Paradoxe de l'année, alors que les moissons ont donné de médiocres tonnages, les exportations de blé français ont atteint un niveau record pour le début de la campagne céréalière. Au point que la question est clairement posée désormais de réduire le flux sortant. La collecte nationale a péniblement atteint 33,63 Mt, en retrait par rapport à la moyenne quinquennale. Le nord a certes engrangé des volumes très corrects, mais avec des taux de protéine parfois insuffisants. Tandis que le sud-ouest, pris dans une sévère sécheresse, a fortement contribué à la baisse des tonnages globaux.
Sur juillet et août, 2,5 Mt de blé ont été chargés, soit 25 % de l'objectif pour l'ensemble de la campagne, alors que ses deux premiers mois tournent habituellement autour de 14 %. Les exportateurs battent ainsi leur précédent record de 2018 sur ces mois d'été.
Les clients traditionnels que sont le Maroc, l'Algérie et les pays d'Afrique de l'Ouest sont au rendez-vous et, de manière plus surprenante, le Yémen et le Pakistan, plus habitués à se fournir du côté de la mer Noire. L'Algérie redevient même le premier acheteur des blés français avec 3 Mt environ. L'Égypte en a importé 910 000 t. Même les blés un peu légers en protéine ont trouvé preneurs, certes pas pour la panification mais pour l'alimentation animale, avec notamment 600 000 à 700 000 t chargés pour la Chine.
Ukraine : plus de maïs que de blé
Rien ne laissait donc présager un tel démarrage en fanfare. Mais la forte demande a été dopée par la défaillance des deux grands fournisseurs habituels que sont la Russie et l'Ukraine : la première dédaignée par ses habituels clients, soit qu'ils respectent l'embargo des pays occidentaux, avec le risque de mesures coercitives par les sanctions bancaires, soit que les opérateurs aient quelque défiance à l'égard de la Russie elle-même ; la seconde avec des routes endommagés, des ponts effondrés, des accès maritimes truffés de mines et des navires sous la menace de tirs de l'armée russe.
Mais le corridor mis en place fin juillet pour l'Ukraine fait désormais ses preuves. Les sorties, totalement bloquées pendant plusieurs mois en dehors des voies terrestres, rail et route, vers les pays voisins et notamment la Pologne, ont pu reprendre à un rythme qui représentait début septembre la moitié des flux habituels et qui continue de monter en puissance. Depuis sa reprise, le trafic a surtout concerné du maïs. Mais il reste des milliers de tonnes de blé dans les silos ukrainiens qui finiront bien eux aussi par prendre la mer.
Russie : séduction par les prix
Quant à la Russie, ses exportations sur juillet et août ont représenté autour de 5,6 Mt, un chiffre inférieur de 2 Mt au volume de la même période l'an passé. Pour gagner en attractivité, le pays a tout simplement baissé ses prix. Les clients se pincent peut-être le nez, mais achètent désormais. Début septembre, les blés russes, à 11,5 % de protéine, sont proposés à 40 $ de moins par tonne que les blés français, à 10-15 $ de moins par tonne que les blés européens. Et ses exportations sont à nouveau soutenues, notamment vers l'Algérie et l'Égypte, tandis que des tractations se tiennent avec des pays d'Asie.
L'Argentine facilite les sorties de soja
Les perspectives sont plutôt rassurantes concernant la récolte canadienne et celles à venir de l'hémisphère sud. L'office canadien StatCan avance même une récolte de 34,6 Mt, à la hauteur des prévisions et en très nette progression au regard des mauvaises moissons de 2021. En Australie et Argentine, on prévoit des pluies favorables au développement des plantes et de leurs grains. Ces annonces, dans un contexte d'activité économique ralentie, ont stoppé la flambée des cours du blé.
Le repli des cours sur le maïs et le blé et aussi le pétrole ont entraîné la chute de ceux de soja. Un phénomène renforcé par l'annonce de l'Argentine, premier producteur mondial, de mettre en place des mesures pour stimuler ses ventes. La forte dévaluation de la monnaie nationale pousse à la rétention. C'est pour en contrer les effets que le gouvernement compte mettre en place un taux de change préférentiel pour le soja, de 200 pesos pour 1 $ contre 139 début septembre. L'offre argentine devrait en être dopée, ce qui permettrait de libérer des stocks pléthoriques que détient le pays.
Myriam Guillemaud Silenko