S’il existait une check list des signes avant-coureurs d’une nouvelle envolée des taux de fret, la conjoncture actuelle cocherait bien des cases.
La capacité se restreint sur les routes maritimes secondaires (intra régionales) et a tendance à se concentrer sur les lignes Est-Ouest dites « lucratives ». Le marché de l'affrètement atteint de nouveaux sommets dans un contexte de course haletante au navire disponible. Certaines quêtes s’apparentent même à un véritable raid. Les fermetures d'usines en Chine, où s’annoncent les festivités du Nouvel An chinois début février, stressent l’ensemble de la chaîne d'approvisionnement et met un nouveau coup de pression sur la disponibilité des navires et des conteneurs.
44 % de la capacité conteneurisée sur deux lignes
Dans une de ses dernières publications, Alphaliner met des données sur ce qui relevait jusqu’à présent d’intimes convictions. Si la flotte de porte-conteneurs a augmenté en 2021 de 4,5 % (25,38 MEVP actuellement dont 671 574 EVP concentrés sur le transpacifique et 449 203 EVP sur l’Asie-Europe), les quelque 6 000 navires en service auraient été largement mis au service des liaisons Est-Ouest, au détriment de l’intra-régional, que ce soit en Europe, en Asie et en Afrique.
Imparable : 43,7 % de la flotte totale opèrent actuellement sur les deux lignes phares de la ligne régulière, contre 38,1 % l'année précédente. L’an dernier, la capacité du trafic Asie-Europe a augmenté de 10,2 %, en grande partie grâce à la livraison de grands navires (16 000-24 000 EVP). Actuellement, 21,7 % de la flotte de porte-conteneurs y est déployée, contre 20,6 % au 1er janvier 2021.
Un quart de la flotte mondiale entre Asie et États-Unis
Sans surprise, près d’un quart de la flotte mondiale de porte-conteneurs a été dépêché sur la route maritime entre l’Asie et les États-Unis, gagnés par la fièvre consumériste, et où les taux de fret tout compris se situaient, mi-janvier, entre 18 000 et 19 000 $ pour un conteneur de 40 pieds entre l'Asie du Sud-Est et la côte est-américaine, et entre 15 000 et 18 000$ pour la côte ouest.
En un an, entre 2021 et 2022, la part de la flotte opérant sur la ligne transpacifique est passée de 17,5 à 22 %. C’est dire que ce marché a bénéficié d’une capacité supplémentaire de 1,3 MEVP, soit un peu moins que l’équivalent de la flotte Evergreen avec ses quelque 200 navires.
Pour autant, la force déployée n’aura pas été suffisante pour éponger la demande de transport de marchandises. Les trafics des deux principales portes d’entrée américaines pour les importations conteneurisées, Los Angeles et Long Beach, en portent les stigmates. Los Angeles a terminé l’année sur un trafic de 10,7 MEVP et Long Beach, les frôlant de peu (9,38 MEVP). Si leur taux de croissance est faible en apparence – 13 % et 15,7 % – ils le doivent à la rapide congestion qui a piégé ces infrastructures où les investissements publics ont déserté il y a bien des années.
Les dessertes régionales sanctionnées
La capacité n’étant pas extensible, les plus petites lignes ont été pénalisées. Selon Alphaliner, l’intra asiatique aurait été le plus lésé. Ce qui pourrait expliquer les résultats de certaines compagnies qui y sont influentes.
Tous les marchés du groupe Cosco/OOCL ont été en croissance en 2021 à l’exception du transport domestique en recul. Si l’intra asiatique demeure le trafic clé du groupe avec 6,42 MEVP, les meilleures performances ont surtout été enregistrées sur le transpacifique (+ 10 % avec 3,81 MEVP, près de 20 % du total transporté) et entre Asie et Europe (+ 9 %, 3,91 MEVP). Ses revenus moyens par EVP ont doublé sur ce trade, à 2 355 $ et a bondi de 60 % vers les États-Unis, à 2 151 $/EVP.
Où sont les 331 200 slots de l’intra asiatique ?
Sur le plan régional asiatique, l’événement le plus marquant a surtout été le transfert d’une partie des capacités de l’un des spécialistes du marché, China United Lines, vers les grandes lignes avec un service bimensuel et cinq panamax de 4 400 EVP. Ce sont un peu plus de 20 000 EVP qui ont ainsi basculé. Une capacité à mettre en perspective avec celle de la flotte du 22e transporteur mondial : 77 675 EVP répartis sur 31 porte-conteneurs.
Il aurait ainsi manqué 331 200 slots au transport régional asiatique, soit une réduction de capacité de pas moins de 10,8 %. Un peu moins de 700 navires y officieraient actuellement (11 % de la flotte cellulaire contre 12,8 % au début de l'année dernière).
Double peine
Et les prix flambent. Alors que les taux spot entre les principaux ports chinois, japonais et sud-coréens étaient restés pratiquement stables en 2021, à 1 400 $ pour un conteneur de 40 pieds, ils avoisinent les 1 800 $ depuis le début de l’année. « Étant donné qu'une grande partie des marchandises transportées sur les routes intra asiatiques sont des biens intermédiaires circulant entre les usines de la région, le doublement des taux de fret spot obligent les fabricants à reconsidérer leurs chaînes de fabrication et d'approvisionnement dans la région », reagit Xeneta, dont l’un des indices est établi à partir des taux de fret maritime fournis par les principaux chargeurs.
48 200 EVP évaporés en Europe
En Afrique, la capacité déployée en EVP a diminué de 6,4 % pour atteindre 1,68 MEVP et la part des porte-conteneurs qui y opèrent est passée de 6,7 à 7,5 % au début de l'année dernière. Autre victime, l’intra-européen où 48 200 EVP se sont évaporés (- 4,5 %).
Étrangement, d’après les données disponibles, l’Amérique latine a été épargnée par la désaffection régionale. La capacité des services liés au continent sud-américain a augmenté de 5,8 % l'an dernier. Celle offerte sur le transatlantique a également profité d’une légère croissance de 2,5 % tandis que le Moyen-Orient et le sous-continent indien sont restés relativement stables (+ 1,1 %).
2021 versus 2016-2019 ?
Dans une période de forte tension comme l’est la saison qui précède le Nouvel an lunaire (4 février), les écarts sont encore plus manifestes.
Dans son rapport Trade Capacity Outlook, Sea-Intelligence a comparé la capacité actuellement prévue à celle des années précédentes (2016-2019) sur une période de quatre semaines, en février.
Entre l'Asie et la côte ouest-américaine, la capacité annoncée avoisine 1,29 MEVP, soit 300 000 EVP de plus que le déploiement moyen de 2016-2019. Vers la côte est, l’apport est de 250 000 EVP. La ligne Asie-Europe du Nord offre 400 000 EVP de plus.
Raid sur les affrètements
Dans un tel contexte, le navire, toujours plus rare, se fait surtout plus cher. On croyait le marché proche de la limite. L’affrètement ne semble pas en avoir. Ces deux dernières années, les prix se sont encore raffermis.
À vrai dire, les affréteurs conviennent tous que le marché perd la raison, dans le sens où ils se disent prêts à tout envisager – toutes les tailles, toutes les configurations et quelles que soient les dates de livraison –, pour sécuriser leur faculté à répondre à la demande, tout aussi folle. Les exploitants réservent parfois un an à l’avance les navires.
Les 3 500 EVP sont fixés à des niveaux déraisonnables. Certains viennent d’être négociés à 60 000 $ par jour pour des emplois de 36 mois, contre 45 000 $ il y a seulement quelques semaines. Des unités plus petites encore – 2 700 EVP –, s’échangent à 50 000 $ contre 42 000 $ en début d’année. À l’instar de Pasha Hawaii.
Loué pour 50 mois...
L'opérateur américain de porte-conteneurs et de ro-ro vient d’opérer un véritable raid sur le marché en raflant pas moins de cinq porte-conteneurs de 2 700 à 3 500 EVP. Selon les courtiers, deux d’entre eux, détenus par MPC Container, auraient été négociés à 42 000 $/j (36 mois), un autre pour la même durée à 61 000 $ Deux autres, propriété de Navios, de 3 461 EVP et 2 741 EVP, à 60 000 $/j pour (48 mois) et 48 000 $ (36 mois). Par ailleurs, l’exploitant aurait reconduit deux unités pour des valeurs autour de 40 000 $ et des durées allant de 36 à 50 mois !
Le transporteur américain, principalement connu pour ses services de transport entre les États-Unis et Hawaï, assurés dans le cadre de la loi Jones, est désormais appareillé pour offrir un service plus régulier entre la Chine et la côte ouest des États-Unis où il s’épanouit depuis août 2021.
Adeline Descamps