Le transport maritime de voitures, un business fiable pour les ports ?

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BYD Explorer n°1

Lle premier porte-voitures construit en Chine, conçu pour l'exportation en Europe de voitures made in China, a opéré une première livraison en mars dans le port allemand de Bremerhaven.

Si les grands ports maritimes européens pensaient avoir trouvé un nouveau business avec les importations de véhicules électriques chinois, ils vont devoir revoir la copie. Le trafic automobile offre pourtant un relais de croissance aux ports dans un contexte de grand chambardement des flux. À condition de disposer de foncier. Quelques ports français sont bien positionnés.

Si les grands ports maritimes européens pensaient avoir trouvé un nouveau business avec les importations de véhicules électriques chinois, ils vont peut-être devoir revoir la copie. Les barrières douanières s’érigent ici et là, susceptibles de faire exploser les accords commerciaux entre blocs. Et, pour ajouter à la confusion en cette année ultra-électorale, l'échéance de 2035 fixée par les Vingt-Sept pour interdire la vente de véhicules à moteur thermique est de plus en plus chahutée par des partis politiques susceptibles de prendre plus de place dans le futur parlement européen.

Alors que les véhicules fabriqués dans les usines chinoises étaient jusqu'ici taxés à hauteur de 10 % dans l'UE, Bruxelles prévoit d'y ajouter des droits compensateurs (comprendre : supplémentaires) de 17,4 % pour le fabricant chinois BYD, de 20 % pour Geely et de 38,1 % pour SAIC. L’administration américaine, qui a précédé laa Commission européenne dans ce mouvement protectionniste, a été plus radicale, envisageant des taux à 100 % contre 25 % jusqu’à présent.

Dans la ligne de mire, la politique industrielle proactive de la Chine qui lui permet d'avoir une longueur d’avance en matière d’électromobilité. Soutenues par l'État, les entreprises chinoises se sont rapidement imposées sur toute la chaîne de valeur, de l’extraction des matières premières à la fabrication des batteries jusqu’aux véhicules électriques. Championne des moteurs essence et diesel, l'Europe, elle, craint la déferlante des modèles chinois.

Boom du commerce maritime de voitures

À vrai dire, le phénomène est déjà bien amorcé. Selon Clarksons Research, le commerce maritime de voitures a augmenté de 17 % en 2023 par rapport à 2022 (+ 38 % entre 2021 et 2023) pour atteindre 23,7 millions d'unités, dépassant le précédent record de 21,5 millions de voitures en 2018. La forte croissance des exportations en provenance d'Asie, notamment de Chine (4,1 millions de véhicules en 2023, contre moins de 1 million en 2020), du Japon (+ 17 %, soit 5 millions d’unités) et de Corée du Sud (+ 20 %, 3,2 millions), y ont largement contribué.

Tout un symbole, le premier porte-voitures construit en Chine, conçu pour l'exportation en Europe de voitures made in China, a démarré sa carrière le 9 janvier depuis Yantai et a opéré une première livraison en mars de quelque 3 000 véhicules électriques dans le port allemand de Bremerhaven.

Le marché chinois de l'électrique a vu naître ces dernières années des dizaines de marques locales comme BYD, Zeeker, Nio, XPeng ou Great Wall, qui progressent très vite en Europe grâce à des tarifs compétitifs. Leur part de marché dans la voiture électrique est passée de moins de 2 % à près de 8 % en à peine deux ans (2021-2023), selon l'institut Jato, profitant de l'interdiction des ventes de moteurs essence et diesel décidée par l'UE à l'horizon 2035.

Une quarantaine de ports positionnés

En Europe, une quarantaine de ports sont positionnés sur le marché de l’automobile à commencer par Zeebrugge, avec ses 3,5 millions de véhicules neufs, ses 20 000 escales et ses six terminaux ro-ro, et Bremerhaven. Les deux ont été particulièrement congestionnés ces deux derniers mois dont les raisons font l'objet d'interprétations diverses. L'engorgement pourrait à la fois être le symptôme d'un trop-plein, témoignant des difficultés du marché européen à absorber l'offre ou le résultat des grandes évolutions dans la logistique automobile.

Selon l'Association of European Vehicle Logistics, basée à Bruxelles, les équipementiers ont besoin de stocker davantage pour s'adapter à des modèles de consommation fluctuants et volatiles. En outre, les modèles de vente évoluent, passant de concessionnaires à des agences, requérant « des stocks stratégiques dans les terminaux ».

Sète, place de choix dans la logistique import

« L’espace est le principal frein à la gestion du trafic automobile. On y consacre 26 de nos 180 ha », indiquait Olivier Carmes, le directeur général du port de Sète, qui intervenait dans le cadre du Shipping Day en avril dernier à La Rochelle.

Le port occitan, détenu par la région, s’est taillé une place de choix dans la logistique d’import de véhicules neufs. Entre 2007 et 2023, les flux y sont passés de 30 000 à 90 000 véhicules manutentionnés par an. Un trafic porté par les 125 escales de car-carriers pour le compte des plus grandes marques automobiles et conforté par la présence de trois spécialistes de la logistique automobile (CAT, Syntax, Groupe Charles André), assurant le déchargement, le stockage et la préparation des véhicules avant leur acheminement vers les concessions.

DFDS et Neptune Lines desservent ainsi les ports de Yalova, en Turquie, et Constanta en Roumanie. GNV, Intershipping et Balearia rallient ceux de Tanger Med et Nador, au Maroc. Sète réceptionne des véhicules neufs en provenance des sites de production des grands constructeurs pour les redistribuer sur le marché français et exporte par ailleurs des véhicules d’occasion principalement vers le Cameroun, l’Afrique du Nord et de l’Ouest.

Opérateur logistique automobile historique, la CAT a investi 10 M€ ces trois dernières années (et le port 6 M€) pour doubler la capacité de stockage de voitures jusqu’à 16 000 places, dont 7 500 couverts. Cette année, le port occitan prévoit de libérer 11 ha supplémentaires permettant de traiter 50 000 unités de plus sur trois ans. D'ici 2028, quelque 10 M€ devraient être investis pour aménager du stockage en hauteur et rationaliser les espaces.

Montoir, excentré de l'axe Nord-Sud

À Montoir de Bretagne, où les flux rouliers sont gérés par Somaloir, les trafics automobiles ont également pris leur aise (+ 13 % en 2023) avec 118 000 véhicules en provenance du Maroc et d’Espagne. Le foncier y est aussi un problème. « Le coût à la place entre un terre-plein classique et un parking silo va de 1 à 5 ». Pour l’instant, le marché n’est pas prêt à absorber le surcoût. « Alors, en accord avec les constructeurs et logisticiens, on optimise les surfaces et les temps de chargement des véhicules ».

Le service roulier entre Montoir et Vigo, créé il y a des décennies pour envoyer des pièces détachées depuis les usines Citroën de Rennes vers celles en Espagne, assure aujourd'hui le transport régulier d’environ 70 000 voitures neuves. La ligne a ensuite profité de l’apport des véhicules Renault Captur fabriqués à Valladolid et Palencia, en Espagne.

Elle bénéficie depuis 2017 d’une nouvelle connexion avec Tanger pour assurer les flux vers et depuis les usines de Renault dans la zone franche de Tanger et de Stellantis, a maison-mère de Fiat, Peugeot, Citroën et Opel/Vauxhal, à Kenitra. Cette nouvelle escale offre aussi à l’usine Scania d’Angers une solution maritime directe pour ses exportations vers le marché marocain.

« L’an dernier, on a cherché à mettre en œuvre une alternative au transport par route pour l'exportation des véhicules produits dans l'usine Stellantis de Rennes vers la Turquie. Un armateur a joué le jeu [Suardiaz, NDLR]. On a fait quelques essais spot et désormais, nous avons deux escales par mois », se félicite Jean-Luc Bernard, responsable du roulier au port de Nantes Saint-Nazaire.

Bien que port excentré de l’axe Nord-Sud, Nantes aura gagné une ligne au détriment des ports du sud de la France, car Stellantis a longtemps livré ses véhicules de Rennes jusqu’à la Turquie en passant par Fos-sur-Mer ou Sète.
 

Calais, le grand retour

« Un gros car-carrier déverse entre 6 000 et 7 000 voitures. Il va falloir anticiper une problématique de capacité portuaire face à cet afflux d’autant que le stockage de voitures a tendance à s’étaler hors des ports », explique Vincent Schirmann, coordinateur multimodal au sein du Groupe Charles André qui opère 15 plateformes automobiles en Europe (surtout dans les ports).

Le logisticien n’est pas étranger au retour de l’automobile à Calais où il réceptionne chaque année entre 35 000 et 40 000 utilitaires légers, produits sur les sites de Luton (près de Londres) et d'Ellesmere (Liverpool), où sont implantés les sites de fabrication de Stellantis outre-Manche, puis acheminés jusqu’à Southampton où ils embarquent sur un navire UECC. Ce trafic assure au port du Détroit un flux de 1 200 voitures tous les dix jours.

Calais peut compter sur une autre ligne, depuis la Turquie, avec des Ford à destination du nord de la France, soit au moins 350 utilitaires deux fois par mois.

Depuis novembre 2023, le premier port français décentralisé voit transiter des véhicules de l’usine Stellantis d’Hordain (Valenciennes) à destination de l’Algérie via le détroit de Gibraltar. Un objectif a été fixé à 10 000 véhicules par an.

Déballage d'investissements au Maroc

Si les ports de Zeebrugge et de Bremerhaven ont des raisons de craindre l’inconsistance des politiques commerciales à l’égard des véhicules chinois dont ils sont des portes d’entrée, les ports français ont des motifs de satisfaction mais ne sont pas épargnés pour autant par une concurrence forte alors que l’Italie, depuis 2017, et l’Espagne, depuis 2023, sont au balcon et bénéficient de mécanismes incitatifs au report modal.

Les ports français peuvent néanmoins compter sur la dynamique des fleurons nationaux du secteur. Stellantis, le groupe aux 14 marques (Peugeot, Citroën en France), a annoncé dernièrement un investissement de plus de 300 M€ pour doubler la capacité de son site de production marocain à Kénitra dont les chaînes sortent notamment des Peugeot 208. Le constructeur, né de la fusion du français PSA et de l’italo-américain Fiat Chrysler, a engagé un investissement de 300 M€ afin d’atteindre les 450 000 véhicules par an.

En mars, trois mois après avoir inauguré sa première usine en Algérie pour Fiat à El-Djazaïr près d’Oran, le même a annoncé une extension qui va lui permettre de sortir 40 000 Fiat 500 hybride de plus, soit 90 000 unités d'ici à 2026.

La Chine n’est toutefois pas loin et elle multiplie les investissements au Maroc pour en faire un hub de production de batteries électriques. Les entreprises chinoises Hailiang et Shinzoom y ont annoncé la construction de deux usines, l’une de cuivre, l’autre d'anodes, totalisant plus d’1 Md$ d'engagements financiers.

En avril, le gouvernement marocain avait donné son feu vert à BTR New Material Group, filiale d’un groupe chinois, pour la création d’une usine de production de cathodes près de Tanger, mobilisant 497 M$.

CNGR Advanced Material envisage également une usine de cathodes à Jorf Lasfar, tandis que Gotion High-Tech projette une usine de batteries électriques dans la zone franche de Kenitra. Volkswagen participerait au capital de la filiale marocaine à hauteur de 40 %. L’usine devrait être opérationnelle dès le deuxième semestre 2026.

Adeline Descamps

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Les exportations françaises automobiles pèsent près de 57 Md€

Avec 894 000 immatriculations de véhicules légers neufs (82 % de voitures particulières neuves) dont 17,6 % électriques et 8 % hybrides rechargeables, le marché français a progressé de 5,6 % au cours des cinq premiers mois de l’année par rapport à la même période l'an dernier, d’après la Plateforme automobile (PFA), regroupant constructeurs et équipementiers français. En mai, il s’est contracté de de 2,9 % (141 298 immatriculations dont 17 % d'électriques), attribué à un « phénomène d'attentisme » dans un contexte français et européen incertain.

Les exportations françaises automobiles ont atteint l’an dernier une valeur de 56,5 Md€ (+ 16,7 %), dont 40,5 Md€ pour les véhicules (+ 20 %) et 16 Md€ (+ 9 %) pour les équipements. L’industrie a représenté 9,5 % de la valeur totale des exportations de la France (contre 13,2 % en 2000 et 10,1 % en 2010). Au niveau de l’ensemble des importations, le poids du secteur automobile s’est élevé à 11,2 % l’an passé (contre 9,9 % en 2000 et 9,4 % en 2010).
 

 

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