Retour des opérations d'envergure dans la commission de transport

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L'offre de reprise de CMA CGM sur Bolloré Logistics pour 5 Md€ vient ajouter de l'animation à un secteur qui n'en manquait pas depuis qu'a été officialisée la cession de DB Schenker, le numéro quatre mondial du secteur à vendre pour 20 Md€.

L’offre d’achat spontanée que CMA CGM a formulée auprès du groupe Bolloré pour acquérir son pôle de commission de transport, structuré sous l’entité Bolloré Logistics, n’est pas de nature à ébranler les grands équilibres du freight forwarding. Le groupe français n'émerge qu'au 14e rang des commissionnaires dans le  classement établi par Armstrong&Associates qui fait référence dans le secteur, avec ses volumes transportés par la mer de 826 000 EVP et par le mode aérien de 652 000 tonnes métriques. Loin derrière les leaders mondiaux du marché, que sont les Suisses et les Allemands, à savoir les Kuehne+Nagel (4,6 MEVP ; 2,2 Mt), DHL (3,1 MEVP ; 2,09 Mt), DSV (2,5 MEVP ; 1,51 Mt) DB Schenker (2 MEVP ; 1,44 Mt).

Mais il témoigne de la volonté des certains transporteurs maritimes d'investir la supply chain en mode air-mer-terre pour une offre de transport sans couture et ce faisant, de se réapproprier la connaissance des flux des clients finaux, les chargeurs, que seuls maîtrisent aujourd’hui leurs clients intermédiaires, les commissionnaires de transport.

Bataille de géants

Les grands faiseurs de la logistique n’ont jamais craint la concurrence des compagnies de ligne, leurs prestataires se services maritimes. Ils s'en sont même souvent moqués, balayant l’idée qu’elles puissent avoir un jour des prétentions dans ce domaine d’un revers de bons mots qui claquent dans les médias pour stigmatiser leur manque d’expérience.

Les affaires deviennent plus sérieuses depuis que les armateurs, qui ont des navires, brassent autant d'argent que les transitaires et ont les moyens d'étendre plus rapidement leur zone d’influence et élargir leur rayon d'action.

Plus de 14 Md$ investis par Maersk

Depuis 2019, dans le cadre de sa transformation à grande échelle visant à offrir un service de porte-à-porte, Maersk, numéro deux mondiaux dans le transport de conteneurs, a engagé plus de 14 Md$ afin d'acquérir, à terre, des actifs dans le domaine de l’entreposage et de la distribution (Performance Team), de la gestion sous douane (KGH Customs Services), de la distribution BtoB et BtoC (LF Logistics), du traitement de commandes pour l’e-commerce (Visible SCM, B2C Europe, Huub), de la mode et du lifestyle (ICL), de la livraison du premier et dernier kilomètre, en particulier pour les articles volumineux et encombrants (Pilot Freight Services) et de la logistique de projet pour gérer du fret spécial et hors gabarit (Martin Bencher Group). Dans la logistique aérienne, le groupe danois a aussi mis la main sur le transitaire allemand Senator International.

L’affaire commence à payer. La filiale Logistics and Services a terminé l’exercice 2022 sur un chiffre avec 14,4 Md$ contre 9,8 Md$ en 2021 (+ 47 %) tandis que son Ebit a atteint 944 Md$ contre 678 Md$ pour l'exercice précédent.

CMA CGM, hyper actif

En 2021 et 2022, dans une approche similaire, CMA CGM a racheté des activités logistiques avec l’acquisition du grossiste américain en matériel informatique Ingram Micro CLS, du spécialiste français du dernier kilomètre, Colis Privé et du logisticien automobile Gefco, dont il veut étendre l’offre dans le transport des véhicules finis.

Son trésor de guerre accumulé durant deux années dorées lui a offert l'aisance financière. Le groupe marseillais a réalisé en 2022 un chiffre d’affaires de 74,5 Md$, un résultat net de 24,88 Md$ et un Ebit de 27,5 Md$, soit 43 % de plus que celui de 2021. CMA CGM ne communique pas sur le chiffre d'affaires de sa branche logistique mais avec Ceva, et sur la base de leur chiffre d'affaires, l'activité serait proche des 14 Md€. 

MSC est plus timoré à cet égard, réputé pour sa diligence à ne pas empiéter le précarré de ses clients-commissionnaires.

Un environnement animé

Mais sans eux, le monde des Global third-party logistics (3PL), qui n'a pas achevé sa consolidation, est un environnement en proie aux agitations, particulièrement depuis les manœuvres décomplexées du danois DSV qui lancent des OPA non sollicitées sur ses concurrents pour se hisser très vite au plus haut niveau du podium.

Tractations autour de DB Schenker

Les rumeurs, qui ont entouré la probable cession puis la vente avérée de DB Shenker par la Deutsche Bahn à l’endettement colossal (30,5 Md€ fin juin 2022), ont relancé les tractations.

Depuis plus d’un an, la filiale de commission de transport, présente au niveau international dans le fret aérien, terrestre, maritime et la logistique contractuelle, est sur le fil tendu de l’actualité. Le commissionnaire allemand dispose d’un réseau de 725 entrepôts dans une soixantaine de pays (plus de 8 millions de m²) emploie 76 100 personnes et représente près de la moitié des revenus de la Deutsche Bahn. Au cours du premier semestre de 2022 (derniers résultats connus), l’entreprise a réalisé un bénéfice d’exploitation de près de 1,2 Md€. La valeur de l'ensemble est estimée dans une fourchette large comprise entre 12 et 20 Md€.

Une opération de grande envergure

Si l’affaire se concrétise, il s’agirait d’une transaction de grande envergure. Depuis l’officialisation de la cession, Deutsche Post, actionnaire de DHL, n’a pas caché son intérêt. Une candidature qui aurait tout pour séduire Berlin, rarement friand de vendre des actifs à des intérêts étrangers.

Maersk a également été mentionné comme un acheteur potentiel de DB Schenker, mais le PDG Vincent Clerc a repoussé une nouvelle fois l’éventualité lors de la présentation du rapport annuel 2022. Ce serait une pirouette de l’histoire. Le commissionnaire allemand avait claqué la porte de Maersk pour confier une partie de ses volumes à MSC. Les relations commerciales entre le client et son fournisseur s’étaient tendues au sujet de Damco, à l’époque filiale logistique de Maersk, qui accusait DB Schenker de détourner une partie de sa clientèle. Une illustration des relations qui se crispaient alors que les frontières entre les métiers commençaient à se brouiller.

DSV Panalpina sur tous les fronts

Mais c’est surtout l’intérêt du danois DSV Panalpina qui est scruté par les communautés d’investisseurs et les milieux financiers. Car dans la cour des grands du secteur, sa soif d’acquisitions régale les analystes. Il lui revient d’ailleurs la dernière opération d’envergure en date sur le marché avec l’acquisition du transitaire Global Integrated Logistics (GIL) auprès du groupe koweïtien Agility pour près de 5 Md$.

À peine avait-t-il obtenu le feu vert pour GIL et alors qu’il n’avait sans doute pas encore assimilé Panalpina, il avait annoncé à la hussarde, dans la presse danoise en août 2021, ses visées sur DB Schenker, alors que la cession n’était encore que spéculation. Une sortie opportune alors que les élections fédérales se profilaient alors outre-Rhin pour désigner un nouveau gouvernement et chancelier. Ce sera Olaf Scholz dont l’arrivée au pouvoir fin 2021 et son gouvernement de coalition dirigé par les sociaux-démocrates (SPD) vont en effet donner un coup d’accélérateur à la vente de DB Schenker.

DSV a les moyens de ses ambitions : en 2022, les revenus de la commission aérienne et maritime se sont élevés à 23,4 Md€ (+ 26,1 %) dont 12,1 Md€ (+ 27,9 %) pour l'aérien, ayant traité 1,55 Mt (+ 3,1 % ; - 7 % sans GIL) et 11,3 Md$ pour le maritime (+ 37 %), avec 2,66 M EVP (+ 6,9 %, - 7 % hors GIL). Plus de 81 % de son résultat d’exploitation (Ebit) ont été générés par la division Air & Sea.

Des ratés

Le trublion de la commission de transport bouscule les lignes à vrai dire depuis 2018. Le secteur a encore en mémoire l’opération menée pour emporter Panalpina en 2019 qui a permis au numéro 7 mondial (par les volumes en EVP) d'avaler le numéro six et de se hisser à la quatrième place mondiale. Le Danois avait profité des désaccords entre actionnaires de sa proie pour déposer une offre non sollicitée, qu’il réévaluera plusieurs fois en vue de gagner la sympathie de la Fondation Ernst Goehner, l’actionnaire majoritaire.

DSV sortait à peine d’une tentative de prise de contrôle ratée sur Ceva Logistics dont il n’était pas parvenu à convaincre le conseil d’administration du bien-fondé de sa démarche avec son offre jugée peu alléchante de 1,34 Md€. Son offensive avait poussé CMA CGM, actionnaire de Ceva, à précipiter une montée au capital avant d’en prendre le contrôle. La suite est connue. Ceva est devenue le bras armé de la stratégie logistique de CMA CGM.

Entrée en scène de Kuehne+Nagel

Témoin d'un domaine en ébullition, Klaus-Michael Kühne, héritier de l’empire Kuehne+Nagel, leader mondial du marché, a laissé entendre pour sa part qu'Hapag-Lloyd, dont il est le principal actionnaire (via ses sociétés Kühne Maritime et Kühne Holding AG), pourrait participer à une acquisition de DB Schenker aux côtés de fonds d’investissement. Dans sa fourchette haute, la valeur de l'Allemande représente quasiment le bénéfice d'exploitation engrangé par Hapag-Lloyd l'an dernier, le numéro cinq mondial du conteneur.

Sans craindre de paraître en totale contradiction avec ses propos tenus par le passé et en jouant au poker menteur. La dernière grande acquisition de cet autre poids lourd remonte à celle d’Apex International en mars 2021, une société de logistique asiatique de 1 600 personnes et de 2,3 Md$, qui traitait alors 750 000 t en fret aérien et 190 000 EVP en maritime.

DHL aussi

Dans la commission de transport, l’été 2021 fut particulièrement chaud. Alors que les milieux d’affaires étaient étourdis par les chaleurs, DHL finalisait les termes de la transaction avec les principaux actionnaires de J.F. Hillebrand, un acteur de poids dans la commission de transport de vins et spiritueux (500 000 EVP par an). La valeur de l’opération, estimée à 1,5 Md$, a representé l'un des plus importants deals du groupe de Bonn depuis l’acquisition en 2005 du britannique Exel pour environ 7 Md$.

Déplacement sur le champ numérique

La bataille entre les commissionnaires et les compagnies se joue aussi sur la scène digitale. En retard de plusieurs trains sur les freight forwarders qui ont depuis longtemps investi le champ numérique, les compagnies ont toutes lancé leur offre digitale ces dernières années, permettant notamment aux chargeurs de gérer directement leur fret, de la réservation en ligne jusqu’au dédouanement.

La numérisation des services est une pierre angulaire tout-en-un qui permet à la fois de s’adresser directement aux clients, de fournir une offre de bout en bout sur-mesure mais surtout de récupérer des flux de transport et des informations-clients confisqués par les logisticiens. L'autre enjeu.

Adeline Descamps

 

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