Avec des ports en grande partie fermés, des navires marchands empêchés d'entrer dans la mer d'Azov, les conditions ne sont pas idéales pour les exportations de céréales dont les flux dominent traditionnellement les échanges de la mer Noire entre février et fin juin.
La campagne ukrainienne d’exportation a été très dynamique jusqu'en début d'année, en particulier pour les orges, dont 93 % des ventes prévus ont été effectués, mais aussi pour le blé avec seulement 7 Mt restant à exporter. La dynamique a été moins forte en Russie, où il restait encore 14 Mt de blé à vendre sur les marchés étrangers, avant le début des hostilités.
Les exportations de céréales de la Russie ont, avec 21 Mt expédiés entre juillet et janvier, chuté de 11 Mt par rapport à la saison précédente alors qu’il manquait 13 Mt à la production. La Russie a en outre perdu en compétitivité, ses prix lestés par une taxe à l’exportation, mise en place en juin 2021 à hauteur de 28 $/t, et passée à 98 $/t en janvier 2022.
Doutes sur la campagne en cours
Les tensions croissantes entre l’Ukraine et la Russie – qui représentent la première zone d'exportation de céréales au monde avec 30 % du blé et de l’orge –, ont accéléré, sur les premières semaines de 2022, chargements et livraisons afin de dégager le plus de tonnage possible avant un possible début de conflit armé. Une occupation durable de l'est de l'Ukraine par la Russie la priverait de 30 % de ses orges et 40 % de son tournesol, de son blé et de son maïs.
Si la campagne du blé est soldé, celle du maïs était dans sa pleine activité quand les événements ont surgi. Plus de la moitié du volume attendu par l'Ukraine doit être exportée au cours des cinq prochains mois, notamment vers la Chine. Le ministère ukrainien de l'Agriculture prévoyait en début de saison (juillet 2021 à juin 2022) d’exporter entre 31 et 33 Mt.
Sources alternatives
En anticipation de ce conflit qui couvait, les pays importateurs de céréales se sont activés à trouver des sources alternatives. Les principaux pays producteurs de l'Union européenne, à commencer par la Roumanie et la France, ont ainsi répondu à des demandes de livraison immédiate, notamment de multinationales en quête d’un approvisionnement rapide.
La Roumanie, un important fournisseur de céréales qui, comme l'Ukraine, exporte par la mer Noire mais en dehors de la zone de conflit, aurait fourni, selon les négociants, 400 à 500 000 t de blé et 200 à 300 000 t de maïs depuis le début des combats, principalement pour une expédition immédiate ou des chargements programmés en mars et avril. La demande est principalement venu de l’Algérie, où les origines de la mer Noire ont gagné des parts de marché depuis les tensions diplomatiques avec la France.
Blé français ?
L’on saura à l’issue de la campagne en cours à quelle hauteur le blé français a pu pallier l'approvisionnement ukrainien. Les négociants font valoir que l’épi gaulois a satisfait une partie du marché pour des demandes à court terme mais que le blé argentin l’emporte sur le long terme. Plusieurs navires chargés de maïs français ont été en outre réservés pour répondre à des besoins de proximité, des pays de la péninsule ibérique ou du Benelux, selon les négociants.
Oléagineux : prime au Brésil
Déjà confrontée à des problèmes d'approvisionnement en huile de palme en provenance d'Indonésie, l’Inde, un des trois gros acheteurs d’huile de tournesol et de soja ukrainienne et russe, s’est tourné vers le Brésil. En janvier, les exportations brésiliennes d'huile de soja ont totalisé 170 300 t, contre seulement 8 500 t à la même période l'année dernière, l'Inde ayant acheté près de 140 000 t, le volume le plus élevé depuis au moins 20 ans, selon les données du gouvernement.
Accord sino-russe sur le blé
« Le blé de toutes les régions productrices de Russie sera autorisé à être exporté vers la Chine, à condition qu'il réponde à certaines exigences », a déclaré l'autorité douanière chinoise dans un communiqué le 26 février alors que la Russie venait de déclencher l’offensive en Ukraine. Sortie de son contexte, l’annonce détonne. Il ne s’agit pourtant pas d’un contretemps fâcheux.
L’annonce fait suite à la signature d’accords bilatéraux contractés entre les autorités agricoles russes et douanières chinoises bien avant le début des hostilités. En revanche, la Chine impose toujours un quota d'importation.
En 2021, le commerce agricole entre la Russie et la Chine a augmenté de 26,6 % par rapport à 2020 pour atteindre 948,66 milliards de yuans (150 Md$). L’orge russe a été particulièrement sollicitée par la Russie. Les 75 000 t exportées représentent un niveau douze fois supérieur à celui de 2020.
Les vraquiers, en vrac
Les derniers événements ont porté atteinte aux revenus des vraquiers. Ce marché avait pourtant bien démarré la semaine mais la précipitation en fin de semaine avec l’opération militaire russe et les rafales de sanctions ont provoqué une brusque embardée. Selon les itinéraires des navires, certains ont perdu jusqu’à 4 à 6 000 $ en une semaine. Et ils se trouvent désormais dans une situation où ils ne peuvent plus desservir certains marchés.
L’indicateur de référence du vrac sec, le Baltic Dry Index, qui fournit une évaluation du prix à payer pour transporter les principales matières premières sur 26 routes maritimes, a dévissé pour la troisième session consécutive le 28 février (en perte de 36 points, à 2 040) en raison de la mauvaise posture des capesize et panamax.
La forte demande de céréales en provenance d'Amérique du Sud et la dynamique transatlantique entretenaient jusqu’alors les revenus des panamax, plébiscités pour le transport de céréales, jusqu’à ce que les événements ukrainiens y mettent un grand coup de frein. Les tarifs se sont dépréciés de 533 $ pour s’établir à 23 389 $.
Adeline Descamps