Avec effet immédiat. La Méridionale a créé la surprise en annonçant en fin de journée, le 9 janvier, à l’issue du conseil d’administration, un changement de direction avec l’arrivée de Guillaume de Feydeau à la tête de l’entreprise. L’information a été livrée dans un bref communiqué de presse sans la motiver pour l’instant ni mentionner Benoît Dehaye, qui avait été nommé en avril 2021, mais tout en précisant qu’il n’y aurait pas de prise de parole immédiate sur le sujet.
Le nouveau dirigeant est un familier ou du moins un connaisseur des problématiques de la compagnie maritime, actuelle partenaire de Corsica Linea dans la desserte maritime de la Corse en délégation de service public. Guillaume de Feydeau a piloté la SNCM entre 2014 et 2017, une période au cours de laquelle l’entreprise avait été mise en redressement judiciaire (2014) puis reprise par le groupe Rocca (2015) entreprise de transports corse, avant de renaître sous Maritime Corse Méditerranée (MCM SAS). Cette même société sera rachetée, courant 2016, par le consortium d'entreprises corses Corsica Maritima pour devenir, ultime mue, la Corsica Linea.
Mais il a aussi dirigé d’autres entreprises dont la notoriété claque telles que le groupe JB Martin (qui détient un portefeuille de marques de chaussures en propre ou sous contrat de licences : JB Martin, Kenzo, Eden Park, Paul & Joe, etc.) ou encore Office Dépot (fournitures de bureaux) pour ne retenir que les plus emblématiques.
« Il aura pour mission de bâtir un nouveau plan stratégique pour La Méridionale, de fédérer les équipes autour de ce projet commun et de le mettre en œuvre. Sa nomination, effective à compter de ce jour, donne un nouvel élan à la compagnie et la prépare aux défis qui seront les siens dans les prochaines années », indique le communiqué de façon convenue.
Dissociation de la direction générale et de la présidence en 2021
En avril 2021, la compagnie maritime avait modifié ses statuts de façon à dissocier la présidence de la direction générale alors que Marc Reverchon occupait les deux fonctions depuis 2014. Benoît Dehaye, alors directeur général délégué mais aux manettes depuis 2019, avait été alors nommé à la direction générale. Mais il était dans l’entreprise depuis 2011.
À cette occasion, Christine Cabau-Woehrel, à la tête des actifs et opérations du groupe CMA CGM, ex-présidente du directoire de Dunkerque et de Marseille-Fos, est entré au conseil d’administration, ainsi que Alexandre de Suzzoni, cadre dirigeant du groupe STEF chargé de l’activité Restauration hors domicile.
Benoît Dehaye avait pris la barre avec notamment deux défis : réussir la percée de la compagnie sur le Maroc – première émancipation hors du cadre sécurisé par des trafics subventionnés –, et remporter la DSP sur la Corse.
Une DSP réduite
Or, si la nouvelle délégation de service public maritime sur la Corse a été attribuée, en décembre, par l’Assemblée de Corse à Corsica Linea et à La Méridionale pour sept ans (du 1er janvier 2023 au 31 décembre 2029), elle ne réserve à la compagnie historique du marché que la demi-desserte d’Ajaccio et Porto Vecchio. La DSP, qui recoupe la desserte des cinq ports de l’île de Beauté (Ajaccio, Bastia, Porto Vecchio, Ile Rousse et Propriano), est donc principalement opérée par Corsica Linea, s’arrogeant de facto l’essentiel de l’enveloppe financière (74,5 M€) contre 32,5 M€ pour La Méridionale.
Pour ce qui concerne la ligne entre Marseille et Tanger, lancée fin 2020 puis opérée jusqu’à trois rotations hebdomadaires au moyen de deux ro-pax, rien n’était exclu en fin d’année dernière, arrêt, maintien ou repositionnement. Le groupe Stef, leader européen de la logistique sous température dirigée, actionnaire de la Méridionale, devait faire connaître sa décision avant la fin de l’année. L’équilibre économique de la ligne ro-pax entre Marseille et Tanger a été fragilisé par les conséquences de la pandémie.
Un challenge sur le Maroc
Le service avait pourtant très bien démarré, le contexte sanitaire ayant incité à trouver des alternatives au tout-route pour le fret. Or les habitudes passées ont repris leurs droits en dépit de la plus-value environnementale offerte par l’option maritime (40 % des émissions en moins par rapport au tout-route via le détroit de Gibraltar). Le challenge est réel : il s’agit de concurrencer un trafic routier de remorques en proposant une desserte maritime longue.
La Méridionale s’était fixée pour objectif de capter 3 à 5 % des parts de marché sur les 350 000 à 500 000 remorques par an qui franchissent chaque année le détroit de Gibraltar avant de poursuivre leur chemin par la route ainsi que quelques pourcents du trafic passagers.
La rentabilité opérationnelle a été de surcroît obérée l’an dernier par l’envolée des coûts d’exploitation, reflétant la flambée combustibles de soute, que la BAF (bunker adjustment factor) n’a permis de couvrir que partiellement, et avant cela par une exploitation en « stop and go » en raison des restrictions sanitaires.
Ligne Marseille-Tanger : La Méridionale se donne jusqu'à la fin de l'année avant de trancher
Pas encore le moment ?
En septembre, lors de la présentation des résultats, Stanislas Lemor, le PDG de Stef ne cachait pas son désappointement quant à la faible rentabilité de la ligne, opérée initialement avec le Girolata (800 passagers, 800 véhicules et 140 remorques), rejoint ensuite par le Pelagos (capacité de 200 véhicules et 170 remorques et jusqu’à 300 passagers). Les taux de remplissage n’ont guère dépassé 30 % pour le passager et 35 % pour le fret.
Le PDG du groupe évoquait alors un repositionnement possible entre Barcelone et le port marocain avec, pour cibles, les flux de textiles entre le Maroc et l’Europe, ainsi que ceux de fruits et légumes qui remontent vers le marché international de Saint-Charles à Perpignan. En octobre, La Méridionale avait ainsi dédoublé sa ligne Tanger entre Marseille et Barcelone en positionnant un des deux navires sur Barcelone.
Si la compagnie décide de prolonger l’aventure marocaine, Guillaume de Feydeau devra donc éviter l’écueil contre lequel se sont brisées d’autres expériences. La desserte du royaume chérifien au départ de Marseille fait figure d’îlot de résistance. La ligne ouverte en solo par CMA CGM en 2018, à laquelle tout le monde se réfère, n’aura tenu que quelques mois. L’armateur marseillais avait préféré opter pour un ro-ro avec une fréquence hebdomadaire vers Casablanca.
A.D.