La nouvelle génération de navires carburant avec des combustibles radicalement ou partiellement verts occupe le devant de la scène. Pour autant, c’est une autre réalité, plus souterraine, qui se fait jour. Au 6 septembre, il y avait, selon les calculs d’Alphaliner, 1 353 porte-conteneurs équipés de scrubbers (Exhaust Gas Cleaning, EGC), ces dispositifs qui permettent d’épurer les gaz d'échappement à l’instar des pots catalytiques sur les voitures et ainsi de traiter les émissions de SOx (dioxyde de soufre) conformément aux réglementations IMO2020.
Totalisant une capacité de 12,4 MEVP, a part des navires équipés représente 41,1 % de la flotte actuelle selon les calculs d'Aphaliner. Le taux d’équipement était d'environ 11 % lorsque les réglementations sur la teneur en soufre des carburants ont été introduites en 2020, de 32 % à la fin de l’année 2022 et de 36 % fin 2023. Mais il n'a fallu que huit mois pour que le taux de pénétration gagne encore 5 point alors que les livraisons des nouvelles constructions ont explosé dans le même temps.
Écart entre les différents carburants favorable
Le phénomène s’explique par la bonne orientation des prix du carburant. Le delta de prix entre le HFO (carburant à 3 % de teneur en soufre) et le VLSFO (teneur en soufre à 0,5 % de soufre ou moins), s'est établi en moyenne à 91 $ par tonne (Rotterdam) entre janvier et mai contre 101 $ en 2023. S'il est actuellement plus proche des 110 $, la moyenne était de de 219 $ en 2022. En un an, de septembre à septembre, l’IFO 380 est passé de 596 à 423 $ la tonne et le VLSFO, de 628 à 507 $.
L'écart de prix entre les deux types de carburants – appelé l’écart Hi5 –, est un indicateur clé conditionnant l’intérêt pour cette technologie. Plus il est faible, plus les arguments en faveur de l’installation des scrubbers perdent de l’acuité car la période d’amortissement du coût d’installation (entre 2 et 5 M$ selon le type de navires) s’en trouve allongée. Lorsqu’il est important, le retour sur investissement est court et les navires équipés de scrubbers réalisent des économies sur la facture de carburant.
La situation s'est récemment améliorée pour les équipementiers (Wärtsilä, Alfa Laval...) après un long déclin entre la mi-2022 et l'automne 2023. Le déroutement massif de la flotte de porte-conteneurs du canal de Suez vers le cap de Bonne Espérance, qui allonge les tonnes-milles, est un autre argument qui plaide en leur faveur.
MSC en tête
L'expansion incroyable de la flotte de MSC (562 en propriété) a fait exploser le taux d’équipement de sa flotte à 54 % en janvier 2024 contre 46 % deux ans auparavant. Le leader mondial de la ligne régulière n’a jamais caché sa préférence pour les systèmes d’épuration. Il est cependant loin de HMM et Evergreen qui sont de grands adeptes, dont le taux de pénétration est 84 et 83 % respectivement. Mais à lui tout seul, il avait contribué à hauteur 890 000 EVP fin janvier à la capacité équipée au niveau mondial (de 12 MEVP donc).
Outre MSC, parmi les armements dont le bataillon a le plus augmenté figurent Hapag-Lloyd (+ 8 %), ONE et Cosco, chacun de plus de 7 %. La japonaise a ainsi 33 % de ses unités appareillées, soit 40 navires et de 600 000 EVP en un an. La société était pourtant très sceptique à l'égard de la technologie et la seule parmi les dix leaders mondiaux à n’avoir pas franchi le pas lorsque les réglementations sur le plafonnement du soufre sont entrées en vigueur en 2020.
Aversion de Cosco et de CMA CGM
L’aversion de Cosco est, elle, restée marquée : bien que sa flotte (195 navires en propriété actuellement) dotée d’EGC soit passée de 12 à 19 %, il reste le plus rétif à la solution avec CMA CGM (26 %), dont le taux d’équipement n’avait quasiment pas varié en un an. Une donnée à mettre en regard avec ses 44 navires au GNL.
Toujours atypique reste le transporteur israélien, qui a seulement neuf navires totalisant 70 000 EVP avec des scrubbers. Comme CMA CGM, la plupart des livraisons de ses affrètement seront alimentés au GNL, à l’exception cependant de 12 navires, dont les solutions ne sont pas connues.
Quant aux pétroliers, dont le carnet de commandes compte actuellement 201 unités, ils brûleront à 59 % du HFO (IFO 380) comme carburant principal et seront équipés de scrubbers. Parmi les navires fonctionnant au HFO, 44 % seront configurés pour le GNL, méthanol ou l’ammoniac.
Adeline Descamps