MSC avait créé la surprise en déposant, quelques jours avant Noël 2021, une offre pour acquérir les activités logistiques en Afrique du groupe Bolloré. La proposition de l’armateur italo-suisse de porte-conteneurs, d’un montant de 5,7 Md€ pour Bolloré Africa Logistics, branche très rentable du groupe français avec 2,3 Md€ en 2021, avait été acceptée le 31 mars 2022 aux termes des négociations exclusives et de la consultation des instances représentatives du personnel.
Les autorités de la concurrence viennent de donner le feu vert à l’opération qui concerne en outre 20 745 emplois. « La réalisation de la cession pourrait intervenir dans les prochaines semaines, étant rappelé que, conformément aux accords conclus avec le groupe MSC, celle-ci devrait intervenir au plus tard d'ici la fin du premier trimestre 2023 », a indiqué l'entreprise dans un bref communiqué diffusé le 1er décembre.
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Un empire vendu au moment opportun
Après plus de trois décennies de présence sur le continent africain depuis sa première prise de guerre, en 1986, de la Scac (Société Commerciale d’Affrètement et de Combustible) auprès de Suez, Vincent Bolloré va pouvoir céder son empire africain, qui s’étend du Gabon (Owendo International Port) au Cameroun (Kribi) en passant par la Guinée (Conakry), la Côte d’Ivoire (Abidjan) et le Sénégal (Dakar).
Le groupe français, qui avait déjà vendu ses activités portuaires dans l’Hexagone à Maritime Kuhn en 2019, réalise une remarquable affaire puisque l’ensemble était estimé entre 2 et 3 Md€.
Le timing pour vendre était parfait alors que les compagnies maritimes ont réalisé des profits colossaux et se sont montrés disposés ces derniers mois à réinvestir dans l’intégration verticale. MSC ne publie pas ses résultats financiers mais il fait peu de doute que ses performances soient alignées sur celles de son secteur. Il pouvait donc se permettre de délier les cordons de la bourse, et éventuellement surcoter un panier composé de 16 terminaux à conteneurs en Afrique centrale et de l’Ouest, de sept installations ro-ro et d’un ensemble d’entrepôts, de ports secs, d’agences maritimes. Au total, 42 ports, 280 entrepôts totalisant plus d’un million de m2, 87 agences maritimes (dont 74 africaines) et 250 filiales dans 49 pays. Les concessions en Inde (Tuticorin), au Timor-Leste et Haïti sont comprises dans la cession.
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Des voies ferrées
Dans la corbeille, il y a aussi deux concessions ferroviaires (Camrail au Cameroun, Sitarail en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso) alors que le dernier rapport d’activité de Bolloré ne mentionne plus Benirail au Bénin.
Sitarail (près d’1 Mt de marchandises transportées sur les 1 260 km de voies ferrées) relie Abidjan (Côte d’Ivoire) et Ouagadougou (Burkina Faso). Camrail (trafic de 1,5 Mt sur un réseau de 1 010 km, 600 000 passagers), qui connecte Douala à Ngaoundéré au Cameroun, s’insère dans le corridor de désenclavement du Nord-Cameroun, du Tchad et de la Centrafrique. En 2021 a été lancé un service express connectant les deux grandes villes du pays, Douala et Yaoundé.
6,32 MEVP en 2021
Sur les neuf premiers mois de l’année, le chiffre d’affaires de l’activité transport et logistique (Bolloré Africa Logistics et Bolloré Logistics) était en hausse de 37 %, à 7,32 Md€ (plus de 17 Md€ pour le groupe alors qu’il avait réalisé 19,8 Md€ sur l’ensemble de l’année 2021) porté par la forte progression de la commission de transport, l’augmentation des volumes dans le trafic aérien mais aussi par « les bonnes performances » des terminaux portuaires (notamment Congo Terminal, Abidjan Terminal en Côte d’Ivoire, Owendo Container Terminal au Gabon, Freetown Terminal en Sierra Leone et Togo Terminal).
D’après le dernier rapport d’activité (2021), l’ensemble des terminaux portuaires de BAL avaient traité 6,32 MEVP (versus 5,54 MEVP en 2020), 9,8 Mt de marchandises et 184 000 véhicules sur les terminaux ro-ro.
Mise en service d’Abidjan
Parmi les projets qui ont marqué l’actualité portuaire africaine de Bolloré ces derniers mois, figure notamment la mise en service du second terminal à conteneurs d’Abidjan, qui a nécessité un investissement de 400 M€. Avec 37,5 ha et 1 100 m de quais, Côte d’Ivoire Terminal est en mesure de traiter 1,5 MEVP par an.
Kribi Conteneurs Terminal (KCT), unique port en eaux profondes du Cameroun, opérationnel depuis 2018, devrait voir sa productivité boostée grâce à l’apport de cinq nouveaux portiques de parc et d’une grue mobile. Congo Terminal a dépassé le seuil du million de conteneurs manutentionnés en 2021 avec 1 003 734 EVP exactement. Le port de Tibar au Timor oriental, que Bolloré ambitionne de positionner en tant que hub de transbordement régional, est entré en service.
En Égypte, où les intérêts s’aiguisent dans le conteneur, Bolloré avait obtenu de l’Autorité générale de la zone économique du canal de Suez la concession de 30 ans dans le cadre d’un consortium avec Toyota Tsusho Corp. et le transporteur japonais NYK pour gérer un terminal roulier à Port-Saïd, dont le début des opérations est prévu début 2023.
Monstrueuse prise pour MSC
Présent jusqu’alors en Afrique subsaharienne avec trois terminaux, à Lomé, qui a rapidement dépassé le million d’EVP, San Pedro (Côte d’Ivoire) et TinCan/Lagos (Nigeria), MSC, à travers sa filiale Til, devient d’un jour à l’autre un colosse de la manutention portuaire.
La sortie de Bolloré du jeu portuaire africain conforte en outre l’ancrage des grands armateurs sur les quais africains – MSC, Maersk et CMA CGM parmi les plus introduits sur le jeune continent –, alors que Hapag-Lloyd a récemment manifesté son intérêt pour le jeune continent en rachetant NileDutch, compagnie néerlandaise très implantée en Afrique de l’Ouest, puis Deutsche Afrika Linien.
Du côté des manutentionnaires, c’est surtout l’émirati DP World qui occupe le terrain alors que les leaders mondiaux de la manutention portuaire, qui sont asiatiques – le singapourien PSA et le hongkongais Hutchison – restent singulièrement absents de l’Afrique subsaharienne. La présence chinoise s’exprime, elle, surtout dans la construction et le financement (moyennant de coûteuses contreparties) des infrastructures.
En revanche, en Égypte, Cosco est actionnaire (20 %) aux côtés d’APM Terminals (groupe Maersk), de l'Autorité du Canal de Suez (10,3 %), du secteur privé égyptien (9,7 %) et la Banque Nationale d'Égypte (5 %) dans le Suez Canal Container Terminal (SCCT) à Port Saïd (capacité de 5 MEVP).
Par ailleurs, des accords ont été signés cet été avec entre Hutchison Ports, Cosco et CMA CGM, pour investir dans les ports Ain Sokhna et El Dekheila (Alexandrie). Dans le premier, port de la mer Rouge situé à environ 120 km du Caire, l’exploitant de terminaux portuaires est associé à CMA CGM et Cosco. Dans le second, il est aux côtés de MSC/Til.
Fin d’une époque
Quant au conglomérat Bolloré, présent dans la communication, les médias, les télécoms ou encore l’édition, il reste en position de force en Afrique, notamment à travers Vivendi, mais il s’affranchit de ses ennuis judiciaires en Afrique alors que la nouvelle génération, ses enfants, est désormais aux affaires.
Vincent Bolloré, dont les liens avec de hauts dignitaires africains et l’éthique des affaires d’un autre temps ont nourri quantité d’articles de presse, était acculé par quelques scandales de corruptions, notamment au Togo et en Guinée pour lesquels le groupe avait fini par plaider coupable en 2021 et accepter de verser une amende de 12 M€ à la justice française.
Adeline Descamps