travers 13 services hebdomadaires via neuf ports d’escale.

Surenchère portuaire

Lors de l'inauguration en 2012 le président des Émirats arabes unis, l’émir Khalifa ben Zayed Al Nahyane, entendait faire de Khalifa « l'un des ports les plus importants pour le commerce dans la région et au Moyen-Orient ». Un statut déjà préempté tant la région fait l’objet d’une véritable course aux hubs de transbordement.

 Entre 2000 et 2018, selon un rapport du Boston Consulting Group, le trafic régional de boîtes a quadruplé dans la région persique mais la croissance des capacités est plus rapide (+ 7 % par an), le taux d’utilisation des terminaux régionaux est passé de 75 à 66 %.

« CMA CGM profite du surdéveloppement portuaire des monarchies du Golfe pour prendre des positions à moindre coût. L’armateur français était le seul parmi les grandes compagnies à ne pas y être. C’est une belle opportunité pour troquer ses positions dans un petit terminal à Khor Fakkan au profit d’une grande infrastructure », analyse Paul Tourret, qui invite à replacer l’ensemble de ces mouvements à l’échelle de la péninsule arabique. 

Salalah, emplacement géostratégique

De par son antériorité, Maersk a préempté les emplacements maritimes les plus géostratégiques dans le golfe, à Salalah sur la rive sud du sultanat d’Oman mais l’armateur danois joue aussi la carte de Sohar au nord du pays avec un nouveau terminal qui doit sortir de terre en 2022 et offrira du soutage GNL.

Depuis 2010, le Qatar aménage le nouveau Port Hamad à 40 km au sud de Doha. Géré par Qatar Port Management Company, il dispose d’une capacité de 2 MEVP et vise les 7,5 MEVP. Plus excentré, Um Qasar possède deux petits terminaux, l’un exploité par CMA CGM et l’autre par MSC.

Le Boston Consulting Group indiquait dans son rapport publié en 2018 que la région se trouv[ait] à un « tournant » : si les investissements importants dans des infrastructures de pointe ont jusqu'à présent porté leurs fruits, soulignait-il, la surcapacité croissante va obliger les ports régionaux à consolider leur position et à différencier leurs offres. 

Adeline Descamps

 

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