Il a fallu un temps avant que les planètes s’alignent entre les armateurs exploitants de porte-conteneurs et les propriétaires de navires non opérateurs. En fin d’année 2020, alors que les résultats financiers des grands transporteurs maritimes de conteneurs commençaient à refléter l’embellie du marché, les affréteurs n’en tiraient alors nullement profit. Parmi les plus grands NOO (non operating owners), dont font partie Seaspan, Danaos, Global Ship Lease, Costamare, Diana Containerships, etc., seul Seaspan avait vu ses profits augmenter significativement au troisième trimestre 2020. Les bénéfices étaient encore très modestes chez Danaos et Global Ship Lease bien qu’en croissance de 25 %. Mais Costamare et Navios demeuraient dans le rouge.
Le marché de l’affrètement a particulièrement souffert en 2020. La baisse de la demande de transport pendant le premier semestre de la terrible année a plongé la plupart des segments, exceptés les panamax et les navires de 2 700 à 2 900 EVP, dans le sans-emploi. Les taux d’affrètement ont alors dégringolé très rapidement jusqu’à 30 % pour certaines catégories de navires. Les plus demandés ne coûtaient guère plus de 6 000 $ par jour.
Rallye spéculatif
En 2021, autres temps, autres mœurs. Dans une économie où les navires ont fait cruellement défaut, les taux d’affrètement à temps ont grimpé en flèche au moment même où les NOO allaient pouvoir compter sur la rentrée de ressources, un certain nombre de contrats d’affrètement parvenant à leur terme. Costamare devait voir au moins quelque 100 000 EVP, soit un cinquième de la capacité de sa flotte, sortir d’engagements au premier trimestre 2021. De même, Danaos allait avoir 25 navires disponibles, soit plus de 80 000 EVP. Global Ship Lease avait également 15 % de sa flotte qui devait être libérée en 2021.
L’inexorable demande, dans un contexte d’offre rare, a très rapidement propulsé les tarifs à des niveaux inédits, quelles que soient les tailles des porte-conteneurs. Les armateurs étant prêts à tout pour arracher les tonnages disponibles afin de profiter des taux de fret particulièrement rémunérateurs, la course aux navires s’est apparentée à un rallye spéculatif.
Élevé et long
Les contrats d’affrètement de porte-conteneurs soumis à renouvellement ont ainsi été conclus sur la base de tarifs élevés et de durées d’affrètement longues. « Le ciel est la limite » (« The sky is the limit » ), se sont exclamés les observateurs du marché lorsqu’un navire de 9 000 EVP a été fixé pour un contrat de cinq ans autour de 50 000 $/j ou un panamax de 4 300 EVP à 41 000 $/j pour un emploi de 28 mois. Un niveau qui n’avait pas été observé depuis 17 ans, estime l’analyste de référence pour la ligne régulière, Alphaliner.
Même la compagnie singapourienne PIL, qui a passé deux ans à restructurer sa dette et à se délester d’une partie de sa flotte pour rembourser ses créanciers, n’a pas hésité à s’engager sur un contrat de 36 mois à 39 000 $/j pour le Genova, un navire de 5 544 EVP dont le prix avait renchéri de 3 500 $ en un seul mois. Le Wieland (4 957 EVP), que l’armateur français CMA CGM a affrété 40 500 $/j pour une période allant jusqu’à quarante mois, l’a été à un prix supérieur de 5 000 $ à que ce que MSC avait payé précédemment. Plus éloquent encore, le transporteur américain Matson s’est engagé sur 41 000 $/j pendant 28 à 30 mois pour opérer un porte-conteneur de 4 380 EVP sur un service entre la Chine, Hawaii, Guam et les États-Unis! Du jamais vu sur cette route.
Pour pallier le manque, les compagnies ont par ailleurs joué les prolongations de contrats, toujours aux conditions ciselées par les affréteurs. La plupart des contrats ont d’ailleurs été majoritairement scellés pour des durées de 30 à 36 mois, ont fait observer les courtiers. Et l’on a même assisté à des temps d’affrètement portés à cinq ans (cf. encadré).
Les marchés financiers n’ont pas tardé à frémir. Les actions des armateurs cotés en bourse (la plupart des grands NOO) ont toutes connu une hausse à deux chiffres. Les bénéfices empochés vont fournir le combustible pour alimenter la machine à commander de nouveaux navires qui tourne à plein régime.
Les taux de fret dont bénéficient les transporteurs actuellement permettent de supporter des conditions d’affrètement onéreuses, « une broutille par rapport à ce qu’ils gagnent », indique Danoas. Mais elles risquent de peser sur les coûts d’exploitation quand le marché va se retourner, font entendre les Cassandre.
Entre capacité en propriété et affrétée, les transporteurs ne sont pas tous logés à la même enseigne. ZIM, dont 103 des 105 porte-conteneurs sont en location, est un grand client de Seaspan. Parmi les dernières commandes affrétées du hongkongais figurent notamment les deux séries de dix navires au GNL de ZIM. Mais changement de culture chez l’armateur israélien: en octobre, il a annoncé l’acquisition de quatre panamax.