Grain de Sail ouvre ses cales et devient commissionnaire de transport

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L’image du chocolatier-torréfacteur-négociant de vins s’efface complètement derrière une holding qui se structure désormais en trois filiales, l'une pour exploiter l’activité agroalimentaire, l'autre pour opérer en tant que compagnie maritime armant ses propres navires et la dernière pour exercer en qualité de freight forwarder.

Longtemps, il y a eu un malentendu. Quand l’entreprise a mis à l’eau en octobre 2020 son premier voilier-cargo, une goélette de taille modeste avec ses 24 m de long et une capacité de 50 t de fret, l’entreprise créée dix ans plus tôt à Morlaix était alors perçue comme un torréfacteur (2012) puis un chocolatier (2016) et enfin, un négociant de vins bio français qui cherchait à importer ses matières premières et exporter certains produits par la mer de façon décarbonée. En réalité, faute de pouvoir sécuriser à l’époque des contrats avec des chargeurs, qui auraient permis le financement d’un navire, l’entreprise fondée par Jacques et Olivier Barreau, deux ingénieurs-transfuges de l’éolien offshore, a opté pour la fabrication et la commercialisation de produits à fortes marges dans la perspective de financer un cargo-voilier sans avoir à subir la pression économique du marché.

Il ne pourra plus y avoir confusion. L’image du chocolatier-torréfacteur-négociant de vins s’efface complètement derrière une holding qui s’est structurée en trois filiales, l’une qui exploite l’activité agroalimentaire, une autre qui opère en tant que compagnie maritime (Grain de sail Shipping) armant ses propres navires et ouvrant ses cales, et la dernière qui agit comme un freight forwarder (Grain de sail Logistics) pour apporter du fret.

« Nous pourrons nous contenter soit de faire l’appel de fonds, soit contractualiser avec des transitaires pour la réservation d’espaces ou encore la relation pourra aussi être en direct avec la compagnie », résume Laurent Jeaneau, un ancien du freight forwarding (Ceva Logistics, Geodis, TNP Consulting) qui a rejoint récemment la société bretonne en tant que directeur général pour accompagner son déploiement.

Six traversées transatlantiques rodées avec un premier navire

Aujourd’hui, le Grain de Sail 1 – monocoque en aluminium, deux mâts de 25 m et une surface de voile de 520 m2 –, effectue des traversées atlantiques (il en est à la sixième), depuis Saint-Malo vers New-York. Là, il débarque à chaque voyage quelque 14 à 15 000 cols de vins, met ensuite le cap sur Point-à-Pitre (Guadeloupe) et Boca Chica (République Dominicaine), où sont chargées les matières premières pour les besoins de la torréfaction et de la chocolaterie. Rien ne se perd : entre New-York et Boca Chica, le navire ne navigue pas à vide mais achemine une vingtaine de palettes d’équipements médicaux et humanitaires à chaque boucle, résultant d’un partenariat avec des ONG.

Le Grain de sail 2 sur cale

Dimensionné en 2016 en fonction de la capacité de son site de production pour une capacité d’emport de 50 t, le navire a atteint ses limites alors que la chocolaterie a commercialisé plus de 330 t en 2021. Ainsi, le fabricant doit actuellement passer par des transports classiques pour assurer la moitié de son sourcing en matières premières. D’où le lancement de la construction d’un second navire de 52 m, d’une capacité de chargement de 350 t avec jusqu’à 238 palettes réparties sur deux niveaux dans deux cales différentes. Des réservoirs adaptés au vrac liquide sont prévus, pour une capacité de 18 m³. Le pont pourra recevoir des marchandises en fût pour un total de 5 m³ supplémentaires.

Conçu par le cabinet d’architecte naval L20, ayant nécessité 18 mois de développement, la construction du Grain de Sail 2 a été confiée au chantier Piriou de Concarneau en août 2022 (la coque est réalisée par le site vietnamien de Ho Chi Minh-Ville) et le gréement (1 170 m² de surface de voiles) à Lorima basée à Lorient. La mise à l’eau (juillet), le mâtage (novembre) et la livraison (janvier 2024) vont jalonner l’année.

Enregistré sous Rif, il sera amené à faire quatre traversées transatlantiques par an moyennant une vitesse de 12 à 13 nœuds (contre 8 à 10 nœuds pour le premier). L’investissement sera de moins de 10 M€, insiste la direction, dont le financement s’appuie sur de l’emprunt bancaire (Caisse d’Épargne Bretagne/Pays de Loire). Bpifrance et Crédit Mutuel Equity y ont contribué au travers de leur entrée au capital du groupe.

Tête de pont d'une série de huit navires

Mais surtout, il sera le navire amiral d’une série destinée à composer une flotte de huit navires avant 2030, dont les trois premiers à horizon 2026, de façon à élargir sa desserte et le panel de produits transportés.

« Grain de Sail 1 a permis de valider la faisabilité technique, la viabilité commerciale et d’éprouver le risque industriel. On a rodé notre modèle qui nous permet d’envisager notre évolution avec plus d’assurance. Quelle meilleure preuve de concept ? On arme et opère, on charge nos propres produits et on déroule », reprend le dirigeant.

« La conception du Grain de Sail 2 a profité de toutes les expériences accumulées sur le premier navire. Il est plus opérant avec deux grues à bord pour être totalement autonomes et charger et décharger les palettes nous-mêmes. Les cales sont thermo- et hydro-régulées et tempérées, adaptées au transport de biens sensibles, réfrigérées par énergie verte avec notre électricité produite à bord [panneaux photovoltaïques et hydroliennes] ».

Du sur-mesure pour les vins et spiritueux, le luxe et certains industriels

Les solutions présentées par l’armateur ont d’ores et déjà convaincu des marques de vins et spiritueux, de luxe, et des industriels-cibles (aéronautiques). Et pour certains clients, notamment dans le luxe, bigger n’est pas accessoire. « En opérant nos navires, sans intermédiaires, avec notre personnel, on limite le nombre d’interventions et ce faisant, on prévient tout risque de casse et de spoliation. Nous n’effectuons aucune escale avant notre arrivée à New-York et donc sommes en mesure de proposer un service ultra sécurisé », promet Stephan Gallard, responsable du marketing.

Opérabilité proche d'un porte-conteneurs

Avec son transit-time affiché de 16 à 18 jours pour traverser l’Atlantique, en fonction des routes et des conditions météorologiques, la compagnie estime avoir une opérabilité proche d’un porte-conteneurs avec en sus, un prix fixe, non indexé au cours versatile du brut.

« Nous travaillons en flux tendu avec des transbordements camion/entrepôt logistique sous douane à Saint-Malo très proche de la date de départ et de chargement à bord, soit 24 à 48 h avant voire le jour-même. L’objectif est de limiter les ruptures de charges. Á destination, nous pouvons décharger directement dans un camion et assurer le transport chez le client, entrepôt ou magasin ou autre. Nous sommes les seuls à intervenir à partir du moment où les palettes nous sont confiées », détaille Laurent Jeaneau. Mais « ceux qui font 10 000 palettes par an ne viendront pas chez nous. Nos solutions répondent aux problématiques typiques des chargeurs qui privilégient le fret aérien ».

Outil de gestion des stocks

Aussi, à l’heure où les gestionnaires de stocks ont été complètement traumatisés par les deux ans de pandémie au cours desquels le dogme du juste-à-temps a été mis à mal, « un système maritime vélique qui engendre une rotation de livraison plus espacée que celle permise par l’aérien tout en étant complètement décarboné [seul un petit moteur homologué IMO Tier 3 a recours à de l’énergie fossile aux entrées et sorties de ports, NDLR] peut répondre à certaines attentes relatives à la gestion des stocks ».

Six boucles transatlantiques par an

Le Grain de Sail 2 assurera six boucles transatlantiques par an : quatre entre Saint-Malo/Port Elizabeth (New York) et deux entre Saint-Malo/Port-Elizabeth/Guadeloupe/Saint-Malo. De 50 à 60 palettes, soit environ 20 à 25 % de l’espace de commercialisation, seront réservées au fabricant pour l’export de vins, chocolats et huiles d’olive (route St Malo-New York). Sur la route entre les ports est-américain et breton, la totalité des créneaux seront ouverts. En revanche entre Point-à-Pitre (Guadeloupe) et Saint-Malo, seuls 10 à 20 % des slots seront disponibles à la vente.

Le groupe (8 M€ en 2022, 50 personnes, croissance de 20 % par an, résultat net pas communiqué) assure avoir bouclé la commercialisation des 3e, 4e et 5e navire à 80 % (dans les deux sens) avec des contrats sécurisés sur huit ans.

Des contraintes portuaires

La logistique portuaire n'a pas été une évidence. Les 4,5 m de tirant d’eau de son premier voilier-cargo ne permettant pas de décharger à Morlaix, il a donc son port d’attache à Saint-Malo, mais il doit décharger au terminal de Montoire à Nantes-Saint Nazaire, un des deux ports figurant sur la liste des points d'entrée désignés pour l'importation des produits biologiques en France. Là, la marchandise est prise en charge par le mode routier jusqu'à Morlaix tandis que le voilier poursuit son chemin en mer vers sa base.

Sans abandonner Morlaix, le fabricant prévoit donc un deuxième site sur le port de Dunkerque, qui devrait être opérationnel en 2023. Il serait par ailleurs plus proche de ses marchés, le Nord et l’Est de la France et le Bassin parisien. Ce à quoi tient la direction, qui a initié en 2013 un plan visant à être irréprochable sur l’ensemble du cycle, de la terre au rayon du magasin (matières premières raisonnablement récoltées, choix de produits non substituables localement, transformation avec de la valeur ajoutée et du personnel Esat, consommation énergétique de l’usine au cordeau, commercialisation à prix abordable et distribution dans un rayon de 500 km mais qui reste encore à décarboner).

« Dunkerque servira de hub logistique pour une desserte short sea en outre-Manche. Saint-Malo continuera à consolider pour le transatlantique. La contractualisation des terrains a été ficelée. Le chantier sera livré en 2026 », assure Laurent Jeaneau.

Adeline Descamps

 

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