La nature a horreur du vide. Le commerce international aussi. Les relations tendues depuis près d’un an entre Pékin et Canberra créent des effets d’aubaine pour d’autres pays que la Chine avait écartés de son sourcing. Après la suspension des importations de bœuf, les droits de douane prohibitifs sur l’orge et les enquêtes commerciales sur le vin, le charbon australien est depuis octobre dernier la victime expiatoire de la colère de Pékin. À cette date, les centrales électriques et les aciéries chinoises ont été priées par l’exécutif chinois de cesser immédiatement d'acheter du charbon australien tandis que les ports ont reçu la consigne de ne plus décharger. Très rapidement, l’affaire s’est matérialisée par un amoncellement invraisemblable de vraquiers au large des terminaux de charbon de Caofedian et de Tangshan, au nord de la Chine.
Fin février, selon les dernières données de Braemar ACM, il y avait encore 11 capesize et 37 panamax chargés de charbon australien bloqués par les différends commerciaux. Certains d’entre eux attendent de pouvoir être déchargés depuis avril 2020. Au pic de la crise, Braemar ACM a comptabilisé jusqu’à 75 capesize et panamax en attente. Ceux-ci sont venus se greffer aux 372 vraquiers au mouillage dans les ports du nord de la Chine, congestionnés en raison des températures exceptionnellement basses qui ont retardé les opérations. Ainsi 36,2 Mtpl étaient stockés sur l’eau, dont 11,8 Mt de minerai de fer et 6,2 Mt de charbon thermique.
Modification des achats
Cette brouille entre les deux pays survient alors que la structure des achats de la Chine en matières premières évolue. Le géant chinois a réalisé ces dernières années des investissements conséquents pour se doter d’unités industrielles moins énergivores et « plus efficaces dans leur rendement ». La Chine abandonne ainsi progressivement les hauts-fourneaux (qui consomment du charbon à coke) pour adopter les fours électriques à arc (qui carburent au charbon thermique). Dans la période de transition, la fermeture progressive des capacités de production a stimulé la demande d'importations du pays.
S&P Platts estimait en fin d’année dernière que jusqu'à 32 Mt de charbon thermique pourraient être « sourcées » ailleurs au cours du premier trimestre 2021 du fait de la brouille entre deux grands acteurs du vrac sec, l’un en tant que premier importateur et grand consommateur, l’autre en grand exportateur. Et le « ailleurs » ne systématiserait pas forcément l’Indonésie, un autre des grands producteurs de charbon car « le charbon indonésien est d'une valeur calorifique inférieure à celle du charbon australien », indique l’analyste.
La Russie, l’Afrique du Sud, la Colombie et les États-Unis peuvent aisément, et à prix comparables, fournir le géant vorace en matières premières. L’approvisionnement en charbon à coke sans surcoût est plus problématique. L’Australie pèse plus de la moitié du commerce mondial.
Recomposition des flux
L’Afrique du Sud, l'Indonésie, la Russie et la Mongolie se sont assez vite positionnés pour tirer parti du bannissement du charbon australien. Et notamment, a relevé le Bimco (organisation d’armateurs la plus représentative en tonnages au niveau mondial), l’Afrique du Sud en a profité pour renouer ses relations, distendues depuis des années avec Pékin. Ainsi, depuis décembre, l'Afrique du Sud a expédié une moyenne mensuelle de 760 000 t de charbon vers la Chine. Et ce, au détriment de l’Inde et du Pakistan qui ont représenté près de 70 % des exportations de charbon maritime sud-africain en 2020. Celles-ci ont chuté de 44,5 % au cours des deux premiers mois de l'année pour atteindre 5,6 Mt.
Bonne nouvelle pour les vraquiers ?
Mais ce n’est pas forcément une bonne nouvelle pour l’emploi des vraquiers. Dans l'ensemble, les exportations totales de charbon sud-africain par voie maritime ont diminué de 24,3 % au cours des deux premiers mois de l'année par rapport au début de 2020, avec des exportations totalisant 9,3 Mt, contre 12,4 Mt l'année dernière. En raison de la baisse des volumes, le nombre de navires destinés aux exportations de charbon sud-africain est passé de 160 (au cours des deux premiers mois de 2020) à 104 pour la même période de cette année, dont un peu moins de la moitié par des supramax (51) et 27 par des capesize.
Les exportateurs indonésiens se sont également davantage concentrés sur la Chine au détriment de l'Inde, du reste déjà sanctionnée par l’Afrique du sud. L’Inde a compensé avec l'Australie qui lui a vendu pour 5,3 Mt (+ 66,9 %).
Si l’Australie a réussi à trouver de nouveaux intérêts pour son charbon (Inde, Japon, Corée du Sud), ceux-ci ne suppléent pas totalement au déficit des achats chinois. Les importations totales de charbon australien ont diminué de 3,6 % au cours des deux premiers mois de cette année par rapport à 2020. Cette baisse est exclusivement due à la chute de 98,9 % des exportations vers la Chine, qui sont passées de 16 Mt à seulement 176 392 t entre janvier-février 2020 et 2021. En revanche, si l'on exclut la Chine, les exportations vers tous les autres pays ont augmenté de 29,5 %.
Quelle réaction des armateurs ?
Les armateurs auraient cette fois réagi rapidement aux changements intervenus dans le commerce du charbon, en partie parce que les « importateurs et exportateurs se sont démenés pour trouver de nouveaux acheteurs et de nouvelles sources », estime Peter Sand, l’analyste en chef des transports maritimes du Bimco. Le spécialiste a sans doute en référence le précédent bouleversement majeur dans le commerce du vrac sec : la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis avec des droits de douane sur les importations de soja américain. « La saisonnalité et le positionnement des navires avaient alors compliqué les choses ».
En tonnes-km ?
Les frictions commerciales profitent rarement au commerce international. Mais quand elles entraînent une réorganisation de l’approvisionnement et une reconfiguration des routes maritimes, elles peuvent se traduire par des tonnes-km supplémentaires, ou pas. En l’occurrence, pour la Mongolie, l’affaire est vite réglée : elles sont toutes importées par voie terrestre. Outre ce cas, la distance moyenne parcourue durant les premiers mois de l’année par une cargaison en provenance d'Indonésie vers la Chine est d’environ la moitié de celle d'une cargaison en provenance d'Australie, tandis que le voyage en provenance d'Afrique du Sud est 1,5 fois plus long.
Pour la Russie, « les importations offrent un avantage en tonnes-milles par rapport à l'Australie si elles proviennent de la mer Baltique ou de la mer Noire. Toutefois, la grande majorité des exportations russes de charbon maritime vers la Chine sont expédiées depuis la Russie orientale, ce qui réduit la demande en tonnes-km », indique le Bimco.
Stocks faibles
« Le charbon maritime a toujours eu le trajet moyen le plus court parmi les principaux trafics de vrac sec, et il est peu probable que les changements en cours modifient cette situation, certains trafics étant remplacés par des voyages plus longs et d'autres plus courts », condense Peter Sand.
En attendant, les stocks de charbon en Chine sont faibles pour cette période de l'année. Les prix étant limités par un système de quotas, les stocks de plus d'un quart des compagnies d'électricité du pays ne peuvent couvrir qu'une semaine de consommation.
Que ce soit à court, moyen ou long terme, le charbon reste une énergie noire carbone et ses années sont comptées. Dans sa dernière analyse, l'Agence internationale de l'énergie estime le déclin structurel du charbon de 10 à 50 % au cours de la prochaine décennie.
La demande est essentiellement portée par les achats de la Chine, de la Corée, du Japon et d’un certain nombre de pays d'Asie du Sud-Est. Ainsi la Chine, l'Inde, le Japon et la Corée importent-ils environ 900 Mt de charbon par an alors que les deux plus gros marchés européens – le Royaume-Uni et l'Allemagne – ont réceptionné environ 110 Mt par an ces dernières années.
Mais même le gourmand chinois a fait voeu de sobriété et s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre dans un délai de trois décennies. En Australie, les groupes miniers s’y préparent également. Glencore avait annoncé une baisse de sa production de charbon de 12 % pour 2020. Des mesures similaires ont été prises par les groupes Peabody, Yancoal et BHP.
Adeline Descamps
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