En 2022, la Chine est redevenue le premier partenaire commercial de l'Union européenne pour les exportations (230 Md€) et le troisième importateur de marchandises européennes. Mais la vigilance est de mise en Europe dès lors qu'il s'agit de ses faits et gestes en tant qu'investisseur sur le Vieux Continent.
Alors que l’Union européenne et ses pays membres s’efforcent de renforcer leur stratégie industrielle et de mettre fin à leurs dépendances économiques, notamment d’avec la Chine, les investissements directs chinois, relevant pourtant des affaires commerciales et privées, mutent rapidement en affaire politique.
Chaque mouvement d’une entreprise ressortissante de la République populaire de Chine, a fortiori quand elle est placée sous la puissante Commission chinoise de supervision et d'administration des actifs d'État, considérée comme un véhicule pour les intérêts de Pékin, propulse le sujet à des hauteurs médiatiques.
Les bienfaits de la présence chinoise
La Chine a fait son entrée sur l’échiquier européen en 2016 par la porte d’entrée grecque, le port du Pirée, dont le groupe chinois Cosco est devenu propriétaire (67 %). L'affaire a instantanément provoqué un grand débat sur la souveraineté, les secteurs d’intérêt stratégique et le manque de réciprocité (l’égal accès aux marchés entre l’Union européenne et la Chine est un sujet de tension récurrent).
Ses investissements ont pourtant permis au port grec de franchir les 5 MEVP en 2022 après avoir pris la tête en Méditerranée dès 2019.
Chronique d'un psychodrame
Plus récemment, la prise de participation minoritaire du même groupe dans l’un des terminaux de Hambourg, troisième port européen où la manutention des conteneurs est principalement aux mains des deux puissants groupes allemands, HHLA et Eurogate, a viré au psychodrame outre-Rhin.
Entre la signature d’un accord en septembre 2021 entre Cosco Shipping Ports et le manutentionnaire allemand HHLA et la confirmation par Berlin, il aura fallu un an et demi et des mouvements d'accordéon pour finaliser l’opération.
L’affaire aura provoqué, tout au long de l’année 2022, une vive polémique, d’interminables débats et menacé la jeune coalition au pouvoir de dislocation. Finalement, le gouvernement d’Olaf Scholz a donné son blanc-seing fin octobre 2022 en dépit de l’opposition de six ministères fédéraux (Économie, Intérieur, Défense, Finances, Transports et Affaires étrangères) et contre l’avis de la Commission européenne.
La sortie de crise a été permise en rabotant la participation de Cosco, limitée à 24,9 % (contre 35 % pensé initialement). Entre temps, les ports maritimes allemands ont été reclassés en infrastructures dites critiques au sein de l'Office fédéral de la sécurité de l'information.
CoscoSP, China Merchants et Hutchison Ports
A la fin du mois d'août, selon la carte établie par Alphaliner, les entreprises chinoises détenaient des parts dans 28 terminaux à conteneurs en Europe, implantés dans dix pays, Royaume-Uni compris avec Felixstowe.
Dix-huit d’entre eux ont à leur capital, selon des parts variables, deux des entreprises contrôlées par l'État chinois, Cosco Shipping Ports et China Merchants, tandis que huit (dans cinq pays) relèvent de l'entreprise privée Hutchison Ports, également basée à Hong Kong. La présence de Qingdao Port International et du Silk road fundation (SRF) est encore marginale mais réelle.
China Merchants via CMA CGM
Modulo : les investissements portuaires européens de China Merchants sont portés par Terminal Link, coentreprise dont le groupe chinois est actionnaire (49 %) aux côtés de CMA CGM (51 %).
Ainsi, via Terminal Link, China Merchants est présent à hauteur de 25 % à Fos (terminal Eurofos), Montoir (Terminal de Grand Ouest), au Havre (Terminal de France) et à Dunkerque dans le Terminal de Flandres avec une participation plus importante (45,5 %) du fait de la présence plus marquée de l'actionnaire Terminal Link.
Ailleurs, l’opérateur portuaire détient une toute petite participation à Anvers (Antwerp gateway, à 4,9 %), à Malte (Euromax, 17 %), à Rotterdam (World Gateway, 15 %) et à Thessalonique (autour de 16 %).
Contrôle absolu dans sept terminaux
Dans sept des 28 terminaux, les entreprises chinoises ont le contrôle absolu (entre 90 et 100 %). C’est le cas de Cosco Shipping Ports à Zeebrugge dans le terminal CSP aux côtés de CMA CGM (10 %), notamment fréquentés par deux grandes rotations Asie-Europe de Cosco/OOCL, le troisième armateur mondial de porte-conteneurs et autre filiale du groupe Cosco. C’est aussi la situation du Pirée dans les trois terminaux à 100 % (excepté le premier terminal à 67 %).
Hormis Hambourg, Rotterdam, Anvers, Le Pirée, Cosco détient 40 % de Vado Ligure dans le terminal Vado Gateway en Italie aux côtés d’APM Terminals (groupe Maersk). Il a par ailleurs investi à Bilbao (39,51 %) et à Valence (51 % de CSP Iberia) avec CMA CGM comme partenaires.
Pour la petite histoire, en 2021, la grève et la congestion au Pirée ont été une aubaine pour son rival italien de Savone qui a bénéficié d’escales détournées des grandes compagnies de lignes. Après plusieurs reports, Vado Gateway est entré en service début 2020. D’abord seul à la barre, APM Terminals a été ensuite rejoint au capital par Cosco Shipping Port (40 %) et Qingdao Port International (9,9 %).
Hutchison, bien implanté à Rotterdam et à Barcelone
Le hongkongais Hutchison Ports règne à Barcelone (terminal Best), à Grydnia près de Gdansk en Pologne (GCT Terminal à 99 %), à Felixstowe, et à Stockholm.
À Rotterdam, Cosco et Hutchison contrôlent ensemble Euromax, avec Evergreen, entré très récemment. Le capital se partagerait dorénavant entre ECT (45 %), Evergreen (20 %), CoscoSP (17,5 %) et Chinese Silk Road Fund (SRF, 17,5 %).
Le groupe hongkongais est actuellement le plus grand opérateur de terminaux à conteneurs à Rotterdam via ECT présent dans trois terminaux (Delta), en plus d’Euromax mais dans des répartitions de capitaux difficiles à lire.
Sa position devrait être consolidée avec le démarrage prévu en 2027 d'un nouveau terminal à conteneurs en partenariat avec Til/MSC. À cette occasion, deux des terminaux de Hutchison (ECT Delta Dedicated North et Hutchison Ports Delta II) seront fusionnés, d'après les informations d'Alphaliner.
D’une capacité prévue de 6 à 7 MEVP, l’infrastructure sera en mesure d’accueillir simultanément jusqu'à cinq grands porte-conteneurs le long de ses 2 600 m de linéaire de quai.
Cap sur la sécurité économique
Les investissements chinois dans les ports européens seront toujours davantage considérés comme « trop », quelle que soit leur réalité sur le terrain. En jeu pour ses détracteurs, la crainte de la perte de compétitivité des entreprises portuaires européennes et le risque de modification des flux commerciaux.
La Commission européenne a présenté, en juin, les grandes lignes de son action en termes de sécurité économique, qui passe notamment par un contrôle renforcé des investissements étrangers dans l’Union, des exportations de biens sensibles hors des frontières communautaires mais aussi de celles des entreprises européennes dans des pays tiers.
La réciprocité, autrement dit l'égal accès aux marchés entre l’Union européenne et la Chine, est un autre sujet.
Des accès au marché inégaux
Ainsi, les navires battant pavillon chinois peuvent par exemple exploiter des feeders entre les ports d'un même État membre européen, mais aussi entre différents pays : collecter du fret à Hambourg, à Rotterdam et à Anvers, l'acheminer dans un grand hub de transbordement européen pour qu’il soit redistribué vers l’Asie ou l’Amérique du Nord par exemple. D’où l’intérêt de Cosco à investir dans les ports européens.
Pour opérer de façon similaire, la compagnie européenne devra naviguer sous pavillon chinois et être immatriculée en Chine. Un navire battant pavillon danois et de propriété danoise ne pourrait donc pas charger depuis des ports chinois pour rapatrier le fret vers un grand port du pays. Il devrait le faire à partir d’un pays voisin tels que la Corée du sud ou le Japon (cf. plus bas).
Les pratiques semblent toutefois (vouloir) évoluer. Selon la Banque mondiale, le camp favorable aux réformes bat le tambour pour accélérer les réformes structurelles, y compris l'assouplissement du système hukou, afin de supprimer les obstacles à l'entrée sur le marché pour les entreprises privées au détriment des géants de l'État.
Avec la pandémie, les décideurs européens ont feint de découvrir l’extrême dépendance à la manufacture chinoise. Avec la guerre en Ukraine, ils ont réalisé à quel point ils se sont rendus tributaires du gaz russe. Le libre-échange et la mondialisation sans entraves ont un coût qu'ils ne peuvent plus ignorer, ayant publiquement confessé leurs addictions.
Adeline Descamps
Un égal accès aux marchés dans le transport maritime ?
Dans le transport maritime, force est de reconnaître qu’il est beaucoup plus facile pour les transporteurs chinois d'accéder aux marchés européens qu’à l'inverse.
Par exemple, si la législation européenne sur le cabotage exige que seuls les navires battant pavillon d’un État membre puissent participer aux transports, elle s’applique entre les ports d'un même pays. En Chine, les transports intérieurs ne peuvent être effectués que par des navires battant pavillon chinois et appartenant à une société chinoise.
Si la législation européenne sur le cabotage exige que seuls les navires battant pavillon d’un État membre puissent participer aux transports, elle s’applique entre les ports d'un même pays. En Chine, les transports intérieurs ne peuvent être effectués que par des navires battant pavillon chinois et appartenant à une société chinoise.
Réciprocité
En pratique, cela signifie que Cosco peut investir dans une filiale aux Pays-Bas et exploiter des navires battant pavillon néerlandais entre des ports intérieurs et côtiers, là où une compagnie néerlandaise ne pourrait pas investir dans une filiale en Chine pour exploiter des navires battant pavillon chinois.
De même, les navires battant pavillon chinois peuvent exploiter des feeders entre les ports d'un même État membre européen, mais aussi entre différents pays : collecter du fret à Hambourg, à Rotterdam et à Anvers, l'acheminer dans un grand hub de transbordement européen pour qu’il soit redistribué vers l’Asie ou l’Amérique du Nord par exemple.
Pour opérer de façon similaire, la compagnie européenne devra naviguer sous pavillon chinois et être immatriculée en Chine. Un navire battant pavillon danois et appartenant à une compagnie danoise ne pourrait pas donc charger depuis des ports chinois pour rapatrier le fret vers un grand port de la République populaire de Chine. Il devrait le faire à partir d’un pays voisin tels que la Corée du sud ou le Japon.
A.D.