Pilier depuis 1997 de la flotte de navires de services offshore (OSV) d'Acta Marine, compagnie néerlandaise que l'armateur français Jifmar Offshore Services a acquis récemment, le Coastal Liberty a retrouvé la mer des Wadden – son environnement de travail classé au patrimoine mondial de l'Unesco –, avec un nouveau système de propulsion. Le navire de 43 m de long, qui transporte du matériel offshore (capacité de 140 tonnes), carbure désormais à l’hydrogène vert. Un projet sur lequel sa filiale néerlandaise a travaillé pendant deux ans avec le fournisseur allemand de solutions d'énergie propre eCap Marine et qui a obtenu la certification de classe de DNV en février.
Les trois lignes d’arbres ont été remplacées par une propulsion diesel-électrique alimentée par un PowerPac à hydrogène « bien que complexe et risquée du fait de sa nature dangereuse », précise l’entreprise. « Chaque composant de ce nouveau système, du réservoir au PowerPac, est conteneurisé et sécurisé sur le pont. Cette approche a demandé une transformation complète du système électrique du navire, ainsi qu'une formation de l’équipage pour assurer à la fois la maintenance et la gestion des risques liés à ce carburant novateur ». Les points critiques se situaient notamment dans le transfert entre le navire et l'électrolyseur par camion.
Une première, selon le fournisseur
Le système conteneurisé comprend deux piles à combustible Ballard FCwave (2 x 200 kW) et un système de batteries maritimes de Lehmann Marine. L'hydrogène vert pour les piles à combustible est produit localement en utilisant l'énergie éolienne offshore sur un électrolyseur d'hydrogène situé à quelques kilomètres du poste d'amarrage du navire et configuré pour répondre, le cas échéant, à une demande accrue.
Selon le fournisseur allemand, dont le système est modulable pour des navires commerciaux de plus grande taille, des voyages plus longs et des bateaux de navigation intérieure plus petits, « la commutation, la déconnexion et la reconnexion des réservoirs d'hydrogène ne prendront que quelques minutes grâce à la conception sans outillage et aux connexions standard ». Pour l'équipage du navire, le nouveau système se traduirait par une réduction des vibrations à bord et une propulsion plus directe en raison d’une « réponse immédiate aux arbres d'hélice ».
Un second navire à venir
Pour Jifmar, spécialiste des navires de service et de l’ingénierie maritime pour le secteur du pétrole et du gaz, les énergies marines renouvelables et les travaux maritimes, il s’agit d’une première étape. La compagnie aixoise prévoit de
remotoriser un second navire opérant sur le même site, avec pour objectif d'opérer une flotte 100 % hydrogène. Et ce faisant, elle s’attaque à une bombe à retardement du secteur : la décarbonation de la flotte existante, moins évoquée que le renouvellement par de nouvelles constructions.
« Dans un contexte où l'âge moyen des navires de la flotte est de plus de 15 ans, nous avons pris conscience qu'il ne suffisait plus de se contenter de nouvelles constructions, aussi performantes soient-elles. Le retrofit du Coastal Liberty représente une opportunité de prolonger la durée de vie des navires existants, de réduire leur impact environnemental tout en optimisant leur efficacité. Ce n’est pas juste un choix économique », explique l’armateur dirigé par Jean-Michel Berud (un ancien de LD Travocean, filiale de Louis Dreyfus Armateurs). Une allusion aux émissions liées à la construction et la production de déchets massifs issus de la déconstruction des navires.
Actuellement, cinq navires de la flotte Jifmar affichent des systèmes de propulsion bas carbone (électrique, vélique, et biocarburants). « Ce projet s’inscrit dans une stratégie globale de décarbonation, amorcée avec la remotorisation full électrique en 2023, le lancement du navire à assistance vélique Canopée en 2022, et l’utilisation de biocarburants sur les côtes françaises », précise la direction.
Doubler de taille
Avec le rachat d'Acta Marine, Jifmar a mis la main sur 26 workboats (multicat, DP2…) et 200 marins alors qu'il déploie acuellement une flotte d'une quarantaine de navires composée principalement de polyvalents DP pour les travaux offshore, des multicats avec une traction de plus de 50 t au bollard, des CTV pour le transfert d'équipage, des remorqueurs pour le sauvetage...
Pépite discrète de l'offshore, l'Aixoise est aussi le propriétaire du Canopée, le roulier de nouvelle génération équipé de quatre voiles et affrété par ArianeGroup pour collecter les éléments de son lanceur Ariane 6 dans les différents sites européens et les acheminer jusqu'au centre spatial guyanais à Kourou. Le navire de 121 m de long, exploité par Alizés, coentreprise de Zéphyr & Borée et de Jifmar Offshore Services, a démarré ses opérations en juin d’abord au moteur puis avec ses voiles en août.
Depuis 2016, le groupe aixois a grossi par croissance externe. Après la normande VDC Offshore en 2017, l’écossaise North West Marine en 2018, le groupe aixois avait intégré une autre écossaise, Delta Marine, spécialisée dans les travaux maritimes et sous-marins, bien implantée dans les services auprès des opérateurs de parcs éoliens et de projets aquacoles.
L'entrée dans son capital en 2022 du fonds d’infrastructure Marguerite, qui a repris les 44 % détenus par Raise depuis 2016 et une partie de la participation des deux dirigeants, toujours actionnaires à 35 % après le deal, a permis d'injecter 50 M€ en fonds propres dans la société. Objectif : accélérer sa croissance organique, en profitant du boom des énergies renouvelables offshore et de la dynamique des câbles sous-marins, mais aussi saisir d'autres opportunités afin de doubler de taille dans les cinq ans.
Adeline Descamps