L'économie mondiale semble sérieusement se diriger vers le ralentissement, au moment même où les banques centrales reviennent agressivement sur la politique monétaire ultra-souple adoptée pendant la pandémie pour soutenir la croissance. Bâbord, tribord. « Dans un effort pour contenir les pressions inflationnistes, les banques centrales ont commencé à augmenter les taux d'intérêt (…) afin de garder les prix sous contrôle. Pourtant, c'est cette décision même qui pourrait bien favoriser une récession. La hausse des taux d'intérêt refroidit lentement la demande de nouveaux logements, de voitures et d'autres produits de consommation », résume le courtier maritime Allied Shipbroking dans sa dernière note sur le ralentissement du transport maritime.
Dans la zone euro, l'activité commerciale s'est contractée en juillet pour la première fois depuis plus d'un an et l'inflation dans l’Union (monétaire) s'est élevée à 8,6 % le mois dernier. La BCE a relevé ses taux d'intérêt plus que prévu, confirmant les craintes d’une inflation galopante prenant le pas sur les considérations de croissance.
Coup de frein mondial
En Grande-Bretagne, la croissance a atteint son plus bas niveau depuis 11 mois, selon les enquêtes auprès des directeurs d'achat. Il est attendu que le gouvernement japonais réduise fortement ses prévisions de croissance. Les données concernant l’économie américaine ne sont pas encore publiées mais un coup de frein est attendu. Les importations conteneurisées du mois de juin et juillet (jusqu’à présent) ne le reflètent pas en tout cas. La Réserve fédérale américaine, qui lutte contre l'inflation la plus élevée depuis 40 ans, devrait procéder à une nouvelle hausse importante de 75 points de base des taux d'intérêt.
La Chine et le Japon restent des exceptions en maintenant une politique monétaire souple, signe que les deuxième et troisième plus grandes du monde « manquent de force pour d'autres parties du globe », font valoir des économistes.
Les consommateurs frappés au porte-monnaie
Mais l’information fondamentale pour le transport maritime (de conteneurs) reste le fait que les revenus disponibles des consommateurs sont directement frappés par les flambées des prix et les oblige à réduire leurs dépenses. Pour le reste des segments, la guerre en Ukraine « a entraîné des changements importants dans de nombreux segments », signifie l’autorité portuaire de Rotterdam. Dans un sens comme dans l’autre. « Les importations de GNL et de charbon ont très fortement augmenté comme alternative à la réduction des importations européennes de gaz russe par gazoduc. Le pétrole brut a augmenté, tandis que celui des produits pétroliers a diminué », résume Allard Castelein, CEO du port néerlandais.
Après Anvers-Zeebrugge, au tour du premier port européen, de marquer le coup avec un trafic qui stagne à l’issue des six premiers mois : une légère augmentation de 0,8 % par rapport à la même période en 2021, à 233,5 Mt.
Le conteneur en baisse de 4,4 %
Le volume de conteneurs – trafic phare des ports du range nord-européen et en particulier de Rotterdam –, n’échappe pas à la sanction, accusant une baisse de 4,4 % en EVP et de 8,9 % en tonnage au premier semestre (la différence entre les deux est attribuable à l'augmentation du nombre de conteneurs vides). Manque à gagner des échanges avec la Russie et perturbations continues en mer, justifie l’autorité portuaire.
Le port néerlandais a vu le nombre des escales de porte-conteneurs baisser de 5,5 % par rapport à l'année dernière en raison des annulations de services par les compagnies. En chargeant et déchargeant davantage de conteneurs par escale (+ 6,1 %) – phénomène déjà observable l’an dernier – les transporteurs ont contribué à exacerber les à-coups d’activité dans les terminaux avec des escales dont la durée a augmenté et des heures d’arrivée des navires de plus en plus aléatoires. « Les compagnies maritimes utilisent actuellement plus souvent les petits ports d'escale pour le transbordement que les grands ports tels que Rotterdam », reconnaît la direction du port.
Le ro-ro de retour à la vie
Après la chaotique transition Brexit, le trafic ro-ro retrouve des couleurs avec une hausse de 16,8 %. Les autres marchandises diverses ont également fortement augmenté, de 17,7 %, tirés par les importations d'acier et de métaux non ferreux dont les prix ont flambé en réaction à l'invasion de l'Ukraine par la Russie. « Mais des fournisseurs alternatifs ont rapidement été trouvés, notamment en Asie, où le Covid a fait chuter la demande d'acier. »
Grandes embardées dans le vrac sec
La hausse du trafic de vrac sec de 4,4 % masque, comme souvent, dans ce segment, de grands contrastes : les matières premières agricoles sont en retrait de 15,1 %. Exposés aux aléas climatiques et autres événements météorologiques, le vrac agricole reflète à la fois l’état des récoltes dans les différentes régions du monde et les grèves dans une entreprise de transformation.
Les coûts énergétiques élevés ont également entraîné une baisse de la production de l'industrie sidérurgique allemande qui se matérialise dans les importations néerlandaises de minerai de fer en chute de 20,6 %.
Les entrées de charbon sidérurgique sont restées étales tandis que le charbon destiné aux centrales électriques – avantagé par son prix compétitif par rapport au gaz naturel –, a fortement augmenté. Au total, le segment a été dopé de 29,7 %.
Globalement, la filière a profité des prix élevés du conteneur en rapatriant des marchandises que les vraquiers transportaient autrefois mais que les porte-conteneurs lui ont siphonnées. Cette situation se matérialise dans l’accumulation de vraquiers dans le premier port européen où le temps d’attente moyen des navires est passé de 48 à 186 heures, selon VesselsValue. D'avril à juin, les volumes en provenance de l’Europe ont augmenté de 6,9 Mt, un niveau supérieur de 21 % par rapport à la même période de l'année précédente.
Vracs liquides dopés par le transit du pétrole russe
Quant aux vracs liquides, en hausse globale de 4,6 %, ils ont profité du transit de pétrole russe par Rotterdam, notamment à destination de l'Inde alors que « les raffineries du nord-ouest de l'Europe passent au pétrole non russe », ce qui a eu pour effet de pousser le brut de l’Oural russe vers d'autres marchés.
Le bond de 45,8 % du GNL se justifie par son statut d’alternative au gaz naturel russe. « L'augmentation de 22,5 % des autres produits liquides en vrac peut être attribuée, d'une part, au passage du transport en conteneurs-citernes aux chimiquiers et, d'autre part, à la constitution de stocks par les acheteurs de substances chimiques pour s'assurer un approvisionnement suffisant en matières premières. »
3 Md€ d’investissements
Les recettes de l'Autorité portuaire de Rotterdam au premier semestre 2021 ont augmenté de 24,6 M€ par rapport au premier semestre 2021 pour atteindre 412,2 M€. Les redevances portuaires (16,1 M€) ont profité d’un nombre plus élevé de navires.
Au cours du premier semestre, le port, qui vient de revoir ses engagements climatiques à la hausse, a signé pour l’équivalent de 3 Md€ d’investissements. Parmi les décisions les plus notables, celles portant sur une bioraffinerie ainsi qu’une grande usine d'hydrogène vert d'Europe mais aussi l’extension d’un terminal d'importation d'ammoniac et de capacité pour le retraitement de batteries.
Le port néerlandais veut accélérer sur sa transition énergétique. Il s’est engagé à réduire ses émissions de carbone de 75 % d'ici 2025 et de 90 % d'ici 2030 par rapport à 2019. La résolution du problème de l'azote devrait l’occuper au premier plan à ce titre.
Adeline Descamps