Le fait est symptomatique. Sa dimension est symbolique. Le signal envoyé est rarement une bonne nouvelle. Il indique un gros temps, baisse des volumes, surcapacité et sinistrose. Pareille situation n’avait plus été observée depuis le 4 avril 2020 lorsque, au plus fort de la crise, plusieurs porte-conteneurs avaient été pris en flagrant délit de passage par le cap de Bonne-Espérance.
Dans l’absolu, le canal de Suez, raccourci avantageux pour les navires reliant Asie et Amérique du Nord mais surtout Asie et Europe, a toujours été contournable par le cap de Bonne Espérance. En principe, le point de passage à la toute extrémité de l’Afrique du Sud a toujours été dispensable pour les connexions entre l'Europe et l'Asie, exceptés pour les navires aux dimensions supérieures tels les capesize et pour quelques flux (pétrole pour les navires au-delà de la taille des suezmax).
Il est plus rare d’y croiser des porte-conteneurs, toujours pressés, qui lui préfère habituellement l’isthme de Suez, voie royale de la navigation mondiale pesant autour de 10 % du commerce maritime international depuis que l'Asie du Sud est devenue l’usine du monde. Sauf en cas de circonstances exceptionnelles comme le fut l’ère covidienne.
Éviter les péages
Á l’époque, toutes les conditions s’y prêtaient : la faiblesse historique des prix du pétrole, la surcapacité de l’offre de transport, une demande qui faisait grise mine… Dans un contexte complètement déréglé par une crise qui opère comme une lame de fond, les cartes géographiques se redéplient. Il en a toujours été ainsi, surtout dans des circonstances où le prix du baril manifeste des signes de grande fébrilité.
Si le contournement de l’Afrique allonge le trajet de quelque 6 000 miles nautiques, selon les points de départs, et donc le temps de transit (entre une et deux semaines de plus) suivant la vitesse de navigation, il permet d’économiser les droits de passage du canal de Suez qui, selon les tonnages, sont estimés entre 500 000 et 1 M$ (données non corroborées par l’Autorité du canal de suez).
Stockage flottant et aspirateur de capacités
Dans une étude, qui date désormais (février 2016), Sea-Intelligence (devenu Vespucci) avait montré que la route du cap de Bonne-Espérance était plus rentable pour la plupart des lignes Asie – Europe du Nord et Asie – côte Est des États-Unis. Voire que le canal de Suez devait baisser ses redevances d’environ 50 % pour être plus compétitif.
Une navigation plus longue a une autre vertu : il assure un stockage flottant et absorbe la surcapacité en occupant les navires pendant une à deux semaines de plus. Là encore, c’est intéressant quand, par exemple, les mesures de confinement prises pour lutter contre la propagation du coronavirus engendrent des perturbations dans la supply chain et l’accumulation des conteneurs sur les quais).
Détournements opérés par THE Alliance
Alphaliner vient d’identifier une douzaine d’échappés du peloton. « La plupart des détournements ont été effectués par des navires de THE Alliance », dont sont membres Hapag-Lloyd, ONE, HMM et Yang Ming. En 2020, CMA CGM, qui avait montré la voie, avait été très rapidement suivi par de nombreux porte-conteneurs tant et si bien que l’autorité du Canal de Suez avait pratiqué des ristournes commerciales pour éviter la désertion.
« Sur la base d'un voyage sans escale de Rotterdam à Singapour, le détournement autour du continent africain ajoute environ 3 500 milles nautiques de distance de navigation à l'itinéraire. En général, les navires déroutés opèrent à des vitesses d'environ 16 nœuds, ce qui signifie que le détour ajoutera neuf jours au temps de transit des navires », indique l’analyste.
Sur le plan financier, le détour est actuellement judicieux à moins de 400 $ la tonne de carburant IFO 380. Selon les calculs d’Aphaliner, « un grand navire, efficient sur le plan écologique, naviguant à 16 nœuds, ne consommera que quelque 120 t par jour. Cela revient à environ 1 100 t pour le kilométrage supplémentaire, soit 440 000 $ ». Et à 10,5 nœuds, la consommation sera limitée à 70 t par jour, soit 980 t au total et donc 392 000 $.
L’estimation de la consommation énergétique d’un navire n’est pas une science exacte car de nombreux paramètres interviennent : port en lourd, tirant d’eau, charge, conditions climatiques, vitesse, puissance des moteurs, caractéristiques de base… qui s’additionnent.
Alternative financièrement intéressante sous conditions
Le Cap est une alternative financièrement intéressante « à condition que le tonnage soit excédentaire, que l’allongement du temps de transit n'ait aucune incidence sur l'offre de navires. C'est actuellement le cas, puisque les transporteurs ont mis en œuvre de nombreux détournements vers l'Ouest, les navires n’étant pas urgemment requis en Asie ».
C’est en tout cas rarement une bonne nouvelle pour la planète. Á une allure plus ou moins cadencée et en empruntant une route plus longue, ils auront donc consommé davantage de fuel...et de polluants afférents.
Adeline Descamps