Transport maritime de pétrole russe : en guise d'adieu, Joe Biden opère une magistrale « descente »

Crédit photo ©VesselFinder
Dernier coup de feu du président démocrate avant de raccrocher les gants. Quelques jours avant l'investiture du président élu Donald Trump, moins vindicatif à l'égard du pays de Vladimir Poutine, Joe Biden déploie un arsenal punitif impressionnant. L'analyse des données de l'Ofac américain est sans appel : sur les 155 navires traqués, la majorité relève de registres maritimes avec pignon sur rue. Mais les choses pourraient changer.

Jusqu’au bout, Joe Biden n’aura pas lâché la traque de la flotte fantôme, qui engrange 10 nouveaux pétroliers par mois, selon la société de courtage BRS. Dernier coup de feu du président démocrate avant de raccrocher les gants. Après l'interdiction du forage en mer, le président américain fait un ultime cadeau à son successeur, dont les positions à l'égard du pays de Vladimir Poutine sont moins vindicatives.

Dans le dernier train de sanctions, à quelques jours de l'investiture du président élu Donald Trump, figure à nouveau le secteur énergétique russe, plus grande source de financement du Kremlin que Washington accuse inlassablement d’être à la solde de l’effort de guerre russe en Ukraine. « Aujourd'hui, le département du Trésor des États-Unis a pris des mesures radicales pour respecter l'engagement pris par le G7 de réduire les revenus de la Russie provenant de l'énergie, notamment en bloquant deux grands producteurs de pétrole russes. Elles sanctionnent également un nombre sans précédent de navires transportant du pétrole, dont beaucoup font partie de la flotte fantôme, des négociants opaques de pétrole russe, des fournisseurs de services pétroliers basés en Russie et des responsables russes du secteur de l'énergie », indique l’Ofac dans la dernière mise à jour de son arsenal punitif, publié le 10 janvier. D’autres décisions, moins médiatisées, concernent « deux projets de gaz naturel liquéfié, un grand projet pétrolier russe et des entités de pays tiers qui soutiennent les exportations énergétiques de la Russie ».

Une magistrale descente

Des dizaines et des dizaines de sociétés œuvrant dans le commerce et la production de pétrole et de gaz russes (dont les deux plus grandes, Gazprom Neft et Sourgoutneftegaz avec une vingtaine de leurs filiales détenues à 50 %), dans l’assurance maritime (Ingosstrakh et Alfastrakhovanie), dans la gestion de flotte ainsi que des prestataires de services spécialisés « essentiels » pour « écouler le brut » viennent s’ajouter à la liste noire déjà fournie de l’Ofac.

Le bureau américain en charge du contrôle des actifs étrangers sous l’autorité du département du Trésor, y place en outre plus d'une douzaine de hauts fonctionnaires russes ou cadres du secteur de l'énergie, y compris des PDG de grandes compagnies pétrolières russes, parmi lesquels Vladimir Aleksandr Valeryevich Dyukov (Gazprom Neft), Vadim Nikolaevich Vorobyev (Lukoil), des dirigeants la société nationale d'énergie atomique Rosatom, et des vice-ministres du ministère de l'Énergie.

Enfin, sur les 183 navires de transport de brut et de produits pétroliers supplémentaires mis à l'index (certains l’étaient déjà), 155 appartiennent à des exploitants de flotte basés en Russie (dont l'armateur Sovcomflot, contrôlé par le gouvernement) ou font partie de la flotte clandestine. Près de 70 d'entre eux sont gérés par des sociétés inconnues au box-office du secteur car elles n’ont été créées qu'à la suite de l'invasion de l'Ukraine (Prominent Shipmanagement ; Sao Viet Petrol Transportation ; Sino Ship Management Sunne Co ; Meghan Group…). Toutes opèrent sous couvert, loin des normes internationales, pour dissimuler leurs trafics illicites.

Problématique du pavillon

Si 36 pétroliers sont enregistrés sous un pavillon russe, la majorité relève de registres maritimes avec pignon sur rue. Trente-six navires ont été acceptés sous le drapeau de la Barbade basé au Royaume-Uni (liste blanche du MoU de Paris), qui affirme être celui dont la croissance est la plus rapide au monde. Une soixantaine a été accueillie par le deuxième État du pavillon le plus fréquenté au monde, Panama (liste grise). Contre toute attente, peu se trouvent finalement dans les listes noires des États du pavillon (1 sous le drapeau camerounais) où les normes de sécurité sont à la limite de la négligence.

La politique du Panama, qui s’était engagé à nettoyer ses écuries et à expulser les navires non conformes aux normes internationales ou contournant les sanctions, ne donne pas encore de résultats tangibles. Début décembre, l'Autorité maritime du Panama (PMA) a retiré de sa flotte six navires après que ces derniers ont été placés sur la liste des sanctions britanniques le 25 novembre. Cette action est autorisée par le décret 512, publié le 18 octobre 2024, qui lui confère le droit de révoquer immédiatement l'enregistrement et les permis de navigation à des navires tombés sur le coup de sanctions. Depuis sa promulgation, l'enregistrement d’une vingtaine de ressortissants a été annulé.

Au cours des six derniers mois, les gouvernements occidentaux ont fait pression sur de nombreux petits registres tentés par l’opportunisme (Gabon, îles Cook, Cameroun) en accueillant une flotte en quête d’un pavillon-refuge. Parallèlement, le nombre de navires se dissimulant derrière un faux registre ou en continuant à opérer sous leur ancien registre à leur insu représenterait 15 % de la dark fleet. Selon Londres, le nombre de navires battant un faux pavillon a plus que doublé en l'espace de 22 mois, pour atteindre 223 navires. Les navires-citernes et les general cargo sont les plus touchés.

Opération conjointe

Les sanctions, prises en coopération avec le Royaume-Uni (qui a également sanctionné Gazprom Neft et Surgutneftegas, Ingosstrakh en juin et Alfastrakhovanie en novembre), passent par ailleurs par l’interdiction de fourniture de services par des entreprises américaines spécialisées dans le secteur pétrolier aux entreprises visées. Cette dernière action entrera en vigueur le 27 janvier prochain. Washington avait déjà annoncé le 21 novembre une série de restrictions concernant une cinquantaine d’établissement bancaires russes, dont la filiale financière de Gazprom, Gazprombank.

Selon l’AFP, alors qu’il était interrogé sur le devenir de ces sanctions (une fois Trump en poste), un haut responsable américain a indiqué qu’il était « de son ressort de décider si, quand et dans quelles conditions il pourrait lever les sanctions instaurés » avant d’ajouter que ces actions, en affaiblissant Moscou offrait un « levier significatif » tant à l’administration Trump qu’à l’Ukraine « pour négocier une paix juste et durable ». Le président élu, qui entrera en fonction le 20 janvier, avait indiqué « utiliser les sanctions le moins possible. » Mais le Congrès pourrait l'y contraindre. Y compris dans son camp, des membres n'ont eu de cesse de faire pression sur le président Biden pour mettre à genou l'économie russe.

Un attirail de mesures vaines ?

La liste qui vient d’être dressée s'ajoute aux 90 pétroliers annoncés le mois dernier par l'Union européenne et le Royaume-Uni. Les dernières dispositions américaines – similaires à celles qui viennent d’être émises –, s'étaient concentrées sur le brut iranien (qui a parfois recours aux mêmes navires que ceux opérant pour le compte des intérêts russes).

Selon les données du Lloyd’s List, 35 % des 669 pétroliers que le média répertorie comme transportant du pétrole russe, vénézuélien et iranien, sont désormais sous interdit, que ce soit par les États-Unis, le Royaume-Uni ou l'Union européenne.

Pour rappel, le cœur battant de cet « artillerie » reste le dispositif du plafonnement du prix du pétrole russe instauré en décembre 2023 par le G7. En vertu d’un plafond à 60 $ par baril de brut, 100 $ pour le pétrole raffiné et de 45 $ pour le fuel, les prestataires de services maritimes, armateurs, négociants en pétrole, gestionnaires, assureurs et les banques, ne peuvent pas intervenir si le prix du baril n'est pas inférieur. La plupart du brut, chargé dans les ports de l’Arctique russe, a pour destination la Chine et l'Inde, devenus les plus gros acheteurs de la Fédération. Si le brut de l'Oural se négocie à un prix inférieur à celui du Brent, il est rarement descendu en dessous du plafond de 60 $ au cours des derniers mois.

La Chine, arbitre du jeu

Autrement dit, la Chine a la main, en autorisant ou en interdisant les pétroliers sous embargo à entrer dans ses ports, qui n’ont jamais cessé d’y faire escale l'an dernier. Le vent semble tourner. L'autorité portuaire de la province du Shandong, dont les raffineries privées sont les principaux acheteurs de pétrole russe, iranien et vénézuélien, a annoncé une interdiction des services aux navires sanctionnés par les États-Unis.

Adeline Descamps

889 pétroliers impliqués dans le pétrole sanctionné au niveau mondial

Selon S&P Global Commodities at Sea, il y aurait 889 pétroliers de plus de 27 000 tpl susceptibles d'avoir été ou d'être toujours employés pour transporter du pétrole sanctionné. Avec une capacité consolidée de 111,6 Mtpl, le bataillon fantôme représenterait 17 % de la flotte mondiale. Le pool de navires contrôlés par des intérêts russes sont loin devant, en unités et en capacité (57,2 Mtpl) contre 155 navires (35,7 Mtpl) pour ceux intervenant dans le commerce de brut iranien et 113 (14,1 Mtpl) compromis dans le transport de brut vénézuélien.


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