Tentative de détournement de l’attention. Dans sa communication portant sur les trafics de 2023, le port de Rotterdam introduit son propos par un long développement sur ses investissements et ses avancées en matière de transition énergétique. Le message n’en est que plus clair : il y a toujours moins de trafics dans le premier port européen mais toujours du cash (295,4 M€ investis en 2023, soit près de 15 % de plus qu'en 2022) pour assurer l’avenir d’un port qui se présente en transition.
Baisse de 6,1 %
Sur un an, Rotterdam accuse une perte d’un peu plus de 28 Mt et s'établit à 438,8 Mt, soit 6,1 % de moins qu'en 2022 (467,4 Mt où la baisse avait été bien plus mesurée).
Le charbon, le conteneur, les produits pétroliers, le brut, les marchandises diverses, le ro-ro, le breakbulk, tous ces trafics sont en baisse, mais en deçà des 10 %, excepté pour les vracs secs dont la moyenne (- 11,8 %) cache une chute de 20,3 % pour le charbon et de plus de 31 % pour tous les autres vracs en dehors du minerai de fer, de la ferraille et des vracs agricoles. Le port tient dans ces trois flux ses rares motifs de satisfaction. II faut y ajouter le GNL, seul sanctuaire (+ 3,7 %) dans un segment qui se liquéfie (-3,4 %).
« L'année 2023 a été marquée par des troubles géopolitiques persistants, une faible croissance économique due à des taux d'intérêt plus élevés et un commerce mondial en perte de vitesse, autant d'éléments qui ont eu un effet logique sur le débit du port de Rotterdam », entonne Boudewijn Siemons, dont l’intérim à la tête du port depuis l’été dernier pour remplacer Allard Castelein en fin de mandats s’est transformé le 1er février en promotion. Mais l’autorité portuaire n’a toutefois résolu que partiellement son problème de gouvernance. Il faut désormais remplacer l’ex-directeur des opérations du port.
Vrac sec : - 11,8 %, 70,6 Mt
Dans le segment du vrac sec, la bonne tenue des vracs agricoles détonne compte tenu des mauvaises récoltes dues à la sécheresse et aux inondations en Europe. Elle est liée à l'augmentation des importations de maïs de 50 %.
En revanche, la chute (de 20,3 %, 23,1 Mt tout de même) du charbon est rationnelle étant donnée la faible demande de charbon énergétique pour la production d'électricité. En 2022, cette dernière avait été dopée par les inquiétudes portant sur la sécurité énergétique européenne et les fortes augmentations des prix du gaz. Le gaz et le charbon sont historiquement en concurrence dans la production électrique et le prix est alors la variable d’ajustement.
La hausse des volumes de minerai de fer (+ 9 %, 28 Mt) se justifie par la nécessité de reconstituer les stocks après une année 2022 marquée par de faibles importations de cet ingrédient principal de l’acier. Les sorties de ferraille (+ 32 %) restent un marqueur fort du port néerlandais.
Inquiétante, la descente de la catégorie dite « autres vracs » reflète la baisse de la demande de matières premières de la part de l'industrie européenne.
Mais la hauteur de sa chute (près de 50 %) tout comme celle du boom des vracs agricoles (+ 31 %) serait extrapolée, nuance l’autorité portuaire, en raison « d’une distorsion dans les déclarations dans le système de redevances portuaires en 2022. La baisse des autres vracs secs a été en réalité de 24,7 % et l'augmentation du fret agricole de 3 % ».
Vrac liquide : 265 Mt, - 3,4 %
Pour la première fois, le diesel a dépassé en 2023 le fuel, qui fait partie des trafics concernés par les plus fortes baisses de trafic dans ce segment (baisse structurelle des importations et réexportations). Le pétrole brut, rente portuaire, se maintient toujours à flot (- 1,4 %) et doit sa légère décrue à « l'arrêt du soutage de navire à navire ».
Fait majeur depuis plusieurs exercices pour les grands ports européens, les entrées (11,6 Mt, + 2,3 %) et sorties de GNL (313 000 t, + 111 %), dont le statut de super substitut au gaz naturel russe par gazoduc se confirme. L'Europe continue d'importer de grandes quantités de gaz naturel liquéfié. Mineur, le soutage de GNL a également contribué à la bonne tenue de ce trafic « star » de la filière liquide.
Conteneurs : - 7 %, 13,4 MEVP
La mise sous tension du premier port européen sur la rangée nord-européenne est toujours plus forte. Avec un repli de 7 % en EVP, Rotterdam passe carrément sous la barre des 14 MEVP (13,4 MEVP, 130 Mt), après avoir dévissé entre 2021 et 2022 de 15,3 à 14,4 MEVP.
Par chance, Anvers trébuche dans les mêmes proportions (- 7,2 %, passant de 13,5 à 12,5 MEVP). Il fut un temps où le numéro deux européen talonnait sévèrement le leader, qui garde une avance certaine.
L’an dernier, la direction attribuait surtout la situation à la guerre en Ukraine et aux embargos qui en ont découlé. Avant la guerre, plus de 8 % (en EVP) du trafic de conteneurs de Rotterdam étaient liés à la Russie, soit une part de marché de 40 % dans ce trafic. Ces flux se sont littéralement volatilisés après mars.
La baisse de la consommation, en réaction à l’inflation incontrôlable, les effets de surstock des entreprises et la chute de la demande de transport avaient scellé le segment au plancher en 2022. Les mêmes raisons sont invoquées pour 2023 : baisse de la consommation, de la production en Europe et arrêt des volumes de/vers la Russie. La demande a en outre été très volatile.
Ro-ro : - 5 %, 25,9 Mt
Le ro-ro avait été de bonne tenue en 2022, les effets post-Brexit ayant été absorbés. Mais la faiblesse de l'économie britannique et de la consommation a fait basculer à nouveau le trafic roulier en territoire négatif.
La faiblesse des taux de fret dans le conteneur a pénalisé les marchandises diverses, qui ont été expédiées en boîtes. cette catégorie reste sous le diktat de la conjoncture du conteneur, les cargaisons siphonnées quand la demande de la loigne régulière est en fond de cale.
Revenus financiers stables
L’établissement portuaire, qui a pour actionnaires la municipalité de Rotterdam et l'État néerlandais (proposition de dividendes : 129 M$), a réalisé un exercice financier loin du calibre 2022 au cours duquel les recettes avaient connu une progression de 6,9 %, à 825,7 M€. En 2023, les recettes ont légèrement progressé (+1,9 %), à 841,5 M€.
Les deux piliers de la structure des revenus – revenus fonciers et droits portuaires –, ont connu des trajectoires différentes : les recettes tirées de la location de terrains ont augmenté de 28,4 M€ tandis que celles provenant des droits de port ont diminué de 4,6 M$ en raison d’un trafic plus faible et d'un prix à la tonne plus élevé. Le résultat net a diminué de 13,7 M€, à 233,5 M€, en raison de deux éléments non récurrents, tient à préciser la direction.
Adeline Descamps
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