Dans quelques jours, le 22 janvier, la Chine se mettra en retrait du monde, non pas pour observer un nouvel épisode épidémique, mais pour respecter la trêve orientale à l’occasion du Nouvel an lunaire. Une période pendant laquelle les usines ferment, les familles se retrouvent et les Chinois festoient.
En temps normal, les transporteurs maritimes de conteneurs ont pour habitude de limiter leurs offres dans les semaines qui suivent l’événement pour s’ajuster à la chute de la fabrication chinoise et des exportations qui en découlent. En revanche, avant les festivités chinoises, les annulations sont plus rares ou limitées pour s’adapter à un rush de la demande alors que les chargeurs stockent dans la perspective du tunnel qui s’annonce avec la fermeture des usines et la quasi-stagnation de la production.
Or plus rien ne se passe comme avant, y compris pour les blank sailing. Si 2021 et 2022 avaient été atypiques, 2023 s’annonce très particulière pour bien d’autres raisons. Selon Xeneta, au cours des quatre semaines précédant le Nouvel An chinois, les liaisons supprimées (annoncées avant le 6 janvier) de l’Asie vers la côte ouest-américaine, ont été plus de six fois supérieures à période comparable de 2019.
Une réduction de capacité six fois plus élevée qu’en 2019
Á l'approche du Nouvel An chinois, les transporteurs ont programmé de retirer du marché une capacité de 220 489 EVP, sans commune mesure avec les 29 796 EVP enregistrés à période comparable en 2019.
« Le nombre élevé de départs à vide avant les vacances montre à quel point la demande est faible », conclue le consultant norvégien, dont l’indice est établi à partir des taux de fret communiqués par les grands chargeurs (fret aérien et maritime). Pour cette dernière semaine avant le 22 janvier, entre l'Asie et la côte ouest des États-Unis, l’équivalent de 57 970 EVP sera soustrait à l’offre selon les programmes annoncés contre 6 800 EVP relevés en 2019.
Les autres routes ne semblent pas épargnées. Depuis l’Asie vers l'Europe du Nord, les blank sailing, au cours des quatre dernières semaines, sont 715 % plus élevés qu'en 2019, pour totaliser 226 000 EVP tandis que vers la côte est-américaine, ils ont augmenté de 340 soit 140 000 EVP en moins. En revanche, la Méditerranée est sanctuarisée dans son offre.
Mais une offre supérieure à celle de 2022
Paradoxalement, l’offre en 2023 reste supérieure à celle de 2022. Á une grande nuance près. L’an dernier, elle était absorbée par les retards des navires du fait de la congestion XXL. L’actuelle séquence trouve ses explications dans l’ambiance de récession actuelle. L’un est un témoignage d’un boom inédit de la demande de transport, l’autre la matérialisation d’un coup de canif tranchant.
« Jusqu'à présent, les annulations de départs annoncées pour les quatre semaines suivant les festivités chinoises sont inférieures de 68 000 EVP à ce qu'elles étaient en 2019 », ajoute la société.
27 % de liaisons supprimées
Selon l’analyste Alphaliner, les trois grandes alliances de transporteurs ont prévu de supprimer 27 % de leurs liaisons initialement prévues entre l'Asie et l'Europe entre le 1er janvier et le 17 février.
« En temps normal, les dix-huit boucles Asie-Europe du Nord et les dix entre Asie et Méditerranée auraient dû offrir un total de 196 traversées ». Ce n’est manifestement pas le cas. « Si l'on se base sur les navigations effectives observées au cours des premières semaines de cette année, ainsi que sur les programmes prévisionnels publiés pour les semaines à venir, il ressort que 53 des voyages prévus ont été supprimés ».
Alphaliner a recensé 69 navires qui ont entamé un voyage complet depuis leur port de chargement en Asie vers l'Europe du Nord ou la Méditerranée entre le 1er et le 20 janvier. Dans le cadre d'un programme classique, 84 départs auraient dû être opérés vers l’Ouest.
THE Alliance, plus active dans les blank sailing
THE Alliance [Hapag-Lloyd, ONE, HMM et Yang Ming] a été la plus prompt à manier le scalp, amputant de 36 % ses traversées programmées. Une explication avancée par Alphaliner : les navires de Hapag-Lloyd, HMM, ONE ont davantage eu recours au passage par la route du Cap de Bonne Espérance (au lieu du Canal de Suez) que les autres transporteurs : « ce détour ajoute deux semaines de navigation au voyage et entraîne donc une arrivée plus tardive des navires en Chine ». Cette pratique n’est en principe pas un signal de bonne santé, quoi qu’il en soit, illustrant la faiblesse de la demande.
Ainsi, pour le FE2, liaison directe entre la Chine, Singapour et Wilhelmshaven (+ Hambourg à partir du 10 février), exploitée avec des navires de 15 000 à 20 180 EVP, effectue normalement ses rotations en douze semaines, mais deux navires supplémentaires lui sont actuellement affectés, car certains retournent de Rotterdam à Singapour en passant par Bonne Espérance.
Ocean Alliance et 2M, une offre réduite entre 29 et 23 %
L’alliance 2M [MSC, Maersk] et Ocean Alliance [CMA CGM, Cosco/OOCL, Evergreen] se sont également astreintes à une discipline de restriction mais dans une moindre mesure.
La première a supprimé tous les départs de son service AE1/Shogun vers Rotterdam et Bremerhaven pendant deux mois et demi (décembre, janvier et jusqu’à mis février). Seuls trois départs au départ de Shanghai, Ningbo et Tanjung Pelepas vers Felixstowe et Le Havre du service AE55/Griffin doivent être assurés en janvier tandis qu’aucun départ n’est prévu sur cette ligne dans les quatre semaines à venir.
« Cela représente une réduction de 29 % du nombre de départs de 2M au cours des sept premières semaines de l'année. En comptant également les départs d'Asie vers la Méditerranée, 2M offre 24 % de voyages en moins vers l'ouest sur le trafic Asie-Europe », précise le spécialiste.
Ocean Alliance a programmé une réduction de capacité quasi similaire vers l’Ouest (- 23 %). La rotation AEU7 de l’Asie vers l'Europe du Nord, exploitée par Cosco, est la plus touchée avec trois seuls départs programmés de Xiamen (les 5 janvier, 18 janvier et 8 février).
Les services autonomes n’échappent pas à la règle
Hors Alliances, les services autonomes ne se portent pas mieux. La faible demande de marchandises en provenance de Chine et le faible taux de fret spot ont ainsi incité Hapag-Lloyd à mettre fin à son service express autonome. Ainsi Hapag-Lloyd a annoncé la fermeture sine die, à partir de février, du China Germany Express (CGX) et en lieu et place, prend des créneaux sur le FAL3 opéré par CMA CGM dans le cadre d’Ocean Alliance.
Le CGX, une liaison directe entre Shenzhen et Hambourg, avait été lancé en avril 2022, alors que toutes les capacités sur le trade Asie-Europe du Nord étaient entièrement réservées et que les taux de fret maritime spot s'élevaient à plus de 12 000 $ par conteneur de 40 pieds. La congestion portuaire à Hambourg a toutefois contraint Hapag-Lloyd à détourner l'escale allemande vers Wilhelmshaven. Shanghai et Anvers avaient été ensuite ajoutés en novembre et la durée du voyage aller-retour est passée de huit à neuf semaines en raison des escales supplémentaires.
Aucun effet sur les taux de fret
Pour autant, cet outil de gestion des capacités qu’est le blank sailing n’opère pas cette fois sur la dynamique des taux de fret même si ces derniers jours, ils semblent se stabiliser.
Le SCFI (Shanghai Containerized Freight Index), reflétant les prix au comptant pour le fret conteneurisé de Shanghai vers une vingtaine de destinations dans le monde, ont légèrement baissé pour s’établir à 2 040 $ par conteneurs de 40 pieds (FEU) la semaine dernière vers l'Europe du Nord. Soit les niveaux observés en septembre 2020. Vers la Méditerranée occidentale, ils se situent toujours à un niveau nettement plus élevé de 3 670 $/FEU.
La pénurie de navires avait été la grande problématique de 2021 et 2022. L’offre en trop face à une demande en moins pourrait être celle de 2023, quand bien même les envois à la casse s’accélèreront et les livraisons seront retardées.
« Ce phénomène va dans le sens d’un retour vers des stratégies sans doute plus différenciées que ces dernières années, avec à la clé de nouveaux gagnants et de nouveaux perdants, indique Jérôme de Ricqlès, dans la dernière note de marché de Upply sur les « trois scénarios en R de 2023 ».
L’expert estime que le réseau de MSC, Maersk et CMA CGM leur permet jouer « une partition en solo, en conservant la souplesse du "semi-liner" plutôt que de retourner à des services cadencés hebdomadaires dans leurs master schedules respectifs.»
Pour Cosco et Evergreen, la situation est en revanche plus complexe selon lui. « Ils pourraient rester seuls sur les corridors Est-Ouest, mais difficilement sur du Nord-Sud. Pour les membres de The Alliance, il paraît inconcevable d’arrêter de "chasser en meute", compte tenu de la taille de chacun des acteurs. » Les trois scénarios en « R » que Jérome Ricqlès appelle de ses vœux consiste à « repenser », « réduire » et « restructurer ». Les ayants droit apprécieront.
Adeline Descamps