Père du champion de kitesurf Nicolas Parlier, Yves Parlier est surtout connu pour son impressionnant palmarès sportif à bord de voiliers de course. C’est aussi un navigateur féru de technologies innovantes. Ingénieur spécialisé en matériaux composites, il est à l’initiative du premier mât en carbone équipant un voilier de course, avec lequel il remporte en 1985 la mini-transat. En 2000, engagé dans le Vendée Globe, il démâte alors qu’il contournait l’Antarctique. Loin d’abandonner, il répare lui-même son mât, sans assistance, avant de reprendre la course. En 2003, il met à l’eau l’Hydraplaneur, catamaran de 18 m doté d’un mât sur chaque coque et d’une carène innovante. C’est ce bateau qui a été modifié pour mener les essais de cerf-volant de traction, et remis à l’eau le 25 novembre sous une nouvelle appellation : le SeaKite.
Beyond the Sea, société qu’il a créée en 2014 sur le bassin d’Arcachon, a commencé par développer un premier cerf-volant (kite) pour la plaisance, appelé LibertyKite. « Nous le commercialisons depuis 2018 avec 130 exemplaires déjà vendus en tant que propulsion de secours. Cela nous donne de la légitimité sur le marché de la traction par kite », affirme Marc Thienpont, le directeur général de l’entreprise.
Le vent, carburant de demain... à condition de convaincre
Une aile conteneurisable
L’ambition est désormais de développer des équipements de grande taille. Dans un premier temps, des voiles de 50 m² sont à l’essai : dans cette dimension, le SeaKite a une capacité de traction de 5 t soit, selon le dirigeant, « l’équivalent d’un moteur de 300 kW pour faire naviguer à 12 nœuds un yacht ou un chalutier de 20 à 30 m. »
Dès que les phases de déploiement et de rangement de l’aile seront automatisées en appuyant simplement sur un bouton, l’entreprise compte tester des ailes de 100 m² en 2023 puis 200 m² en 2024 et parvenir à 400 m² d’ici trois à quatre ans avant de s’attaquer par la suite à des ailes de 1 600 m² destinées aux plus grands porte-conteneurs.
« Le kite a beaucoup d’avantages en complément d’un moteur, que ce soit en construction neuve ou en retrofit, affirme Yves Parlier. Le système prend peu de place sur le pont, rangé dans une soute lorsqu’il n’est pas en service en cas de tempête par exemple : pas de couple de gîte, pas de fardage, peu de poids. Il s’adapte à tous types de navires, y compris un porte-conteneurs chargé dans les hauts. Nous travaillons d’ailleurs à une version conteneurisable. »
En complément du moteur… ou des voiles
En complément du moteur, pour économiser jusqu’à 20 % de carburant selon ses promoteurs, le cerf-volant a aussi l’avantage d’aller chercher du vent en hauteur, là où il est généralement plus fort et plus stable. Un avantage aux allures portantes : le vent chute alors au niveau du pont mais peut exister en altitude. Pour amplifier l’efficacité du système, le cerf-volant est piloté pour décrire des huit, ce qui lui fait faire « davantage de chemin dans la masse d’air », explique Yves Parlier, notant que « l’énergie du kite est plus proportionnelle à la surface qu’il balaie qu’à sa propre surface de voilure. »
Très puissant par vent arrière, le cerf-volant l’est moins au près, là où les voiliers traditionnels sont les plus performants. « Notre solution est complémentaire du moteur, mais peut également l’être de la voile, reprend Marc Thienpont. On voit de plus en plus de projets de navires marchands où la voile est la propulsion principale. L’hybridation avec une aile de traction est intéressante car les polaires de vitesse sont complémentaires. Jusqu’à 90° du vent, les voiliers traditionnels sont très efficaces. Dès que l’on arrive au large ou au vent arrière, le kite est plus puissant. Avec les deux systèmes on peut couvrir toutes les allures. »
Équiper « tous les cargos existants »
L’an dernier, Beyond the Sea a obtenu un financement d’un montant de 1 M€ de la part de Time for the Planet. Plus récemment, lors des Assises de l’économie de la mer du 8 novembre dernier, l’entreprise girondine a été retenue par le Corimer pour bénéficier, avec ses partenaires dans le projet KiWin, de financements pour développer son projet.
Beyond the Sea noue aussi des contacts avec des exploitants de navires et devrait, selon son directeur général, commencer à « co-développer dans les mois qui viennent avec trois armateurs sur des marchés très différents ».
Pour quels marchés visés et sur quelles routes ? « Tous les navires marchands existants peuvent être équipés, alors qu’il n’est pas envisageable de leur installer des mâts et des voiles, répond Yves Parlier. Les routes les plus favorables sont la transatlantique nord et la transpacifique nord, surtout dans le sens ouest-est. L’intérêt est aussi majeur pour les trajets Europe-Amérique du Sud, Afrique-Amérique du Nord, ou encore Japon-Australie. Dans les grandes traversées océaniques, on peut se dérouter de 10° pour trouver des vents et courants plus favorables, sans conséquence sur le time-transit. Ce n’est pas jouable en revanche pour le cabotage. »
Airseas en concurrence
Sur le marché du cerf-volant de traction venant en hybridation des moteurs habituels, Beyond the Sea a choisi une approche différente de celle retenue par son concurrent AirSeas. L’entreprise a opté pour la montée en taille progressive – Airseas a directement conçu de grandes ailes, testées sur un roulier de Louis Dreyfus Armateurs –, a a fait d’autres choix pour les ailes.
Du côté d’Airseas, une aile à caissons, comme en parapente, reliée au navire par un seul câble et un pilote automatique sous l’aile et alimenté en électricité depuis le navire. Pour Beyond the Sea, une aile similaire à celles du kitesurf : gonflable, plus structurée, elle permet de contrôler davantage la puissance dans les phases de lancement et de repliage. L’aile est reliée au navire par quatre câbles et le pilote est installé sur le pont.
Quelle que soit la technologie, pour Marc Thienpont, l’échec de l’un d’entre eux « retentirait sur la crédibilité de toute la filière. »
Étienne Berrier