La déprime des vraquiers témoigne de la récession de la Chine

Article réservé aux abonnés

La Chine, plus grand producteur mondial d'acier, est confrontée à des interruptions répétées de son industrie sidérurgique. Le confinement de plusieurs grandes villes portuaires a fait plonger les exportations de minerai de fer alors que les vagues de chaleur ont généré des coupures d’électricité. Trente-trois villes sont sous le coup de fermetures partielles ou totales. Le Congrès du Parti communiste, à partir du 16 octobre, devrait de surcroît influencer la demande intérieure de minerai de fer et d'acier.

Ils ont eu des destins symétriques tout au long de l’année 2021 et pendant les cinq premiers mois de l'année, malgré les mauvaises nouvelles venant de Chine. Les deux segments du transport maritime, qui ont profité de la pandémie de façon saisissante, ont vu tout dernièrement leur trajectoire de croissance nettement se dissocier.

Le vrac sec n’a cependant pas eu la chance du conteneur. Dans ce secteur, les taux de fret spot sont en chute depuis plusieurs semaines mais les taux contractuels étaient encore en hausse jusqu’à ces derniers jours, ce qui a soutenu les taux moyens. Par ailleurs, la congestion portuaire, qui continue d'immobiliser les porte-conteneurs, permet de compenser partiellement le recul de la demande de marchandises. Les résultats financiers semestriels étant connus pour un bonne partie des acteurs du Top 10 mondial, les analystes n’ont plus de doute : les compagnies de conteneurs vont engranger en 2022 des bénéfices encore plus extravagants qu'en 2021.

Les opérateurs de vraquiers, eux, ne naviguent pas dans les mêmes eaux. Les taux spot ont également chuté mais les propriétaires de navires y sont bien plus exposés que dans la ligne régulière. À l’exception de quelques goulets d’étranglement poncutels, la congestion n’est plus. or, l’afflux soudain de navires rendus disponibles a achoppé sur une demande grippée en Chine en raison d’une politique sanitaire rigide maniée à la baguette.

Depuis quelques semaines, les taux de fret du vrac sec restent bloqués à des niveaux neurasthéniques, qui rappellent ceux de la première vague de Covid-19 en 2020 ou du marché à plat du printemps 2016, indique le courtier Allied. Les comptes d’exploitation pourraient être dans le rouge en 2022, promettent la plupart des professionnels qui décryptent les mouvements du segment.

Des navires exploités en dessus de leur seuil de rentabilité

C’est particulièrement vrai pour les capesize (jusqu’à 180 000 tpl) qui dépendent fortement des importations chinoises de minerai de fer (utilisé dans la construction) et de charbon. Les autres navires – panamax (65 000-90 000 tpl) et supramax (45 000-60 000 tpl) – ont en revanche des taux de fret mieux orientés bien qu’en baisse. Ils sont moins dépendants de la Chine et plus en phase avec les oscillations du PIB. Et contrairement aux capesize, ils profitent, eux, des perturbations des chaînes d'approvisionnement et des impacts de la guerre en Ukraine en mer Noire, avec un effet dopant sur les échanges de céréales, de charbon et d'autres vracs mineurs.

Si l’état de la santé économique de la Chine détermine le niveau de forme du vrac sec, ce dernier pourrait également être un indicateur avancé de l'aggravation des difficultés économiques en Chine et ailleurs.

En octobre, les tarifs moyens des capesize avaient dépassé 80 000 $ par jour et certains navires ont empoché plus de 100 000 $ par jour. Selon le dernier relevé de l’indice du vrac sec, le Baltic Dry Index, qui fournit une évaluation du prix à payer pour transporter les principales matières premières sur 26 routes maritimes, les tarifs journaliers moyens des capesize atteignent péniblement les 7 000 $ après avoir enregistré trois sessions consécutives de hausse (+ 924 $). Le revenu quotidien moyen des panamax a augmenté de 499 $ pour atteindre 11 941 $. Ces niveaux sont non seulement bien inférieurs au seuil de rentabilité mais ne sont pas non plus suffisants pour couvrir les dépenses d’exploitation.

Les prix à terme ne se portent pas mieux. Le courtier SSY avait indiqué fin août que les contrats des capesize pour 2023 étaient proposés mardi à 14 900 $/j  et les contrats 2024 à 14 750 $.

Réflet de l’économie chinoise

La faiblesse du marché spot reflète en réalité la récession dans quelques secteurs phares de l’économie chinoise, à commencer par l’immobilier. La production chinoise d'acier – qui soutient les importations de minerai de fer et de charbon – est tombée à 610 Mt à fin juillet, soit une baisse de 6,4 % par rapport à janvier-juillet 2021 selon la World Steel Association.

Le plus grand producteur mondial d'acier a dû suspendre à plusieurs reprises l’activité sidérurgique alors qu'il tentait de faire face à une recrudescence des cas de Covid-19. Le confinement de plusieurs grandes villes portuaires a fait plonger les exportations de minerai de fer. Ce problème a été considérablement aggravé par la sécheresse et les coupures d’électricité qui en ont découlé.

Le commerce mondial de minerai de fer a ainsi diminué de 6 % en août par rapport à la même période de l'année dernière, et les exportations du Brésil ont atteint le mois dernier le niveau mensuel le plus bas en cinq ans, indique Clarksons Platou. « En raison des distances entre le Brésil et la Chine, le ralentissement a été dévastateur pour le marché des capesize », décrypte le cabinet d’analystes.

33 villes sous cloche

Une lueur d'espoir est apparue la semaine dernière. « Une forte augmentation des exportations de minerai de fer en provenance d'Australie et du Brésil [en une semaine, + 17 % et + 32 % respectivement, NDLR] a permis aux capesize de sortir du marasme dans lequel il était enfermé depuis la mi-juillet », indique George Lazaridis, responsable de la recherche et des évaluations chez le courtier Allied.

L’analyste hésite à considérer ce soudain changement de cap comme un retournement de tendance. « Si l’on considère les fondamentaux globaux de la demande, il y a encore beaucoup d'incertitude quant à ce que l'on peut attendre du marché à l'avenir, tandis qu'il y a encore un niveau considérable de risque de marché découlant des mauvais indicateurs économiques dans les économies du G20 ».

Les contrats à terme sur le minerai de fer ont rebondi le 5 septembre après les baisses de la semaine dernière, les traders pariant sur le fait que le fond a été atteint malgré les inquiétudes persistantes alors que 33 villes sont de nouveau sous le coup de fermetures partielles ou totales, affectant plus de 65 millions de résidents, selon une estimation du média chinois Caixin.

Congrès du PC

Les analystes s’attendent à ce que le Congrès à partir du 16 octobre du Parti communiste au pouvoir, qui se tient une fois tous les cinq ans, fasse baisser la demande intérieure de minerai de fer et d'acier en pleine haute saison pour le secteur du BTP ( septembre-octobre).

« Compte tenu des nombreux vents contraires, il y a toujours une forte confiance dans le fait que Pékin va déployer de nouvelles politiques et mesures de relance pour stimuler l'économie et soutenir l'industrie immobilière en difficulté », poursuit George Lazaridis. Les mesures de relance ont été à vrai dire assez limitées pour l’instant et l'inflation reste sous contrôle. 

« La Chine qui a été pendant plus de 20 ans le moteur de la croissance de la sidérurgie mondiale en construisant infrastructures, routes, et usines, a annoncé qu'elle allait stabiliser voire décroître sa consommation d'acier », a indiqué Marcel Genet, expert en sidérurgie et fondateur de la société Laplace Conseil à l’AFP. Ce qui place l'acier européen, de surcroît en pleine transition énergétique, en position précaire, souligne-t-il… et pourrait renvoyer le transport maritime de vrac sec au purgatoire où il était contenu avant qu’un virus n’émerge.

Adeline Descamps

Shipping

Port

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15