Marseille Fos : aucun trafic épargné par la détérioration des volumes en 2023

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ZIP de Marseille Fos

Le port de Marseille Fos a absorbé les coups et contrecoups du monde où les crises se sont stratifiées en 2023. La conjoncture économique, les tensions géopolitiques, les mouvements sociaux de début d'année... ont tiré l'ensemble des filières vers le bas, excepté le passager. Le trafic global du deuxième port français est en repli de 7 %, dépassant à peine les 70 Mt.

Dans un contexte bouleversé, depuis la déclaration de guerre de la Russie à son voisin ukrainien jusqu’aux derniers événements en mer Rouge, où les Houthis canardent les navires marchands, le Grand port de Marseille n’échappe pas à la sanction géopolitique.

« Vertiges mondiaux » d’un côté, selon l’expression de Christophe Castaner, le président du conseil de surveillance du port de Marseille Fos, et mouvements sociaux sur le plan local de l’autre, n’ont pas fait les affaires du port méditerranéen, qui a enregistré un trafic global en repli de 7 %, à 71,9 Mt. Une sous-performance qui concerne l’ensemble des filières.

« Le contexte international marqué par l’instabilité géopolitique a des répercussions économiques et donc sur les flux maritimes. L’économie mondiale a dû composer avec une hausse de l’inflation et des taux d’intérêt depuis le quatrième trimestre 2022 et cela a été particulièrement impactant en Europe et aux États-Unis, rappelle le président. On oublie aussi que les restrictions sanitaires en Chine ont été en vigueur jusqu’en juillet, ce qui a encadré les déplacements et bridé son économie. La reprise n’a pas eu ensuite la puissance attendue ».

Le décor est planté. Dans ce contexte « frileux », la croissance du volume du commerce mondial de marchandises a été au plancher (+ 0,8 %), et l’essentiel des « échanges ont été infra-Asie [+ 10 %, NDLR] avec donc des conséquences négatives pour l’Europe », poursuit-il.

Les échanges nord-sud ont en effet été les grands gagnants de 2023, en tout cas pour le conteneur, tirés vers le haut par la réorientation des services des grandes compagnies maritimes, en quête de régions où les taux de fret étaient plus accueillants, alors que sur certaines routes, les porte-conteneurs ont été exploités à des niveaux à la limite de la rentabilité.

Conteneur : la sanction géopolitique (- 13 %)

À Marseille, la boîte, trafic étalon pour un grand port maritime, a enregistré une baisse significative, de 11 % en tonnage et de 13 % en EVP, bien en dessous des 1,5 MEVP donc. Le marché chinois, première destination à l’import, a coûté cher aux terminaux de Fos. Un sort qui devrait être commun à l’ensemble des ports européens. Anvers a d'ailleurs ouvert le cahier des doléances mais sa sous-performance est tout de même moindre (- 5 % en volume et - 9 % en tonnage).

Quant aux perspectives, alors que la liberté de navigation est entravée en mer Rouge et que 90 % des porte-conteneurs selon les dernières données ont déserté la région et dérouté vers le cap de Bonne Espérance, le duo à la tête du port concède avoir plus de questions que de certitudes.

« À ce stade, on constate un rallongement du temps de transport de l’ordre de deux et trois semaines, ce qui engendre un décalage dans le programme des arrivées. Il n’y a pas d’effets massifs pour l'instant mais cela deviendrait un sujet de préoccupation si cela devait perdurer », estime Christophe Castaner.

Dans tous les cas, la situation ne sera pas dans l’intérêt du port méditerranéen. « Les axes Nord-Sud seraient, dans ce cas, très sollicités et le port marocain [Tanger Med, NDLR] pourrait être appelé à monter en puissance sur le transbordement »

« Sur un plan purement technique, ajoute Hervé Martel, le directeur du Grand Port maritime de Marseille Fos (GPMM), la question est de savoir si les compagnies vont exploiter plus de navires [nécessaire si elles veulent maintenir leur réseau en l’état actuel, NDLR] et quel aura l'impact sur la réorientation des flux sur les taux de fret, déjà sous pression ». Il n'exclue pas, sur une période courte, des phénomènes de congestion.

Vracs liquides : la « parfaite stabilité » (0 %)

Rentes du premier port pétrolier français depuis 60 ans, les vracs liquides – encore 60 % du volume du port, 41,1 Mt –, n’ont rien gagné l’an dernier (0 %) par rapport à l’année précédente, qui avait été un exercice en croissance (+ 5 %), effet GNL.

Les trafics perdus en début d’année en raison des mouvements sociaux ont été partiellement rattrapés ensuite « grâce au dynamisme des raffineries », tirées par des marges élevées et qui ont tourné à plein régime.

Plus de raffinage signifie moins d’importations. Les produits raffinés accusent en conséquence un repli de 8 %. L’effet GNL n’a pas opéré l'an dernier, cumulant les grèves (en lien avec la loi sur le dumping social) et les problèmes techniques. Trafic porteur dans l’absolu, au regard de la géopolitique du gaz, il y a toutefois quelques bémols. Lors d'une réunion tenue le 8 décembre 2023, les représentants du conseil et du parlement européen et de certains États membres sont parvenus à un accord politique provisoire sur une nouvelle vague réglementaire. Une directive permettrait aux États membres de l'UE « d'adopter des restrictions à la fourniture de gaz, y compris de GNL, en provenance de Russie ou du Belarus ». Une nouvelle reconfiguration des flux pourrait donc en découler.

Roulier : saison en demi-teinte (- 9 %)

Avec 217 924 remorques traitées, le nombre d’unités a chuté de 9 % l’an dernier par rapport à 2022 mais reste supérieur de 4 % à l’année-marqueur de 2019 (avant la pandémie).
Les mouvements sociaux ont, là encore, coûté quelques points au fret corse (- 9 %), que la saison estivale en demi-teinte n’a pas permis de compenser. Le Maghreb ne s’est pas mieux comporté (- 8 %), la production en Tunisie à la peine notamment sur les filières automobile, textiles et marchandises diverses, ayant joué un rôle dans cette perte de flux.

Plus étonnante, car dans un super-cycle depuis deux ans au niveau international, est la sortie de route du trafic de véhicules neufs. « Elle est liée à des problèmes de qualité de l’usine Renault en Turquie et à des organisations logistiques différentes, mais cela reste un marché très porteur pour la Méditerranée, au moins à court terme », nuance Hervé Martel.

Vracs solides : le ricochet Arcelor (- 24 %)

Reposant quasi-exclusivement sur les trafics du leader européen de l’acier, le segment (8,7 Mt en 2023) a perdu 2,7 Mt, payant chèrement la mise à l’arrêt du haut fourneau n°1 (depuis quatre mois) dans un contexte de baisse structurelle et conjoncturelle (inflation) de la demande européenne d’acier. Avec 5,8 Mt, les imports de matières premières d’ArcelorMittal sont à leur point bas (- 22 % par rapport à 2022, soit - 1,7 Mt).

Report modal : grande volatilité selon les années

« Les résultats ne sont pas très bons, concède le patron du port phocéen, qui plaide à la fois la conjoncture économique et la colère sociale des premiers mois de l’année 2023 (pertes et annulations d’escales). « On avait réussi ces dernières années à faire baisser la part de la route vers l’hinterland, mais les modes massifiés s’en sont bien moins tirés cette année ».

Euphémisme. Le report modal fluvial de conteneurs est en baisse de 14 %, mieux toutefois que l’équivalent par le rail (- 22 %) si bien que la part modale globale y perd quelques plumes pour s'ancrer à 20 %, dont 4,7 % pour le fluvial (stable) et 15,2 % pour le ferroviaire (- 1,7 points p/r à 2022). Pour autant, le GPMM aura investi l'an dernier 18,3 M€ pour s’affranchir du tout-route (projets ferroviaires Graveleau et Mourepiane).

Le renforcement de l’axe Méditerranée Rhône-Saône doit, en théorie, dynamiser cet hinterland grâce au fluvial « en direction de Lyon, de la Bourgogne, mais aussi de l’Allemagne. On doit se projeter à cette échelle-là », appuie Christophe Castaner.

Au cahier des charges de la présidence de la République, ce grand port appréhendé de Marseille à Lyon, qu’Emmanuel Macron désigne comme un « Haropa du Sud », avance dans « sa réflexion sur la gouvernance », assure Hervé Martel. Cette année devraient être posées les bases d’un schéma directeur de l’aménagement de l’axe.

Passagers : « Extraordinaire dynamique »

C’est le seul trafic qui échappe à la dégradation généralisée des flux. En 2023, le nombre de passagers a franchi le cap des 4 millions (+ 36 %). Il résulte de deux embellies : la croisière (+ 76 %) avec plus de 2,5 millions de passagers. La politique zéro-Covid en Chine, qui jetait ses derniers feux l’an dernier, n’est pas étrangère à cette performance, les croisiéristes repositionnant leurs paquebots sur la Méditerranée. Le terminal Léon Gourret a ainsi accueilli 626 escales (+ 53 escales vs 2022) dont 147 escales au GNL, rappelle fortuitement l’autorité portuaire, dont elle sait être dans l’œil du cyclone sociétal sur ce sujet.

Le nombre de passagers sur les lignes régulières a en revanche diminué de 2 %, entraîné par le recul des services internationaux. « Ce n’est pas un mauvais résultat mais un retour à la normalisation après le boom consécutif aux confinements », précise le port.

118 M€ d’investissements en 2024

« Un port ne se réduit pas à ses trafics », désamorce Hervé Martel. Il en veut pour preuve un chiffre d’affaires en hausse de 11 %, à 210 M€, résultant de la « montée en puissance des revenus domaniaux et d’une très forte dynamique sur l’activité voyageurs ».

En revanche, un port se dirige avec des moyens financiers. Après les 76 M€ investis en 2023, budget déjà gonflé de 27 % par rapport à 2022, l’établissement portuaire pourra compter sur 118 M€ cette année.

La répartition de l’enveloppe commence à traduire ce grand saut vers l’inconnu multiénergies auquel sont conviés les ports, encore très mono-fossiles, dans un contexte réglementaire de plus en plus strict sur les questions climatiques : 57 millions seront alloués à la décarbonation (+ 79 % par rapport à 2023), 31 millions au développement des activités maritimes et à l’aménagement des bassins et des terminaux et le solde à la modernisation des infrastructures portuaires.

La connexion électrique des navires à quai – Marseille est un des pionniers européens dans ce domaine –, devrait bénéficier d’un nouvel effort financier.

L’an dernier, les aménagements ont concerné le terminal du Cap Janet (passagers internationaux) où cinq postes à quais ont été équipés tandis que les études et marchés pour le raccordement du môle Léon Gourret (croisière) ont été lancés. Un premier poste doté d’un équipement de conversion pourrait ainsi être opérationnel au dernier trimestre 2025. Un défi technique car les paquebots nécessitent une conversion de fréquence de 60 à 50 Hz pour être connectés.

« Au total, la première phase en cours jusqu’en 2025, aura représenté un investissement de 81 M€. Je présenterai au conseil de surveillance une deuxième phase pour connecter à la fois ce qui est obligatoire dans le cadre des nouvelles obligations européennes [Fit for 55, NDLR], à savoir les conteneurs, les remorques, les passagers mais aussi la réparation navale. On sera alors à l’avance en termes de calendrier et de périmètre », assure Hervé Martel, qui gage sur une décision en février.

L’accès à l’électricité (68 MW consommés en 2022), si possible verte, est un aurtre challenge, raison pour laquelle Marseille Fos entend y associer une
production en propre via des panneaux photovoltaïques installés sur les surfaces de six hangars. Les travaux devraient démarrer cette année pour être livrés dans un délai de 25 mois.

Adeline Descamps

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Un mur d’investissements de l’ordre de 11 Md€

« Face à un mur de 11 Md€ d’investissements privés et publics [projets identifiés à ce jour sur la zone industrialo-portuaire, NDLR], nous nous devons d’accompagner les industriels en proposant des terrains clé-en-main. C’est ce que l’on a fait autour du hub GNL pour l’avitaillement des navires, mis en œuvre par Total et CMA CGM il y a deux ans. D’autres armateurs profitent de cette offre aujourd’hui, se félicite Christophe Castaner, le président du conseil de surveillance du Grand port maririme de Marseille. On a pour ambition d’être aussi un hub pour de nouveaux carburants, de synthèse et biosourcés. On a déjà un exemple concret avec du biométhane produit à partir de l’incinération de déchets sur la ZIP. On travaille avec d’autres porteurs de projets, comme Elyse Néocarb qui produira des carburants de synthèse à partir d’hydrogène bas carbone, ou GF Biochemicals, acteur de la chimie verte ».

L’année 2023 aura été celle des concertations publiques, rappellera l'autorité portuaire, portant sur trois grands projets, érigés en totems « au service de la réindustrialisation », que le président de la République leur a demandé de développer.

Le projet Carbon, qui vise à construire une giga-usine de panneaux photovoltaïques, a fait l'objet d'une concertation publique préalable du 11 septembre au 30 octobre 2023.

Le programme H2V, qui envisage la construction en deux phases de six unités de production d'hydrogène par électrolyse de l'eau, pour une capacité totale de 600 MW et 84 000 t d'hydrogène bas carbone par an, a également été soumis à débat entre octobre et décembre 2023.

L'hydrogène produit doit être destiné aux industriels de la ZIP et servir à fabriquer des carburants pour les transports maritime (dont le méthanol) et aérien (SAF). La première phase du projet comprendra notamment une unité de production de méthanol de synthèse, destiné prioritairement au secteur maritime, avec une capacité de 130 à 140 000 t/an. Sa mise en service est prévue pour 2028, et la seconde en 2030. Le port est en outre entré au capital de la société.

La concertation publique pour le projet GravitHy, qui prévoit la construction d'une usine de production de fer pré-réduit bas carbone, dit acier vert (2 Mt), en utilisant de l'hydrogène obtenu par électrolyse de l'eau sur site, est en cours. L'installation, dont l'investissement global s'élèverait à 2,2 Md€, vise une mise en service en 2027.

A.D.

 



 










 

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