Comme annoncé le 23 avril, la situation s’est de nouveau tendue entre Kiev et Moscou au sujet du transit des céréales en mer Noire. En amont du sommet des chefs d'État du G7 à Hiroshima en mai, l’ancien président russe Medvedev, proche du président Vladimir Poutine, a mis en garde les représentants des sept pays industrialisés.
« L'idée des idiots du G7 d'interdire totalement les exportations vers notre pays par défaut est belle ["beautiful", dans le texte, NDLR]. Mais elle implique une interdiction réciproque des importations en provenance de notre pays, y compris des catégories de marchandises qui sont les plus sensibles pour le G7 », a déclaré sans fard l’ancien président russe Medvedev dans un message publié sur sa chaîne Telegram et rapporté par Reuters. « Dans ce cas, l'accord sur les céréales – et bien d'autres choses dont ils ont besoin – prendra fin pour eux », a-t-il ajouté.
Le vice-président russe au sein du Conseil de sécurité, proche du président Vladimir Poutine, et à la tête d’une commission gouvernementale sur les armes de guerre en Ukraine, réagit notamment aux propos relayés par l'agence de presse japonaise Kyodo qui rapporte, sur la base de sources gouvernementales japonaises, que le G7 est en train de changer d'approche dans sa politique de sanctions. Les États membres voudraient rendre les exportations vers la Russie automatiquement interdites. Dans le cadre actuel, les marchandises sont autorisées à être vendues à la Russie à moins qu'elles ne figurent explicitement sur une liste.
Menaces à chaque échéance
Ces nouvelles déclarations interviennent alors que l'actuel accord, qui avait été prolongé le 18 mars dernier pour une courte durée de 60 jours, arrive à nouveau à terme le 18 mai.
L'accord, signé sous l’égide de l’ONU en juillet 2022 avec la médiation de la Turquie pour permettre le transit en mer Noire des céréales au départ des trois ports ukrainiens en dépit du blocus maritime, est sans cesse remis en cause par Moscou qui, à chaque échéance, menace d'annuler sa participation si la réciprocité dans les échanges n’est pas établie. Les autorités russes cherchent à obtenir une levée des sanctions occidentales sur leurs exportations de céréales, produits agricoles et d'engrais. Elles ne sont pas formellement interdites mais sont condamnées de facto par les sanctions sur les paiements, la logistique et l'assurance.
Les autorités russes font valoir depuis la mise en œuvre de l'accord du 22 juillet 2022 qu'il était actuellement unilatéral. « Les engrais russes n'ont pas pu transiter de la même manière que les céréales ukrainiennes », a indiqué lors d'une conférence de presse Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, soulignant que des dizaines de vraquiers russes chargés de quelque 200 000 t d'engrais étaient bloqués dans les ports européens.
Il rappelle que l'élargissement à certains produits agricoles, tels que les engrais, était prévu par le texte signé par les deux belligérants.
Escalade en amont du G7
Ces propos interviennent alors que les ministres du G7 tiennent plusieurs réunions préparatoires avant le sommet des chefs d'État du G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon et Royaume-Uni), qui se tiendra à Hiroshima du 19 au 21 mai sous la présidence japonaise.
Dans leur déclaration finale formulée le 23 avril à l’issue d’une rencontre de deux jours à Miyazaki au sujet des « défis et des opportunités pour les futures politiques agricoles et alimentaires », les ministres de l'Agriculture du groupe des sept pays industrialisés, ont rappelé leur soutien ferme « à la prolongation, la mise en œuvre intégrale et l'extension de l'initiative » et condamné « les tentatives de la Russie d'utiliser la nourriture comme moyen de déstabilisation et comme outil de coercition géopolitique ». Il est aussi fait mention d'un soutien du G7 aux actions de « déminage des terres agricoles et de reconstruction des infrastructures agricoles ».
Rencontre entre le ministre russe des Affaires étrangères et le secrétaire général de l'ONU
Quelques jours auparavant, le 18 avril, les ministres des Affaires étrangères du G7 réunis à Karuizawa, avaient appelé Moscou à « cesser de menacer l'approvisionnement mondial en denrées alimentaires et à permettre à l'initiative de fonctionner indéfiniment et au maximum de ses capacités. »
La question céréalière ukrainienne sera aussi sur la table lors de la rencontre prévue la semaine prochaine à New York entre le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres.
Ces nouvelles tensions interviennent alors que la Pologne, la Hongrie et la Slovaquie ont mis l'embargo sur les exportations de céréales ukrainiennes au prétexte qu'elles déstabiliseraient leurs marchés agricoles. Et Moscou a de son côté accusé Kiev de corruption dans le transit des navires en mer Noire.
Pour mémoire, avant que les troupes russes ne franchissent les frontières de l'Ukraine en février dernier, les deux voisins représentaient près d'un quart des exportations mondiales de céréales, qui ont été interrompues pendant près de six mois, jusqu'à ce que des représentants de l'Ukraine, de la Russie, des Nations unies et de la Turquie conviennent d'établir un corridor maritime humanitaire.
Depuis lors, plus de 900 navires et 29 Mt de produits agricoles ont pu quitter les ports ukrainiens.
Adeline Descamps
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40,7 Mt exportés à ce stade de la campagne 2022/2023
Les exportations de céréales de l'Ukraine pour 2022/23 s'élèvent à ce stade à 40,7 Mt selon les données du ministère de l'Agriculture. L'Ukraine avait exporté 45,7 Mt de céréales au 27 avril 2022.
Les volumes exportés jusqu'à présent (saison juillet 2022-juin 2023) comprennent 13,9 Mt de blé, 24 Mt de maïs et 2,4 Mt d'orge.
La production céréalière de l'Ukraine est tombée à 53 Mt au cours de l'année civile 2022, contre un record de 86 Mt en 2021.
Le gouvernement ukrainien soutient que le pays pourrait récolter jusqu'à 50 Mt de céréales en 2023 si les conditions météorologiques sont favorables.